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L’nterview de DJ Logilo

L’nterview de DJ Logilo

Il fut une époque où les DJs étaient bien plus que de simples « pousse-disques ». Ces hommes aux doigts d’or avaient la prétention d’amener au public de nouveaux talents voir même de les produire. Logilo appartient à cette époque. Sans lui, la carrière des Sages Po serait-elle la même? Aurions-nous eu la chance d’user notre vinyle du Puzzle? Pas sur…
Le Rap Français doit beaucoup à ce grand Monsieur qu’il semble parfois avoir oublié.

Le public te connait essentiellement pour ton travail de production mais les deux lettres précédents ton pseudo ne sont pas dues au hasard…
Depuis tout môme j’ai toujours écouté énormément de Funk de Soul, alors naturellement je suis devenu DJ. J’ai appris à mixer et rapidement avec mes potes nous avons commencé à organiser nos propres soirées. J’ai rapidement professionnalisé ma démarche d’abord avec Agency à Montreuil en 1987… On enchainait les soirées ! Je me souviens de mes premières démos scratchs, de nos tournées etc… C’était intense. Je jouais tous les week-ends, j’ai toujours kiffé faire danser les gens, c’est la base pour un DJ. Quand arrivait le lundi, je claquais toutes mes thunes en disque et en matériel. Progressivement, le « rap nouveau » est arrivé, la nouvelle école avec une déferlante de labels et de maxis indés.

Qu’est-ce qui t’inspiré à l’époque ?
J’étais forcément fan de Big Daddy Kane, Ultramagnetics MC’s, Boogie Down Productions, Jungle Brothers, Chubb Rock etc… et côté DJ j’étais à fond derrière la school de Philadelphie : Jazzy Jeff ou encore Cash Money parce que c’était des scratcheurs incroyables. Je me disais : « whaouuu ! Les gars ils tuent ! ». A partir de 1988 j’ai voulu monter un binôme façon Steady B & Tat Money, Cash & Marvelous ou bien Alladin avec WC (Low Profile ). Tu vois ce que je veux dire, la formation idéale MC & DJ, des couplets rap et des refrains scratchés qui défoncent.

C’est tout naturellement que tu es passé à la production. C’était quoi les débuts ?
La semaine j’étais à fond dans le practice H24 et je faisais des montages sur un vieux Revox car il n’y avait pas encore de samplers. Je coupais la bande pour faire une boucle puis je la tendais pour la faire passer en boucle devant les têtes de lecture. Pendant ce temps je scratchais comme un dingue jusqu’à pas d’heure : « fi fi fi fi fresh » ! C’était les prémices du beatmaking pour ainsi dire, mais en 1990 tout a réellement commencé vraiment avec l’achat de mon premier sampler : un Akai S950,
Une vraie révolution. Avec ces machines c’était l’an 2000 avant l’heure, tout ce que j’avais pu imaginer depuis des années devenait réalisable, un truc de furieux, j’en dormais plus ! Passer de mes montages Revox et magnéto K7 à cette nouvelle technologie, autant te dire que tu basculais direct d’une Twingo à une Ferrari sans avoir le permis. Depuis cette époque j’ai toujours gardé le goût de la technologie tout en gardant à l’esprit que le vrai chef d’orchestre la créativité. Partir de rien pour créer un tout dans le HH est pour moi une vraie philosophie, j’ai vraiment construit mon existence sur ce principe.

Peux-tu me raconter ta rencontre avec Jimmy Jay?
C’était en finale des Championnats de France DJ’s au Charivari en 1989. Beaucoup de DJ’s Hip-Hop de la seconde génération étaient présents ce soir-là, c’était le rdv à ne pas rater. L’année précédente j’avais terminé juste derrière Deenasty qui était la référence du deejaying français. Dj Seek, Cut Killer, Dj Rascal mon pote jacky avec qui je m’entrainais, on était tous à bloc, acharnés en mode battle. Je me souviens parfaitement m’être bien fait carotte. J’étais parti en mode vénèr car j’avais bossé des mois et je n’avais même pas pu effectuer ma presta dans des conditions normales, écœuré. Du coup : enfermement en mode sous-marin et encore plus de scratchs avec une forte envie de monter une formation.

