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« Ready to Die » de Notorious B.I.G. : classique jusqu’à la mort ?

« Ready to Die » de Notorious B.I.G. : classique jusqu’à la mort ?

Ce 13 septembre marque le 25ème anniversaire de l’unique album studio jamais sorti de son vivant par le meilleur rappeur de tous les temps…

Découvert par le magazine The Source dans sa rubrique Unsigned Hype en 1992, puis signé en 1993 par un Sean Combs/Puff Daddy fraîchement nommé numéro 2 chez Uptown Records, Christopher George Latore Wallace n’est pas pour autant sorti d’affaire.

Mère malade, copine enceinte, ancien détenu, à 21 ans l’existence lui semble plus précaire que jamais.

D’ailleurs quand Puffy après lui avoir promis monts et merveilles se fait virer quelques semaines plus tard pour avoir montré un peu trop d’attitude, c’est sans illusions qu’il retourne sur le pavé vendre des sachets.

Il faudra alors toute la persuasion du boss du tout nouveau label Bad Boys Record pour le convaincre de se consacrer pleinement à la musique – et accessoirement de poser quelques singles un peu mainstream.

À cheval entre l’impératif de survie et la possibilité d’une île, c’est dans ces conditions que le plus « big » de tous les rookies concentre toute sa fougue et tout son talent pour enregistrer ce que beaucoup considèrent comme l’album parfait.

Un quart de siècle après les faits, retour sur ce monument.

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1. Intro

À la frontière de l’album concept, Ready To Die débute avec ces 3 minutes 20 qui s’écoutent comme une origin story.

Rythmée par une bande originale qui passe en revue trois décennies de black music (les très 70’s Superfly de Curtis Mayfield et Rapper’s Delight du Sugarhill Gang, le très 80’s Top Billin des Audio Two, le très 90’s Tha Shiznit de Snoop Doggy Dogg), elle nous décrit la naissance de Christopher Wallace (l’obstétricien est joué par Puff Daddy, la mère par Lil Kim), sa tentative de braquer un train à l’adolescence, puis sa sortie de prison après cinq ans d’incarcération.

Sortie que le rappeur conclue par la très prophétique ligne « I got big plans nigga! Big plans! Hahahaha! »

2. Things Done Changed

Passé le légendaire roulement de tambour qui lance les hostilités, voilà un morceau aussi sombre que percutant où entre deux anecdotes pas très ragoûtantes sur le New York des années crack, l’auteur nous raconte les repas manqués, l’invasion des armes à feu dans son voisinage et le cancer dont souffre sa mère.

Sans être absolument renversant sur le fond (quel rappeur n’y est pas allé de son « c’était mieux avant » ?), l’exercice est impressionnant de maîtrise sur la forme.

Notez là encore un sample directement emprunté à Death Row avec le « Remember they used to thump but now they blast, right » du Lil Ghetto Boys de Dr. Dre.

3. Gimme The Loot

Démonstration technique s’il en est, cette histoire de vol à main armé est contée par un Notorious B.I.G. qui interprète sans sourciller deux ghetto boys aux tempéraments (et aux timbres de voix) opposés.

Quand bien même vous ne seriez pas fan de storytelling ou de violence un peu trop glorifiée pour être honnête, difficile de faire la fine bouche devant tant de maestria.

Toujours aussi culte malgré les années, ce feat de Biggie avec lui-même a d’ailleurs été récemment samplé par Travis Scott sur son banger Sicko Mode.

4. Machine Gun Funk

Petit bijou de jeux de mots et d’assonances, ce titre qui a manqué de peu d’être le premier single de l’album s’apprécie cependant tout autant sans maîtriser la langue de Shakespeare.

Là en effet où la compréhension des mots peut parfois ralentir l’écoute, le fait de se laisser porter par ce flow si ample et si rond donne à la voix de Smalls des faux airs d’instrument de musique.

Cf. notamment le second couplet éligible au titre de meilleur couplet du rap ever.

5. Warning

Nouvelle conversation à plusieurs dans sa tête autour d’une tentative de cambriolage dont il est cette fois la victime. Heureusement pour lui, et malheureusement pour ses assaillants, tout cela se termine par un interlude qui fait parler la poudre.

Pour l’anecdote, la prod’ d’Easy Mo Bee qui sample si suavement Isaac Hayes avait été proposée au départ à Big Daddy Kane.

6. Ready To Die

Première piste enregistrée du disque, elle résume bien l’état d’esprit dans lequel se trouvait le Biggie Smalls des débuts, celui qui immergé jusqu’au cou dans son environnement ne concevait pas la vie sans la touche de désespoir qui va avec.

Nihiliste en diable, le mec va quand même jusqu’à balancer un « Fuck the world, my moms, and my girl » qui hier comme aujourd’hui transgresse dans les grandes largeurs.

On comprend mieux pourquoi Puff Daddy, ici guest de luxe (l’intro/l’outro/le refrain), ait ensuite fait le forcing pour convaincre son poulain de mettre de l’eau dans son vin.

