Ce vendredi, Nelick est de retour avec Mon cœur bat. Cet opus a une double valeur symbolique pour l’artiste parisien : il est le résultat de plusieurs années d’expérimentation afin de trouver sa recette et surtout son premier album studio. À 27 ans, Nelick est plus que jamais prêt à répandre le rap « Indie » sur l’ensemble du territoire.
- Curtis Macé : Comment tu appréhendes la sortie de Mon cœur bat ?
Nelick : Je me sens bien, mais j’ai un peu peur, car c’est toujours une grosse pression de sortir un projet. C’est plus de l’excitation. Depuis que j’ai terminé l’album, j’ai l’impression qu’il est déjà disponible. Je suis vraiment content du résultat final. Le reste appartient au destin.
- CM : Expliques-nous comment t’es venu l’idée du titre de l’album : Mon cœur bat ?
N : J’ai mis du temps à le trouver. C’est quelque chose de très important pour moi de mettre des noms. Dans mon téléphone, j’ai une liste de 200 propositions. Carrément, j’ai été sur Chat GPT pour avoir de l’aide (rires). Au départ, j’avais pensé à Looping, J’pleure quand ma mère pleure ou encore La vie rêvée de Kiwibunny. Après plusieurs écoutes du projet, je me suis rendu compte que je disais beaucoup « Mon cœur bat ». C’est apparu comme évidence.

- CM : Tu vends Mon cœur bat comme ton premier album, « Le vrai début de ta quête ». Premièrement, que représente ce format pour toi ? Deuxièmement, peux-tu me parler de cette quête intérieure ?
N : Selon moi, pour faire un album, il faut avoir un thème précis et un message. C’est le premier projet dans lequel j’ai un message à défendre. Il a plus de sens par rapport à mes opus précédents. Concernant ma quête intérieure, elle a commencé depuis que je suis né. Celle artistique, elle a redébuté avec Tatoo en 2021. Je me suis trouvé sur ce projet. C’est la première fois que j’ai assumé à 100 % ma proposition. Par la suite, Vanille Fraise a permis de mettre le fond et la forme. Cela a donné naissance à Mon cœur bat. Cet album est la première roche d’une longue lignée.
- CM : Pour de nombreux observateurs, 14 (morceaux) est le chiffre parfait pour un album. Es-tu du même avis ?
N : Je ne savais pas (rires). Pour ma part, c’est plus entre 10 et 12 titres.
- CM : Vois-tu tes projets précédents (Kiwibunnytape, Dieu sauve kiwibunny, Piu piu, Tatoo, OCEANS, Vanille Fraise) comme un laboratoire d’expériences pour arriver à ce résultat qu’est Mon cœur bat ?
N : Absolument, tu as tout dit. Le seul regret que j’ai dans ma carrière, c’est d’avoir connu le succès trop tôt avec « OCEAN 2077 ». Mon laboratoire a été ouvert à tous, peut-être un peu trop rapidement. Quand tu es un jeune artiste, il y a des réussites, mais aussi des ratés. À l’époque, j’avais peur de me frustrer en ne sortant rien. Si je m’étais davantage écouté, je n’aurais pas dévoilé grand-chose. Cependant, le chemin parcouru m’a permis d’arriver à ce premier album, donc je suis content.
- CM : Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voulais évoquer la cover réalisée par Hugo Lardenet. Peux-tu me parler de sa conception et de son sens ?
N : J’avais la cover en tête depuis l’époque de Vanille Fraise. Hugo et les sœurs Castay (Juliette et Charlotte) m’ont aidé à développer la DA de l’album. Au départ, je voulais une cover épurée, purement visuelle et artistique. Par la suite, j’ai décidé d’apparaître uniquement avec une tenue spécifique pour le projet.