C’est lui qui t’a présenté aux Sages Po?
Pas vraiment, c’est Dj Kaze qui m’a invité dans son émission, à l’époque diffusée sur Transat FM, pour une session DJ. Durant celle-ci, je l’informe de mon projet et il me parle d’un groupe qui défonce sur Boulogne : les Soul Pop Rock (SPR). Il me présente alors Zox, Obiwan, Dani et Melo P. Très rapidement nous avons commencé à se voir chez moi, tout le monde était sur-motivés, les gars traversaient tout Paname et venaient jusque chez moi à Sarcelles. On a commencé à faire des beats, à construire des tracks et puis ce fut le temps des premières maquettes. « La rue », « Fonki-style », « Doudi », « Tout pour le Jazz », « Poésie »… étaient les titres de nos premiers morceaux. C’était l’école du one shot, ça rappait violent. Pas de drops ni de step by step à cette époque, idem pour les scratchs. On gravait des interprétations, on capturait des performances. Tu vois la différence ? Je te parle de la true school, celle qui performait dès que la lumière rouge s’allumait, nous étions à bloc à chaque perf. De l’espoir et des rêves plein la tête. On a logiquement enchainé les premières scènes en banlieue, les premiers passages radio…

Et de nouveau, ton chemin croise celui de Jimmy Jay…
Un jour les gars me parlent d’une compilation qui se prépare, « Les Cool Sessions 1 », produite par Jimmy Jay qui était devenu le DJ de Solaar. J’avoue qu’au début je bloquais sur cette histoire du championnat de France en 89 dont je te parlais tout à l’heure. Finalement j’y vais quand même en me disant que je ne dois pas faire le relou etc… et le truc de dingue se produit : lui et moi devenons super proches. Très rapidement, et grâce à lui, on a vraiment pu faire un pas de géant, nous avons professionnalisé notre démarche de groupe avec un investissement de tous les instants. C’est un garçon qui nous a offert des perspectives et des moyens et, très sincèrement, je le remercie encore aujourd’hui. Un gros Big up à toi Jones.

Comment vous procédiez pour travailler ?
Ca dépendait, parfois on attaquait avec un sample que l’un de nous ramenait puis on partait en mode collégial : une snare par-ci, un kick par-là, un rif de guitare, une pêche de sax… Je me souviens de la foid où nous avions passé l’examen de groupe pour l’inscription à la Sacem, on était vraiment en mode collectif à cette période. Au début, je m’occupais de tout l’aspect technique, je gérais, je manipulais les samplers, la console, les multipistes ainsi que les prises de voix chez Jimmy Jay. Idem pour les séquenceurs. On maquettait tout le temps avant de tester les tracks sur scène, il y avait beaucoup de productivité, tout le monde créait non-stop de son côté. Comme nous ne vivions pas à côté on s’appelait souvent avec Zox… De toute façon, pour atteindre un haut niveau, pas la peine de raconter des blablas, il n’y a que le travail, la remise en question et l’engagement qui amènent des résultats.

Est-ce que durant l’enregistrement du premier album vous vous rendiez compte du classique que vous étiez en train de réaliser?
Très sincèrement, je me souviens juste que l’on essayait de faire de notre mieux, c’est plus le public et le temps qui décide de cela au final. Avec le recul j’ai vraiment l’impression que ce disque a contribué à ramener une fraicheur, une nouvelle approche artistique. Flows / thémes / prods / forme / scratchs, il y avait une nouvelle sensibilité qui s’exprimait, c’est génial de le voir référencé parmi les classiques. Désormais, je souhaite très sincèrement à tous les jeunes groupes qui ont les crocs et qui taffent leur art dans leur coin de pouvoir ramener eux aussi leur pierre à l’édifice, c’est une vraie satisfaction au final.

