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De Sfera Ebbasta à Gomorra : On vous dit tout sur le Rap italien !

De Sfera Ebbasta à Gomorra : On vous dit tout sur le Rap italien !

A l’heure où les frontières rapologiques s’effacent, rendez-vous avec l’Italie et ses artistes. De Sfera Ebbasta à Bello Figo en passant par le Dark Polo Gang.

L’intérêt du public français pour le rap italien est relativement récent, mais semble gagner en importance chaque année. Historiquement, le rap français a toujours nourri une relation d’amour-haine envers l’Italie, à la fois fasciné par les figures mafieuses fantasmées et repoussé par l’image raciste et traditionaliste colportée par la Botte au-delà de ses frontières. Mais depuis quelques années, nos rappeurs osent -enfin- dépasser les clichés et se confronter directement à la réalité italienne, bien souvent plus dure et plus complexe que ce que l’opinion populaire française imagine.

Gomorra comme exemple

La fascination des rappeurs français pour la série Gomorra semble avoir été l’élément déclencheur, puisque PNL et Sch ont tous deux, coup sur coup, posé leurs quartiers au milieu de la cité de la Scampia, à Naples, pour y tourner les clips du Monde ou Rien et de … Gomorra. Mais cette fois, plutôt que de se contenter d’une vision cinématographique de la pègre locale, nos artistes ont pris l’initiative de travailler directement avec leurs homologues transalpins -et réciproquement. C’est ainsi que Youssoupha et Joke se sont retrouvés respectivement sur les albums de Fabri Fibra et Gué Pequeno en 2015, avant que Sch puis Lacrim ne se décident à collaborer avec Sfera Ebbasta, Charlie Charles et Ghali.

Malgré des interrogations logiques à l’annonce de ces différents featurings, chacun de ces titres a récolté des suffrages importants, et tout particulièrement Cartine Cartier, extrait d’Anarchie, dont le clip a rapidement cumulé plus de dix millions de vues.

Ces collaborations de plus en plus fréquentes et de plus en plus plébiscitées par le public ont vivifié l’intérêt des auditeurs français envers le rap italien. De nombreuses barrières existent encore entre les deux scènes, notamment celle de la langue, mais les récentes évolutions du rap permettent petit à petit de s’affranchir de sa primauté littéraire : à l’heure du mumble rap, des flows prémâchés et de la prédominance des adlibs, on se pose de moins la question de l’intelligibilité des paroles, et un français peut aussi bien écouter Young Thug que Sfera Ebbasta, sans forcément mieux comprendre le premier que le deuxième.

Le rap italien, une langue dénaturée

Mais cette entente artistique n’aurait sans doute pas été possible sans le changement de cap du rap italien ces trois dernières années. Le grand handicap du rap en Italie a longtemps été lié à la densité de la langue italienne. Pour bien comprendre l’idée, il suffit d’écouter un italien parler : d’une part, ça va très vite, et on a l’impression qu’il place une centaine de mots par phrase ; d’autre part, on remarque des accents naturellement chantants. Ainsi, si la langue italienne parlée est particulièrement agréable à l’oreille d’un non-italophone, elle devient facilement désagréable dès lors qu’elle est dénaturée. En l’enfermant dans des mesures strictes et dans des schémas de rimes trop carrés, le rap italien des années 90 n’avait aucune chance de sonner correctement pour un auditeur français.

https://www.youtube.com/watch?v=3FjwhiYRlJI

L’arrivée de la vague trap a donc bouleversé les structures des morceaux rap, en permettant notamment aux textes de s’aérer et de s’espacer, libérant ainsi les artistes dans leur écriture et dans leur interprétation, moins codifiée. Évidemment, de la même manière que la France a connu ses t-shirts « le rap c’était mieux avant » et ses puristes de l’âge d’or, le public italien s’est particulièrement divisé sur cette nouvelle identité du rap. Une scission d’autant plus brutale que l’Italie est un pays réputé pour son traditionalisme et ses difficultés à abandonner ses vieux codes, et que l’évolution s’est faite quasiment sans transition -pour résumer caricaturalement, c’est un peu comme si le rap français était passé assez brutalement de La Cliqua et Fabe à Niska et SCH.

Racontée par Sfera Ebbasta à La Stampa, l’apparition du mouvement trap en Italie rappelle en effet les critiques faites au rap français il y a quelques années, avec une impression de retard encore plus accentuée : « avant l’arrivée de la trap, l’Italie était très arriérée. Tout le monde était focalisé sur les vieilles sonorités des années 90. Quand Charlie Charles -son beatmaker- et moi sommes arrivés, certains nous ont dit que notre musique n’avait rien à voir avec le rap ». Depuis, les choses ont plutôt bien évolué, puisque derrière Sfera, d’autres ont emboîté le pas et permis à l’Italie de sortir de sa zone de confort -et le succès international de Sfera, qui a atteint le Top 10 Itunes en France, Allemagne, Suisse et Belgique, n’a fait que les conforter dans leur idée.