Sur la pochette, je cours. Cela exprime le fait de vouloir aller plus loin, sans aucune certitude, dans un monde irréel, proche de l’univers d’un dessin-animé. On ne sait pas si la courbe repart vers le haut ou le bas, au-delà de la cover. Le message dans Mon cœur bat est de s’autoriser à être vulnérable pour vivre des choses, même si ça te fait du mal. Il ne faut surtout pas passer à côté de certains moments de vie. Les lapins représentent les protagonistes de l’album comme Kofi Bae et la fille que j’essaye de séduire, mais aussi mes projets précédents. On a quand même fait une quinzaine de versions pour la cover, avant de revenir à l’idée initiale.

- CM : En combien de temps as-tu conçu Mon cœur bat ?
N : On a commencé à travailler dessus en septembre 2022. C’était au moment où j’ai dévoilé le single « mac lesggy ». En général, quand je sors un truc, je panique et j’ai besoin de faire de la musique. Je ne veux pas que le succès ou non d’un titre ait de l’influence sur ce que je vais sortir par la suite. Je préfère anticiper les choses. Durant ce premier séminaire de 10 jours, on a été super productif avec la création de « 2LATE », « Marmelade », « Salomon », « mac lesggy », « Fille que j’aime » et « BB Désolé (interlude) ». Avec Kofi Bae, on n’avait pas dans l’esprit de les concevoir pour mon premier album. Au contraire, j’en étais hyper détaché. Quand je les ai fait écouter à des proches, j’ai compris que c’était pas mal.
Il y a deux phases de construction. La première était dédiée à la création des maquettes. La seconde a permis de les travailler plus en profondeur. Au bout d’un moment, j’ai compris qu’il me manquait quatre titres pour faire un album. Je me suis lancé seul dans la conception de « Casper », « Fall in.. », « Qui veut la peau de Kiwibunny ? » et « Des bees, des trucs et des flowers ». Pourtant, je n’avais jamais fait de la musique de cette manière auparavant.
- CM : Mon cœur bat a été produit par Kofi Bae et réalisé par Renaud Letang. Quelle importance ont-ils eu dans la conception du projet ?
N : Kofi Bae m’a permis de faire la musique que j’ai toujours rêvé de faire. Il y a une alchimie artistique entre nous. On a travaillé ensemble sur toutes les maquettes, hormis celle que je t’ai citée tout à l’heure. Kofi a participé aux compositions, mais pas seulement. Par exemple, c’est lui qui a trouvé le refrain de « Marmelade ».
Concernant Renaud Letang, on est allé le voir pour structurer l’album afin qu’il soit parfait. Il m’a apporté toute son expérience avec de précieux conseils sur de nombreux aspects. Renaud a également mixé le projet. Il nous a donné de la confiance pour nous pousser à aller jusqu’au bout de nos idées. J’approuve totalement sa vision radicale de la musique.
- CM : Avec Mon cœur bat, tu affirmes ton rôle de porte-étendard du « rap Indie ». Comment définirais-tu ce genre justement ?
N : Comme tous les artistes, je vais te dire que c’est une proposition unique. Je n’ai aucune influence de ce qu’il se passe en France. Ce sont plutôt des artistes comme Steve Lacy et Thundercat qui me parlent. Pour les textes, j’ai des références comme Orelsan, Alpha Wann ou Luidji. En ce qui concerne les toplines et le fait de parler de love à ma manière, ça n’existe pas dans le rap actuel. Je ne dirais pas que je suis le porte-étendard du « rap Indie » mais je suis le seul. Ça me ferait kiffer que l’on soit plusieurs à faire vivre ce genre en France.

- CM : Si tu devais choisir trois mots pour définir le « rap Indie », que choisirais-tu ?
N : Question difficile (rires). Après mûre réflexion, je dirais solaire, alternatif et coloré.
- CM : Sur Mon cœur bat, j’ai l’impression que tu fais tes adieux au Nelick adolescent, rempli de rêves pour laisser place au Nelick adulte, sûr de ses forces. Es-tu d’accord ?
