Actualités Musique

Entretien avec Keny Arkana

Entretien avec Keny Arkana

Keny Arkana, artiste hip-hop rebelle et anti-conformiste, vient de sortir un Street album, L’Esquisse 2, disponible dans les bacs et sur les plateformes de téléchargements légales. La rappeuse prévoit également la sortie d’un nouvel album courant 2012. Keny Arkana qui écrit dans l’un de ses morceaux « tu ne me trouveras pas au bout du fil » (A la vibe & Mektoub) a pourtant décroché le téléphone pour une interview en exclusivité sur booska-p …

Tu fais actuellement ton retour avec ton projet l’Esquisse 2, après ton dernier mini CD concept, Désobéissance. Pourquoi as tu mis autant de temps entre ces 2 projets? Qui plus est pour sortir un street CD et non pas un album.

À l’époque, j’ai réalisé l’Esquisse, Entre ciment et belle étoile et Désobéissance, plus ou moins dans la même lignée. J’ai vraiment enchainé les 3 projets et là j’avais envie de faire autre chose, me sortir un peu du business de la musique. Puis le temps passe vite, je me suis réveillée un matin et je me suis dit que ça serait bien que je réenclenche. Je me prenais pas mal la tête sur le prochain album ; les textes, les thèmes etc… Je voulais m’amuser un peu, faire du rap. C’est comme si on repartait à zéro, j’avais laissé passer pas mal de temps, je souhaitais revenir avec un petit truc sans prétention, sans pression.

Qu’est ce que tu fais pendant ce temps, entre tes différents projets?
Je fais plein de choses. Je vais pas mal en Amérique du sud. Je ne fais pas que des projets musicaux non plus, j’ai besoin de me retrouver moi aussi, de voyager, de kiffer, de vivre etc.

De vivre, il n’y a donc pas uniquement le rap?
Voilà, vivre pleinement, vivre avant d’exister. Voyager, rencontrer des gens, ça me paraît important aussi.

Dans un morceau présent sur ce dernier projet tu en parles justement de cette volonté de vivre, A la vibe & Mektoub. Qu’est ce que tu entends par mentalité mektoub ?
C’est un peut ça en fait. Tous les endroits où je peux être, aussi bien le quartier que Mexico où je sais pas où.

Comment ils le vivent ça tes proches, le fait que tu sois injoignable la plupart du temps ?
Ils savent que s’ils veulent me joindre, il faut qu’ils passent par l’un de mes collègues. Je sais que ce n’est pas toujours simple. Mais quand tu as un téléphone et que tu n’es pas joignable, les gens deviennent vite paranos. Je suis comme ça, mentalité mektoub.

Dans l’Esquisse 2, on a senti que tu avais évolué au niveau du rap. Sur « Freestyle du Maquis » on t’entend même kicker. On t’avait jamais vraiment entendu rapper comme ça, on sent vraiment que là tu t’es mise en mode rap sur ce projet.

Sur l’Esquisse 2 je dois avoir 4-5 morceaux qui datent de 2008-2009 et celui-ci c’est un morceau qui date de 2008. En 2006 ça disait « Oui ceux qui font du rap conscient ne savent pas rapper », les gens pensent que parce que tu as choisis de faire du rap conscient que tu ne sais pas rapper, ils pensent qu’on est en là en touriste. Donc voilà ce morceau c’était pour m’amuser un peu et montrer que si je veux je peux kicker. Oui sur l’Esquisse 2 j’avais vraiment envie de m’amuser et de montrer que si j’ai envie de kicker je le peux aussi. Je me suis avant tout fait plaisir au travers de ce projet.

Et dans le morceau Hors game, tu as toi même réalisé la prod ?
Oui

C’est quelque chose sur lequel tu souhaites davantage t’investir à l’avenir?
Ça m’arrive parfois de faire des prods mais chaque personne a sa place quant même. Je n’ai pas la prétention d’être beatmakeuse et que d’un coup je vais réaliser toutes les instrus de mon album. C’est un travail à part entière. J’écris avant tout mais si j’ai des idées, je les réalise.