La botte en pleine mutation

Pour un français qui voudrait se faire une idée des meilleures sorties italiennes récentes, le plus simple est de poser une oreille sur les principales têtes d’affiches -avant, peut-être, d’aller fouiller un peu plus loin, au sein d’une scène underground particulièrement fournie. La sortie la plus ambitieuse de ces dernières années se nomme Santeria, et réunit sur un même album deux des plus grandes stars du rap italien : Marracash et Guè Pequeno -pour faire court, c’est un peu comme si Booba et Kaaris avaient fini par travailler ensemble sur un projet complet, plutôt que de se perdre dans un clash égayant au début quand ça parlait de rentrer des poussettes à l’intérieur des rectums, mais très vite rasoir. Un album un brin expérimental pour une scène locale encore frileuse sur l’autotune et le rap chantonné, qui a divisé les fans mais représente tout de même un pas en avant important.

A l’image de ce qu’il s’est passé en France en 2014, les trappeurs se sont multipliés en Italie de manière un peu incontrôlable, même si nos amis transalpins ont tout de même su éviter un minimum la propagation du triplet-flow qui a fait tant de mal dans nos contrées. Autre star du genre, Ghali a marqué les esprits des fans de Lacrim avec son apparition sur l’album Force et Honneur. Arrivé dans le game au début des années 2010 avec son groupe Troupe d’Elite, Ghali est un précurseur de la trap italienne et de l’imagerie liée à ce sous-genre, puisqu’il expérimentait déjà à l’époque des hybridations entre dirty south, adlibs, et flows plus aérés que ce qui se faisait cinq ans en arrière.

A l’époque, il était évidemment vu comme un horrible marginal uniquement bon à importer des tendances US datées -en gros, il a pris des risques à la place des autres sans trop se poser de questions, un peu à l’image de Mac Tyer en France pendant la seconde moitié des années 2000. Aujourd’hui, tout le monde se rend compte qu’il avait en fait cinq ans d’avance sur le reste du rap italien -et donc seulement dix ans de retard sur le reste du monde.

Une trap libératrice

L’arrivée de la trap sur le marché italien a permis de libérer les esprits, et de permettre à la scène locale de se rendre compte de la dimension purement divertissante de la musique -là où l’on s’est longtemps cantonné à un rap plus stricte, reflet des nombreux problèmes sociaux de la jeunesse. Le cas de Bello Figo Gu est particulièrement éclairant à ce sujet : genre de Swaggman local, toute son image est construite autour de sa volonté de divertir, avec pour seul objectif les millions de vues et les followers sur instagram. Le grand problème concerne en fait son « positionnement politique » terriblement peu malin, qui provoque des polémiques terribles en Italie. Pour faire court, Bello Figo est un immigré ghanéen qui vit à Parme, et qui passe son temps à chanter « je vis chez vous dans un hôtel 4 étoiles grâce à mon statut de réfugié, je ne paye rien, je baise vos meufs, et je vous emmerde, merci Matteo Renzi (ndlr : chef du Gouvernement italien à l’époque où la chanson a été enregistrée) ».

Globalement, son discours n’est pas forcément plus choquant que celui d’un rappeur français exilé en Thaïlande qui clamerait « je vis chez vous dans un hôtel 4 étoiles grâce à mon statut de blanc riche, je baise vos meufs, et je vous emmerde » … Mais dans le contexte politique italien, faire passer les réfugiés pour de purs profiteurs venus vivre sur le dos des travailleurs locaux est loin d’être l’idée la plus pertinente possible. Evidemment, Bello Figo Gu fait énormément parler de lui et déclenche des flots ininterrompus de commentaires racistes, devenant par ailleurs un cas particulièrement embarrassant pour le Parti Démocratique de Matteo Renzi -même si Bello Figo dédicace aussi très régulièrement Silvio Berlusconi, illustre figure de l’opposition au Parti Démocratique. Imaginez la même situation en France : Swaggman dédicaçant à la fois Benoit Hamon et Nicolas Sarkozy, et faisant grimper l’extrême droite par la même occasion. Affreux.

Mais la trap est loin d’être la seule variante du rap à fonctionner en Italie. Arrivée plus récemment, la tendance Cloud Rap est encore assez incomprise sur les terres de Garibaldi, mais le succès grandissant d’un groupe comme le Dark Polo Gang permet à ce sous-genre vaporeux d’émerger petit à petit -bien que le groupe soit globalement plus orienté trap nébuleuse que pur cloud. Le Dark Polo Gang fait partie de cette nouvelle génération qui rompt complètement avec les codes de ses aînés, avec des influences proches de Young Thug ou Gucci Mane, et une dégaine extravagante qui rappelle Riff Raff par ses aspects excessifs. Autre représentant du renouvellement romain, Achille Lauro est de ceux qui cherchent à explorer de nouvelles pistes, aussi bien sur le plan musical que purement visuel, avec des clips qui sortent clairement de l’ordinaire.