Tu dois avoir un paquet d’anecdotes autour de cet album…
Forcément plusieurs, mais je me souviens surtout d’une très marquante concernant les enregistrements de voix définitifs au studio Plus 30. Comme nous avions pu bénéficier d’une qualité technique irréprochable, il a été décidé de réenregistrer les voix. Mais le planning était très serré. En l’espace d’une nuit, la majorité des couplets de l’album ou presque ont été réenregistrés ! C’était incroyable, les gars enchainaient : Bim Bim, one shot sur one shot. Hallucinant, le moment de grâce. Grand souvenir de studio, c’est rare et cela confirme bien que la notion de performance était toujours présente à cette époque, même en studio. Dès qu’ils ont pu, Zox et Melo ont acheté leur premier sampler. C’est à partir de là que les choses ont changé, disons qu’on ne fonctionnait plus de la même façon. D’ailleurs sur le second album je ne participais plus directement à la prod, je n’ai produis que le track « On innonde les ondes », par contre je continuais de performer en scratch. De mon côté, intéressé par la technique et la technologie après le scratch et le beatmaking je désirais passer à une autre étape : maitriser la réalisation et le mixage. C’est avec mes premières royalties sur divers projets que j’ai commencé à monter mon premier studio.

« Jusqu’à l’amour » était un projet plus qu’ambitieux. Un double album qui aurait dû les installer pour de bon aux yeux du grand public, puis finalement il n’est resté « qu’un » classique du rap français. Tu as été déçu de cela?
Sur le plan artistique il y avait d’excellents morceaux, mais pour moi c’est une période un peu compliquée, cela coïncide pratiquement avec mon départ du groupe. Pour être sincère avec toi, ce n’est pas la période que j’ai préféré.

Es-tu toujours en contact avec les Sages?
Non, mais je garde d’excellents souvenirs de cette période, des supers moments de tournée, de séances studio et de franches rigolades. Beaucoup de bons souvenirs gravés. Mon premier fils est né pendant notre première tournée nationale, il a aujourd’hui 14. Le temps passe vite mais je constate qu’après toutes ces années tout le monde est encore actif, c’est bien la preuve que nous sommes tous de vrais passionnés et qu’il faudra forcément compter avec nous dans l’avenir. Un gros big up au passage à tous les trois.

Tu as également bossé avec Solaar, quels souvenirs gardes-tu du bonhomme?

Larso on le croisait de temps en temps au studio et un peu plus lors des dates de concert, j’en garde le souvenir d’un mec peace. J’étais fan de pas mal de tracks, il avait un côté Native Tongue et décontracte que je kiffais. Les messages passaient easy, il dégommait intelligemment avec ce truc qui faisait la différence. Sur les deux premiers LP’s, lui et Jimmy ont mis la pression niveaux textes, prods et scratchs. Ça ne rigolait pas, il faut se rappeler.

Tu as lâché beaucoup de bombes pour des grands MC’s tels que Koma, Fabe, Kohndo, D.Teep…
Mais malgré tout on a l’impression que tu t’épanouis plus en réalisant, presque toujours, un disque entièrement. C’est d’ailleurs ce que tu as continué à faire en 2000 avec le Puzzle. Comment les as-tu rencontrés ?
Comme tu le disais, j’ai aussi parfois produit des tracks à l’unité pour certains artistes .Par contre avec Puzzle notre travail était plus un travail de label, avec Kaze et Obiwan, je produisais aussi sur le plan financier. On était en mode famille, on se voyait tout le temps au label, ce fut la même avec Harcèlement Textuel puis avec nos autres projets. C’est plus pour ses raisons que j’ai travaillé sur les albums complets. Et puis j’aime les belles histoires humaines, vivre des moments forts dans ces périodes de création, quand à 4 du mat tu es en train de beatmaker et que tu reçois un appel au stud de ton gars qui te dit « écoute la verse ou le gimmick que je viens de trouver sur ton son », et là c’est gros kif en direct, tu vas te coucher content comme un môme pressé de faire les voix le lendemain.
Avec Puzzle, comme pour Harcèlement textuel, la rencontre s’est faite par l’intermédiaire de Midnhigt Run qui m’avait parlé de leur prestation radiophonique sur Générations. On a d’abord travaillé sur un premier track et tout naturellement l’aventure s’est prolongée pendant de nombreuses années là encore avec des moments forts, tant sur le plan artistique qu’humain.