7. One More Chance

Délaissant Glock et cailloux blancs, BIG change de registre pour se faire le biographe de ses exploits sous la couette – lire : rapper la taille (forcément) faramineuse de son engin une rime sur deux.

Le morceau sera remixé un plus tard sous le titre One More Chance/Stay With Me (paroles et intrus sont modifiées du sol au plafond) pour devenir le plus gros hit de son vivant.

Passablement galvanisé par la performance, Puffy qui était à la manœuvre en profitera désormais pour s’autoproclamer sans une once de modestie « inventeur du remix ».

8. Fuck me (interlude)

Lil Kim en train de faire une turlute live à son amant. Avis aux amateurs.

9. The What

Seul emcee invité à poser à ses côtés de tout l’album, Method Man challenge son hôte sans complexe, quitte à transformer à ce duo/duel en freestyle assorti d’un refrain alibi.

Le boom bap à son meilleur donc, mais du coup pas dit que le morceau ait aussi bien vieilli que ce qu’imaginent les plus nostalgiques.

10. Juicy

« It was all a dream! »

Capable de rapper la rue comme personne, Biggie est paradoxalement l’un de ceux qui a le plus contribué à donner au rap cette saveur champagne qui aujourd’hui constitue la norme.

La faute en grande partie à Juicyil s’imagine les yeux grand ouverts vivre ses rêves de réussite les plus fous.

Fort de son appartenance au club des plus grands singles de sa décennie, le titre a également ouvert la voie au « song jacking », soit cette mode pas très glorieuse qui consiste à rependre sans trop se casser la tête un tube passé pour le resservir quasi à l’identique (Big Bad Mama de Foxy Brown/She’s a Bad Mama Jama de Carl Carlton, Firm Biz de the Firm/Square Biz de Teena Marie, Not Tonight de Lil Kim/Turn Your Love Around de George Benson…).

11. Everyday Struggle

The Wire avant l’heure, ou le quotidien d’un dealer capturé comme aucun universitaire ou sociologue ne pourra jamais le faire.

Stress, paranoïa, regard des autres, factures qui s’empilent… plus les rimes défilent plus le sentiment d’asphyxie se fait prégnant. Le refrain flirte lui avec le suicide.

Clairement pas le genre de morceau qui suscite des vocations.

12. Me & My Bicth

Biggie a une « bitch ». Et elle est si bonne qu’il se taperait « la queue de son père » s’il le fallait (?!).

Biggie a une « bitch ». Elle satisfait ses besoins quand il en a envie, l’aide à monter ses coups, rigole avec lui, balance ses fringues par la fenêtre quand ils s’embrouillent.

Biggie a une « bitch ». Et elle meurt à la fin.

13. Big Poppa

Retour à plus de légèreté avec ce son tout en sirène que ni le Dr. Dre de Chronic, ni le Ice Cube de It Was a Good Day n’auraient renié (ce dernier ayant emprunté lui aussi aux Isley Brothers).

Un pur classique.

Rien à ajouter, si ce n’est qu’alors qu’il reste encore un tiers de l’album à chroniquer, on est en droit d’être frappé par tant d’éclectisme.

14. Respect

Une autobiographie express : un premier couplet entièrement dédié à sa seule naissance, un deuxième couplet qui retrace sa turbulente adolescence, un troisième couplet consacré à sa carrière naissante de rappeur.

Non seulement cela vaut toujours mieux que de se farcir Notorious, mais en bonus la chanteuse dancehall Diana King vient faire écho à ses origines jamaïcaines.

15. Friend of Mine

Le morceau le plus misogyne de Ready To Die, mais aussi le morceau le plus dansant alors ça va.

Déçu d’avoir été trompé, l’ami Christopher prend le taureau par les cornes et décide de combattre le mal par le mal, et l’infidélité par l’infidélité.

L’écoute n’est pas désagréable, mais il faut avouer que la prod’ d’Easy Mo Bee a un peu vieilli.

16. Unbelievable

Enrôlé à la dernière minute, DJ Premier fait du DJ Premier, ce qui en 1994 n’était pas rien.

Présent à ses côtés au moment où la moitié de Gang Starr composait, Biggie a posé son egotrip d’une traite sitôt l’instru terminée.

Fan l’un de l’autre, les deux hommes s’en sont malheureusement tenus ici à cette unique collaboration.

17. Suicidal Thoughts

L’inéluctable conclusion.

Comme d’autres chef-d’œuvres avant lui (Anna Karénine de Tolstoï, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, Alien 3 de David Finsher…), Ready To Die se termine dans le sang et dans les larmes.

Remords, estime de soi en berne, zéro porte de sortie à l’horizon… vingt ans avant tout le monde, le fat boy expose ses tourments de manière la plus crue et la plus honnête qui soit.

Un dernier coup de fil à Puff, un dernier couplet, une dernière punchline d’outre-tombe (« When I die, fuck it, I wanna go to hell / ‘Cause I’m a piece of shit, it ain’t hard to fuckin’ tell ») et il presse la détente.

Rendez-vous est pris dans l’au-delà pour La Vie Après La Mort.

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