Il est d’ailleurs assez étonnant de constater que la vague nuageuse expérimentale tient ses principaux représentants à Rome, une ville qui a longtemps été le grand bastion du boom-bap à l’italienne, particulièrement hermétique à la nouveauté. C’est en effet une autre donnée à prendre en compte quand on s’intéresse aux dynamiques du rap en Italie : les différentes tendances sont très liées à des questions géographiques. En caricaturant grossièrement, on dira que les grandes villes du Nord -avec Milan en tête- sont plus ouvertes à la nouveauté et aux tendances venues des Etats-Unis ou d’Angleterre que le Sud profond de l’Italie, plus attaché à un rap revendicateur -même si les mentalités évoluent de plus en plus rapidement.

De fortes différences régionales

Il existe par ailleurs une différence essentielle avec le marché français : l’importance des dialectes régionaux est fondamentale en Italie, et de nombreux rappeurs ont longtemps préféré rester fidèles à leur patois, quitte à se fermer volontairement au public du reste du pays. Une situation qui peut paraître étonnante pour les français, qui vivent dans un pays où les accents et les argots peuvent certes varier selon les régions, mais où un marseillais et un chti peuvent très bien se comprendre sans traducteur. Ce n’est pas le cas en Italie, où, pour vous donner un exemple concret, les dialogues de la série Gomorra, entièrement en napolitain, sont diffusés à la télévision italienne avec des sous-titres en italien -car un milanais, un florentin ou un turinois ne comprendra pas forcément tout. De la même manière, certains sites proposent la traduction en italien de chansons écrites en dialecte (napolitain ou autre).

Le cas du rappeur Luchè est intéressant : après avoir passé quasiment vingt ans à rapper en dialecte napolitain, notamment avec son groupe Co’Sang, il a décidé d’écrire un album composé de plusieurs titres en italien, ce qui lui a d’une part permis de toucher un public plus large, mais qui lui a attiré les foudres d’une partie de sa fan-base, très attachée à son identité purement napolitaine. A propos, si vous suivez Gomorra, vous avez forcément déjà entendu Luchè, qui a composé O’ Primmo Ammore pour la bande originale de la série.

Point d’attache du public français envers la cité de Naples et sa scène musicale, Gomorra correspond plus, selon Luchè, à la description brute d’une réalité sociale particulièrement rude qu’à une vision fantasmée de la criminalité italienne : « Les rappeurs, qu’ils soient français ou autres, croient toujours venir de quartiers dangereux et difficiles. Mais ce n’est rien en comparaison avec ce qu’on vit ici. Nous sommes la Colombie d’Europe … et encore, je ne sais pas comment est la Colombie. Au maximum, c’est égal à ce qu’on vit. Mais ça ne peut pas être pire. Pire, c’est impossible« , racontait ainsi Luchè au site Noisey en 2015.

Du rap pour tous les goûts

De la même manière qu’il est impossible d’établir un panorama complet et exhaustif du rap en France ou aux Etats-Unis, l’idée n’est pas ici de citer l’un après l’autre chacune des principales têtes d’affiches du rap italien actuel, mais plutôt de dresser un état des lieux des dynamiques artistiques. Parmi les artistes non-cités dans cet article, on peut évoquer par exemple Fabri Fibra, l’un des seuls rappeurs italiens dont le nom est connu du public français, dont le parcours et la position vis à vis du game locale rappelle plus ou moins Booba en France : une carrière en groupe et en indépendant pendant la deuxième moitié des années 90, puis quinze ans de succès ininterrompu, plus d’un million de disques vendus, et un mojo particulier qui rend le personnage inattaquable et hermétique au flop et à la critique.

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On peut aussi noter le cas un peu particulier de Fedez, qui n’a pas forcément d’équivalent en France. Musicalement, le garçon a tendance à être un peu fleur bleue -pour ne pas dire niais-, mais c’est surtout la partie extra-musicale qui fait de lui un cas à part : devenu une star de la télévision depuis sa participation en tant que juré de l’émission X-Factor (genre de Nouvelle Star locale), il a beaucoup fait parler de lui ces derniers jours en demandant en mariage en direct à la télévision sa fiancée, Chiara Ferragni, une célèbre blogueuse mode devenue styliste pour Dior, Vuitton et Chanel, et dont le parcours est étudié à Harvard -oui, c’est autre chose qu’Enjoy Phoenix.

Dans des genres différents, on peut également citer Caneda et sa voix cassée, plus orienté pop, Cranio Randagio et son horrible dégaine, Bassi Maestro, un mec presque aussi vieux que Kool Shen, Emis Killa, un gringalet qui a pris trente kilos de muscles en deux ans, Salmo, un petit malin qui rêve de taro Emily Ratajkowski, ou encore Lazza, qui n’a pas encore complètement explosé, mais qui est clairement l’un de nos préférés. Des dizaines d’autres artistes au moins aussi important que ceux-ci n’ont pas été cités, mais vous les découvrirez bien assez vite, en parcourant les commentaires à cet article, ou au gré des suggestions Youtube. Concluons avec l’un des titres les plus importants du rap italien ces dernières années, réunissant les principales têtes d’affiches du moment autour de Charlie Charles, le beatmaker le plus en vue à l’heure actuelle en Italie -que vous connaissez donc pour son travail sur les albums de Sch et Lacrim.

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