L’année dernière, Thomas Gaetner a publié le livre « Hip Hop, Le Rap Français des années 90 ». Pour Booska-P, le journaliste nous livre son Top 10 des titres phares de cette décennie.
Spécialiste du rap et des musiques électroniques, Thomas Gaetner a décidé de rendre hommage aux années 90, qui sont devenues l’Age d’Or de ce courant musical (aussi bien en France qu’aux Etats-Unis). De manière subjective, il a sélectionné, par période, tous les artistes dont il a vraiment apprécié les albums ou les titres. Grâce aux réseaux sociaux (Facebook en particulier), le contact en direct a été facilité pour réaliser des entretiens.
« L’idée, c’était de faire un livre uniquement axé sur la musique, le processus de fabrication d’un album, les rencontres, la genèse d’un groupe, tenter de restituer des ambiances et des coulisses. Et surtout, éviter au maximum de sombrer dans le côté polémique, mais focaliser sur la manière dont ces rappeurs ont réussi à procurer du bonheur musical à leurs auditeurs », explique Thomas Gaetner à Booska-p. Le livre « Le rap français des années 90 » constitue une véritable immersion au cœur de l’avènement du rap « made in France », nourrie d’interviews et de recherches minutieuses.
Le Top 10 de Thomas Gaetner, auteur du livre « Le rap français des années 90 »
1. IAM – Bouger la tête (1997)
Mon livre s’intitulant Hip Hop, difficile de ne pas commencer ce classement par cette belle déclaration d’amour au Hip Hop avec des textes taillés dans l’excellence (Bastonne mon son sur les ondes le matin / Pimpant, j’injecte un funky clap dans vos tympans / Lyriciste grimpant, les compétiteurs saignent / Car j’absorbe plus de trucs que la sphaigne….) . Et notamment ce clin d’œil dans le refrain au titre Qu’est-ce qui fait marcher les sages ? des Sages Poètes de la Rue : « Bouge ta tête, tourne pas en rond…». Une sorte d’hommage dont Zoxea est plutôt fier. J’aurai d’ailleurs pu également choisir l’un des plus beaux titres , selon moi, du rappeur de Boulogne, Rap, musique que j’aime (1999) dont le propos résume à lui seul cette sensation de nostalgie à l’égard d’une ère rapologique révolue.
2. X-Men – Retour aux pyramides (1996)
S’il ne fallait retenir qu’un titre de la B.O de Ma 6T va Crack-Er, produit par les frères White & Spirit, je choisirai sans doute celui-là. Une succession de punchlines et de combinaisons stylistiques dingues (comparables à celles des Lunatic dans Le Crime Paie ou encore Arsenik avec L’enfer remonte à la surface sur la compilation Hostile) et une instru lancinante faite d’un improbable collage de samples. « Nous avons mis du temps à déceler la force de ce titre, alors que les auditeurs l’ont porté aux nues dès la première écoute, m’avait alors expliqué Spirit. Mais c’est vrai que cette musique hypnotisante et ce flow très technique font de « Retour aux pyramides » un titre subtil dans sa construction… ».
3. Ekoué / La Rumeur – Blessé dans mon ego (1997)
Une formation pas souvent promue dans les classements. À tort. Un rap sans concession, libre, sans pression de la part d’une maison de disque, des lyrics livrés sans filtre et des instrus brutes et granuleuses. Ekoué, l’un des 4 rappeurs (avec Hamé, Le Bavar et Mourad) du groupe La Rumeur balance ici l’un des morceaux les plus écorchés du rap Français sur un thème encore aujourd’hui sensible : l’identité des enfants Français issus de l’immigration. Cette situation d’avoir « le cul entre deux chaises » est racontée de manière explicite par Ekoué. Chaque mot, chaque phrase y a son importance. Ça transpire le vécu et ça secoue véritablement l’auditeur. Mission accomplie.
4. Fabe – Quand j’serai grand (1998)
Cela aurait été vraiment intéressant de rencontrer ce rappeur unique en son genre. Mais l’homme a visiblement tourné définitivement la page Rap à en croire les confessions qu’il a faites lui-même sur son blog (https://9mai1971.blogspot.fr/). Un artiste sans concessions, intègre et d’un calme qui cachait une tempête de mots souvent durs. Ce titre dédié à « ceux qui partent, et ceux qui ne partent pas » fait parcourir le corps de frissons et ferait presque verser une larme, tant par l’instru signée Stofkry, son fidèle DJ, que par les paroles simples, précises, sans artifices. Un émouvant retour sur ces rêves de jeunesse.