Malgré un premier album éponyme qui fut directement considéré comme un classique, le groupe a eu du mal à enquiller sur le second…
Entre le premier et le deuxième album nous avons rencontré des vrais soucis sur le plan bizness. Il fallait donner un autre écho aux morceaux, le groupe avait fait ses preuves sur le plan artistique et nous avions réalisé des supers chiffres de vente pour une sortie indé, aussi bien en CD qu’en vinyl. Il y a eu des discussions avec des labels en majors, à 3 reprises, mais qui n’ont jamais abouti pour diverses raisons. Ils cherchaient plus du one shot et du single qu’à faire du développement, déjà à l’époque. Puzzle était un vrai groupe avec des propos, une direction artistique précise, pas des mecs faits pour vendre des t-shirts promo et du cliché misérabiliste. On aurait évidemment souhaité une réussite plus grande afin de véhiculer nos messages au plus grand nombre, mais pas question de travestir notre démarche. Au final on a fait notre musique comme on l’a senti, loin de toute hypocrisie. On pourra toujours réécouter nos morceaux dans 10 ans sans avoir à rougir, j’en prends le pari. Mon fils ainé adore et j’en suis fier, ma mère a découvert « L’Homme Moderne » il y a quelque temps et elle se le joue en boucle en me demandant sans cesse pourquoi ce n’est pas ce genre de rap que les radios jouent. Je lui ai répondu que c’est probablement parce que c’est de la merde, sinon comment lui expliquer que c’est simplement parce que son fils n’est pas banquier ?

Tu bosses toujours avec eux ?
Puzzle a splitté il y a quelque temps mais l’aventure continue avec des solos. L’an passé nous avons sorti le premier album solo du Vrai Ben intitulé « Suicide commercial ». Nous occupons une de ces niches culturelles si difficile à rentabiliser pour les grosses structures commerçantes de l’industrie de la musique, nous avons notre public qui nous soutient lorsque je vois les chiffres que nous sommes en train de réaliser sur ce disque qui ne bénéficie strictement et volontairement d’aucune promo, d’aucun clip en télé, uniquement soutenu par notre public, ça nous éclaire pour la suite. Notre musique est notre promo, nous faisons confiance aux gens qui nous supportent. Leur crier 100 fois par jour qu’ils doivent acheter, consommer notre son, n’a jamais été notre mode de fonctionnement. Ils font comme ils le sentent, on ne les méprise pas et ils le savent. Nous ne vendons pas notre création, nous leur proposons, il y a une différence et elle est de taille. Nous ne les considérons pas comme des neuneus à qui on peut faire gober n’importe quelle salade, comme disait Toni dans le titre « Artisans » : « On s’ressemble on parle la même langue… Si on t’demande, il suffit de deux oreilles pour entendre un cerveau entre les deux pour comprendre les productions qu’on engendre ». Contrairement au climat morose, je ne me fais guère de souci car 2010 sera une année charnière, j’en suis convaincu. Seuls les activistes et les passionnés resteront et occuperont le terrain. Désormais le ménage se fait tout seul, le bizness est le grand nettoyeur et ça tombe très bien : on s’en fout royalement. Nous sommes en train de préparer le premier album solo de Tony, « Sirop d’la rue », un premier titre arrive au printemps. Attendez-vous à une grosse surprise de qualité.

Et Harcèlement Textuel, tu les as rencontrés comment ?
Comme pour Puzzle, c’est Midnight Run qui m’avait parlé de leurs prestations. J’ai écouté et tout de suite kiffé. Les gars étaient de dangereux performers dans la pure tradition du Hip-Hop : performances microphoniques et flows variés, ils n’avaient que 17ans mais ce groupe était déjà fantastique. Ils avaient ce truc qui fait que tu kiffes direct, loin des clichés bidons qui fatiguent tout le monde, je les ai vu retourner des salles en Espagne alors que le public pipait pas un mot ! Des magiciens, des vrais MC’s. Une fraicheur, un smile, un côté décontract, une énergie maitrisée
sans parler de leurs styles libres dans le métro et de leurs impros sans fin. Un vrai savoir-faire chargé de valeurs culturelles qui n’intéressent que les connaisseurs et les passionnés. Ce qui montre bien la différence entre ce qu’est le rap et ce que le grand public croit connaître du rap.