N : Oui, complètement. Sur Tatoo, j’étais un lycéen, puis sur Vanille Fraise, un jeune adulte. Avec Mon cœur bat, je mesure le chemin parcouru et je fais le bilan après le premier quart de ma vie. Ça a changé mon approche avec l’écriture et la conception de la musique en général. Il y a plus de sagesse, tout en conservant ce côté insouciant. C’est le premier projet où j’arrive à trouver un équilibre entre ces deux aspects. J’avais peur d’être premier degré. Je vois la musique avant tout comme un amusement. Je veux proposer du divertissement et non du deep. Avec mon vécu, j’étais obligé de me montrer sous cette facette mélancolique. Modifier ma voix sur certains titres m’a permis de dire les choses, tout en me cachant encore un peu.
- CM : Mon cœur bat ne contient aucun featuring. Pourquoi avoir fait ce choix ?
N : Je n’ai jamais fait trop de featurings sur mes projets, hormis avec Lord Esperanza, Anna Majidson, Le Sid et Jäde. Sur Mon cœur bat, il y a seulement Jäde qui a des voix sur « Marmelade ». J’ai du mal à proposer des collaborations. Je préfère quand tout se déroule naturellement, presque par hasard. Je pense que l’album n’a pas besoin d’une plus-value extérieure, car il est introspectif. Après, c’est vrai que c’est plus vendeur d’avoir des invités sur un projet. Il y a aussi le fait que ma voix soit pitchée sous trois formes différentes. C’est pas mal d’informations à assimiler pour les auditeurs.
- CM : Selon moi, la force de Mon cœur bat demeure sur son côté second degré, avec des punchlines drôles et décalées. Est-ce un aspect que tu as particulièrement travaillé ?
N : J’ai commencé le rap avec des punchlines drôles. Dans les open mics à l’époque, il fallait se différencier. C’est ma marque de fabrique. Dans la vie quotidienne, je suis full second degré. J’aime trop les rappeurs qui arrivent à avoir des images comiques. En général, les gens sont particulièrement touchés par ces punchlines. Cela renforce la proximité avec mon public et c’est anti street cred.

- CM : Dans plusieurs morceaux du projet (Casper, Salomon Fall In et Polaire), tu t’es amusé à modifier ta voix comme tu l’as dit précédemment. Considères-tu ces voix comme des alter-égos ?
N : Non, je ne dirais pas ça. Elles ont toutes des sens différents. J’aime l’esthétique d’une voix modifiée. Surtout, ces voix me permettent d’aller au bout de certaines idées, tout en me cachant. Par exemple, sur « Casper », je suis trop premier degré pour assumer la proposition.
- CM : C’est un peu paradoxal sachant que tu proposes une musique « libre ».
N : Exactement (rires). Je n’assume pas ce côté premier degré, hormis sur « Je pleure quand ma mère pleure » ou quand je rap sur « Qui veut la peau de Kiwibunny ? ». Quand il s’agit de chanter, c’est compliqué pour moi. J’ai l’impression d’être Louane (rires). Ces voix sont impactantes, car elles renforcent ma vulnérabilité.
- CM : Tu laisses aussi de la place à des morceaux love légers que tu maîtrises sur le bout des doigts comme « Marmelade » et « Fille que j’aime ». C’est ta recette. Est-ce facile pour toi de faire ce type de morceaux ?
N : Oui. Pour te raconter, on a fait « Fille que j’aime » en vingt minutes. Les titres love, rap-égotrip et chill sont mes trois axes majeurs. Maintenant, il y a un quatrième qui s’est ajouté avec « Fall in.. » et « Salomon ». Ce sont des types de morceaux que je maîtrise et que j’aime faire. Il y a un côté minimaliste que j’apprécie. Ça apporte une vraie couleur au projet.
- CM : Dans les thématiques abordées, les relations amoureuses reviennent beaucoup. Est-ce ton moteur principal d’inspiration ?