5. Oxmo Puccino – Amour et Jalousie (1998)
Difficile d’élaborer un Top 10 du Rap Français sans lui : un flow si particulier, une équipe de beatmakers de rêve (Dj Sek et Dj Mars de Time Bomb) et une écriture qui jongle avec la langue française comme peu de rappeurs savent le faire. Lorsque j’ai rencontré Oxmo pour l’écriture de mon livre, j’ai été surpris par le souvenir un peu sombre qu’il garde de cette période. En total décalage avec la perception positive qu’en ont eu les gens à l’époque. Il faut dire que l’enregistrement de l’album Opera Puccino est délocalisé, en urgence, à Toulouse au Studio Polygone. La crise que traverse Time Bomb où chaque artiste veut voler de ses propres ailes parasite le travail d’Oxmo à Paris. Puccino a fait le choix de rester fidèle à son équipe. Amour et Jalousie représente ainsi l’état d’esprit dans lequel le MC du 19e arrondissement se trouve. « Ce morceau me confiera-t-il, c’est un gros point d’exclamation sur tout ce qui s’est passé avant cet album, notamment avec Time Bomb ». Et plus largement une belle plage « philorapologique » sur des sentiments humains dans lesquels chacun d’entre nous peut se reconnaître.
6. Démocrates D – Le Crime (1995)
Un classique entré dans la légende, une référence en matière de « rap cinéma » vocalisé et écrit par Mikey Mossman. C’est Black Jack, le fondateur du groupe, qui a insisté pour que Moss œuvre seul sur ce morceau. À l’arrivée, tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette variation sur le thème d’Orange Mécanique un classique du Rap Français. Avec encore une fois, la patte géniale de Jimmy Jay qui nous sort ici un sample (des samples ? ou peut-être pas de sample du tout) d’anthologie, une ritournelle énigmatique et douce qui tranche avec le propos plutôt « saignant ». Sans parler du clip filmé en plan séquence par le réalisateur Thibaut de Corday et dans lequel apparaît MC Solaar…
7. 2 Bal 2 Neg – Labyrinthe (1996)
Faire émerger un titre de l’album 3X plus Efficace que, personnellement, je classe parmi les incontournables des 90’s est une tâche ardue. Alors je retiendrai ce Labyrinthe anthologique, pour l’avoir beaucoup écouté et surtout parce que cette passe d’armes vocale à 9 voix (avec notamment, Rocca, Mr R, NOB des Rootsneg…) dégage une incroyable énergie dans le flow mêlée à une rage non dissimulée dans les textes et associé à un beat presque martial signé Kilomaitre. Bref, une combinaison qui a la pêche et qui la transmet.
8. NTM Le monde de demain (1990)
Le sample du « T » Stands for Trouble de Marvin Gaye (initialement déniché par IAM pour le titre The Real B Side sur la K7 Concept) confère au morceau des allures d’épopée chevaleresque envers l’establishment. Et les paroles de Kool Shen et Joey Starr, claires, nettes, précises n’ont (presque) pas pris une ride. Un titre sombre motivé par la fougue de la jeunesse, mais qui, en filigrane, entretient l’espoir : « Le monde de demain quoiqu’il advienne nous appartient / la puissance est dans nos mains alors écoute ce refrain ». Un titre composé il y a maintenant… 23 ans !
9. MC Solaar – Comme dans un film… (1995)
Étonnant morceau à double titre ! D’abord parce qu’on découvre un MC Solaar plus dur que d’habitude dans ses textes, plus vindicatif, plus brut de décoffrage et moins poète. Mais aussi parce que ce morceau sera retiré pour le deuxième pressage de la B.O du film La Haine pour cause de problème inhérent à son contrat avec sa maison de disque (Polydor). Autant dire que la première version (CD et LP) est collector…
10. Soon E MC – O.P.I.D (1993)
Un voyage rapologique smooth et jazzy à souhait (composé par Dj Seeq), sans doute trop « rap-à-l’eau » pour certains, mais le rap, c’est aussi cela. Soon E MC, membre du Posse 501 de Solaar, a rapidement disparu de la scène Rap. Dommage. Je me suis toujours demandé la signification de ce titre énigmatique. J’ai eu l’occasion de rencontrer Soon E MC pour mon livre. « Cela veut dire Œuvre Parfaitement Interprétée en Doigt majeur » m’a-t-il expliqué. Avant d’ajouter amusé : « C’est une histoire de cul gentiment tournée ». Pour l’anecdote, le clip (que l’on peut trouver sur le net) sera réalisé à Los Angeles par Percy Adlon, le réalisateur du mythique Bagdad Café.
Thomas Gaetner. Hip Hop, le Rap français des années 90 aux Editions Fetjaine.