Qu’as-tu pensé le jour où tu as vu Harlem entrer à la Star Ac’ ?
Je n’ai jamais commenté cet événement et je vais t’en expliquer aujourd’hui les raisons. Harlem a commencé à rapper très jeune, il a toujours été talentueux. Ses performances dans la rue, sur disque ou à la radio ont souvent été remarquées, c’est un véritable artiste passionné de Hip-Hop, connaisseur et performeur. Quand nous avons sorti leur album « Epelle mon nom » en 2002, le magazine Radikal, pour ne citer que lui, n’a fait qu’un petit papier sur le disque et pourtant, le même magazine au demeurant respecté par la communauté Hip-Hop, n’a pas hésité à faire une belle couv’ de lui en mode star académicien deux ans plus tard. Ce n’est qu’un exemple de l’hypocrisie collective à laquelle je n’adhérerais jamais. Combien de magazines peoples ou soit disant Hip-Hop nous ont appelé à l’époque pour qu’on lui crache dessus ? « Ouais t’as vu il ne parle même pas de vous blablabliblablabla »… Combien de vulgaires mecs nous ont contactés dans l’unique but de faire un papier à sensation ? Ils étaient prêts à faire du mal gratuitement et dans le même temps te parle d’humanité, de valeurs, de respect etc… Lui au moins a eu le courage d’y aller, certes il s’est affiché, il a probablement fait des erreurs, j’ai même pensé que c’était too much, mais rien que pour cela je ne lui cracherai jamais dessus, j’étais là quand il retournait des salles, défonçait des micro-ouverts en radio ou encore fumait des one shot en studio. Mais ce jour-là, tous ces pantins regardaient déjà TF1, ils n’en ont jamais rien eu à carrer du HH mais ils se permettent d’en parler. Au final je regrette juste qu’il n’ait pas clashé tout le monde quand il aurait dû le faire, je lui avais dit d’ailleurs quand il est sorti du jeu. Je crois que c’est la seule erreur qu’il ait commise, parce que en mode impro et perf, quand ils partaient avec Brahi c’était Show-time. Beaucoup de monde de l’under le savaient et il aurait dû le montrer à la France entière, on en parlerait encore… Bref, c’est du passé, mais voilà c’est dit. Je garde des supers souvenirs de franche rigolade (Popeye), ils avaient un sens de l’humour hors norme, ils étaient vraiment incroyables à l’époque, même si je trouve dommage qu’ils n’aient pas réussi à faire leur deuxième album.

Quelle est ton opinion sur la mort de la mixtape au profit du street CD…?
Très sincèrement je n’en ai pas, il me semble que c’est juste une histoire de support et d’époque car sur le plan culturel, tout ce que véhiculait la k7 pour de multiples raisons le street cd ne le véhiculera jamais. Pour la simple et bonne raison que l’époque a changée, la culture spé a basculé depuis bien longtemps vers le marché de masse. L’époque des tapes c’était la grande époque des DJ’s et de la culture HH. Les morceaux de tape n’étaient quasiment jamais diffusés en radio ou alors sur les réseaux pointus, il y avait une valeur culturelle forte dans la tape. Dans les miennes par exemple, je pouvais proposer des remixes US ou français puis enchainer avec des bootlegs bien rares ou encore des feats produits pour l’occasion. Chaque tape me prenait entre 1 et 2 mois de conception et de réalisation, c’était mon délire, ma touche perso, chaque DJ avait sa particularité. Le support k7 analogique avait quelque chose à mettre en relation avec la culture vinyl, d’ailleurs les tapes se vendaient très souvent au même endroit.
Mais sur ce point nous ne ferons pas marche arrière car le rap avance, certes pas toujours dans le bon sens, mais il avance et ce qui est passé est passé. Pour autant il nous reste quand même l’avenir à construire. Beaucoup de jeunes et d’anciens sont là pour continuer à faire avancer positivement les choses, chacun avec son style et sa sensibilité, c’est peut-être le public qui doit commencer à son tour à faire quelques efforts et à se dire qu’il y a des choses à découvrir. Le rap ce n’est pas que les 3 trucs qu’ils entendent en boucle sur leur radio préférée, sans leur participation, je ne vois pas bien comment cela va se modifier. J’espère très sincèrement que cette année va être riche en bonnes surprises avec l’apparition de nouveaux talents qu’il faudra soutenir et enfin l’apparition d’un réseau de salles un peu partout qui permettra de vivre le rap autrement qu’à travers la télé ou la radio.