N : Ça dépend des moments. Pour l’album, je ne me suis jamais dit que je voulais faire un morceau sur un thème précis. C’est juste que ce sont les titres love qui ressortent à chaque fois. Le spectre de l’amour est présent, car c’était mon mood au moment de la conception du projet. C’est un sentiment important qui me permet de rêver.
- CM : Un morceau se dégage particulièrement du projet, c’est « JE PLEURE QUAND MA MERE PLEURE ». Était-ce difficile de l’écrire ?
N : C’est un titre que je voulais écrire depuis longtemps. J’avais plusieurs phrases stockées dans une note sur mon téléphone à propos de mon père. Je n’arrivais pas à trouver la bonne prod et le bon moment pour tout déballer. Encore une fois, c’était trop premier degré et cela représentait trop la vraie vie.
- CM : Quel a été le déclic pour te lancer dans le grand bain ?
N : L’anecdote est assez drôle. J’étais seul en studio. J’ai trouvé une boucle sur un type beat. Au même moment, il y avait La Fève, accompagné de son équipe dans le studio d’à côté. Ils étaient en mode détente, l’opposé de mon mood.
J’avais besoin d’écrire ce morceau, car il manquait un peu de moi dans l’album. Je ne me mettais pas assez à nu. Je l’ai terminé à cinq heures du matin, sans aucune énergie. Ça m’a totalement vidé. Quand je fais des sessions d’écoute avec des potes, je le zappe à chaque fois. En revanche, je l’ai déjà réécouté seul. Je le kiffe énormément, car il a un côté libérateur. Je me suis dépersonnifié de « JE PLEURE QUAND MA MERE PLEURE ».
- CM : Sur ce même morceau, tu lâches une punchline qui m’a marqué : « Je regrette tellement ma vie d’avant, celle où je pouvais rêver de ma vie de maintenant ». Au contraire, sur « DES BEES, DES TRUCS ET DES FLOWERS », tu dis : « Parfois, j’ai l’impression d’être une star qui n’a pas tout ce qu’il mérite ». Qu’en est-il réellement ?
N : Les deux morceaux se répondent l’un à l’autre. C’est le résumé de ma vie, comme tous les humains, d’être mélancolique de son passé, tout en kiffant son quotidien actuel. Il y a un certain idéalisme qui accompagne les débuts d’un artiste. C’est le moment où tout est guidé par ta passion. Quand tu es plus gros, il y a des aspects techniques qui peuvent être moins agréables. Avant, je me prenais la tête afin d’avoir un discours homogène. Finalement, j’ai lâché les chevaux pour être plus authentique.
- CM : On qualifie souvent ta musique de colorée. Si tu devais définir Mon coeur bat en une couleur, tu choisirais laquelle ?
N : Je dirais bleu car cela peut représenter le mélange entre la mélancolie et la joie.
- CM : Quel est ton morceau favori de Mon coeur bat ?
N : Je dirais « Casper ». Sur ce track, je me suis prouvé que j’étais capable de faire un son solo, de la composition aux lyrics. C’est celui qui me représente le mieux.
- CM : Tu seras en concert à la Cigale de Paris le 3 octobre prochain. Comment se passe la préparation ?
N : Ça demande beaucoup de temps. On retravaille tous les morceaux pour le live. Il y aura des musiciens avec moi et un backeur. Ce show est symbolique car c’est ma plus grande scène sur Paris en solo et surtout ma préférée. En plus, ma mère connaît la salle (rires). Il y a un peu de pression, mais ça va être génial.
Comme vous l’aurez compris, Mon cœur bat est un album introspectif, où chacun peut trouver son bonheur. Dans un rap français tourné de nouveau vers la Trap, Nelick offre une proposition sincère et impudique afin de renforcer la proximité avec son public.
L’album est à retrouver dés à présent sur toutes les plateformes de streaming.