Quelle est aujourd’hui d’après toi la place du DJ dans le rap?
Aujourd’hui il me semble qu’il y a plusieurs rap. Dans beaucoup de styles dit « commerçants », il y a eu une disparition progressive de la place des DJ’s depuis bien longtemps, autant sur le plan de la production que du scratching. Par contre dans le rap au sens « Hip-Hop » du terme, l’omniprésence du DJ est restée indiscutable, c’est cette forme de rap qui m’a toujours intéressé car j’aime la culture Hip-Hop dans toute sa largeur, de plus en plus même. Le mouvement underground américain fourmille de talents même si c’est un peu moins prolifique qu’à la grande époque il y a des supers formations.
Ici la masse de jeunes qui écoutent du rap consomme ce qu’elle entend à la radio généralisant le rap commerçant comme la nouvelle norme. Ce même grand public ne connait rien de l’histoire de l’évolution du rap tant sur le plan français qu’américain, je le constate constamment. Le rap s’est « popétisé » pour devenir une musique de masse, ce n’est plus une musique spé. Elle est victime de son succès, il fallait s’y attendre, les clichés étaient trop tentants pour ne pas les exploiter. Certains s’en sont parfaitement chargés, ça fait partie du jeu, d’autres genres ont connu cela aussi. Les référents changent et dans ce genre de rap, le DJ c’est juste le mec qui lance le playback, même si il a une main dans le plâtre et l’autre avec une moufle.

Tu as vu défilé des MC’s parmi les meilleurs des meilleurs, mais quel est celui qui t’a le plus impressionné?
C’est une chance d’avoir croisé autant d’artistes talentueux, chacun avait son truc, certains c’était la perf vocale pure et d’autres l’émotion véhiculée par des textes bien ficelés ou l’amour des mots avec des belles syncopes, tous avec un univers bien personnel.
Quel kiff de voir un artiste entrer en cabine et te mettre les poils des bras au garde à vous. Au moment où tu l’enregistres, quand arrive la prise def, tu sais immédiatement que c’est la bonne. Fabe et Le vrai Ben sont des bons spécialistes de la discipline, j’aime ce rap de propos dans sa logique « the message ». Lorsque l’on a enregistré « L’homme moderne », c’était 8 minutes de one shot, il y avait une émotion palpable dans le studio, c’était dingue, je m’en rappellerai longtemps, Sur la fin Ben était submergé par l’émotion. J’ai pleins de bons souvenirs en studio car j’aime vraiment graver des moments de vie. Quand on fait les choses honnêtement, on est en face à face avec soi-même, avec son talent et sa médiocrité, ça t’oblige à rester humble et à te remettre sans cesse en question car comme l’a écrit Ben : « Il n’y a que les chats qui arrivent à se lécher l’cul eux-mêmes ».

Est-ce qu’il reste encore un rappeur avec qui tu n’as pas encore bossé et avec qui tu aimerais le faire?

Carrément et même plusieurs, jeunes et moins jeunes. J’aimerais vraiment faire de belles collabos cette année sur la base « un fat beat, un refrain scratch et des verses qui déboitent ». La recette idéale selon moi et j’espère que de plus en plus de jeunes MC’s partageront cette optique artistique. En tout cas 2011, pas question de lâcher l’affaire, je décomposerai toujours les mots, attendez-vous à du gros son uniquement pour l’amour du Hip-Hop.

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