Dans ce morceau justement, Hors Game (comme son nom l’indique) comment te situes-tu dans le rap français ?
Je suis issue de la culture rap, depuis toute petite j’écoute du rap américain, du rap français, mais à la base c’est vraiment le mouvement hip hop qui m’a touché, le hip hop et tout ce que cela représente. Sauf qu’aujourd’hui le « Rap Game » c’est un peu le contraire du Hip Hop, comme je le disais dans un de mes textes, « vive le Hip Hop et fuck le game. » Le hip hop nous titre vers le haut, ensemble, alors que le rap game se tire dans les pattes. Après, je ne me situe pas vraiment. Je fais ma musique par rapport à mes sensibilités personnelles, par rapport à mon vécu etc… Le rap, pour tous les rappeurs, c’est avant tout notre espace de liberté donc si on peu pas être sincère est naturel dans notre espace de liberté à quoi ça sert ?

Mais justement par rapport à ça, tu as posé sur le morceau Téléphone arabe et même si vous ne vous êtes pas tous retrouvés en studio, tu es quant même présente sur un morceau avec des rappeurs qui sont peu être à l’opposé de ton discours. As-tu réfléchis à cela quand Médine t’as proposé ce projet?

Moi j’étais cool. Je n’ai pas de problème avec les autres rappeurs ce n’est pas parce qu’on est pas dans les mêmes délires qu’on est en guerre pour autant. Dans mon quartier ils sont pas dans mon délire c’est pas pour autant que je les déteste, je les aime quand même. Je suis pour la liberté de chacun, je suis pas là pour faire la morale aux gens. Parfois les gens confondent le rap conscient et le rap moralisateur, Conscient c’est juste avoir conscience dans le monde dans lequel on vit, le fait de pas se voiler la face, la morale c’est pas trop mon délire, je ne suis pas un exemple. Les autres MC’s font la musique qu’ils ont envie de faire et si je ne l’aime pas, je ne l’écoute pas. Mais je trouvais le projet de Médine intéressant : ce concept de rumeurs et de vitesse que cela peut avoir, même à l’intérieur du rap. Puis c’est original de faire venir pleins de personnes comme il l’a fait. C’est aussi de montrer aux gens que même si les artistes de rap français ont des univers très différents les uns des autres, on peut quand même tous se réunir le temps d’un morceau. On fait de la musique avant tout.

Selon Because (La maison de disques) tu définirais l’Esquisse 2 comme un street CD mais en l’écoutant, ça sonne comme un album. Si tu définis ce projet comme un street enregistré à l’instinct, je me dis que l’album qui arrive va être lourd.
Ça dépend des personnes, je me rappelle qu’à l’époque il y avait des gens qui me disaient préférer «L’Esquisse » que « Entre ciment et belle étoile ». Certaine personnes aiment peut-être plus quand je pose spontanément comme sur ce CD, d’autres plus quand c’est plus profond mais après c’est deux vibes différentes. Moi je préfère la profondeur, on n’est pas beaucoup à avoir la parole donc j’essaye d’amener des matières qui poussent à la réflexion dans l’album, chose que je ne fais pas forcément sur l’Esquisse 2 qui est plus instinctif, plus ludique. Mais même sur l’album en préparation où j’essaye de donner un peu plus de profondeur, il y’ a toujours une part de spontanéité dans mes albums. Je me laisse porter par l’émotion quoi qu’il arrive.

Tu délivres beaucoup de messages pourtant tu refuses de rentrer dans la sphère des médias. Comment penses-tu pouvoir délivrer un message à un grand nombre si tu ne passes pas par cette étape?
Les médias, la télé etc… ce n’est pas toujours bon. Tu peux avoir un morceau très fort demain s’il passe en boucle sur les médias, il perdra automatiquement de sa puissance. Je suis peut-être un peu Old School dans ma tête je préfère faire parler la musique parce que c’est la musique le plus important. Aujourd’hui c’est beaucoup le paraitre, les gens vont kiffer un artiste pour le paraitre, c’est tout un pack même s’il ne savait pas rapper et que sa musique c’est de la merde les gens vont quand même kiffer. Avant on ne connaissait même pas la tête qu’avaient les rappeurs, on s’en foutait, ça rappait ou ça rappait pas on en avait rien à foutre de savoir comment le gars était. Moi je suis un peu à l’ancienne, je préfère que ma musique soit plus connue que ma tête. J’ai confiance aux bouches à oreilles. Si ma musique est « utile » les gens la feront tourner quoi qu’il arrive. J’ai toujours eu une vision de la musique « thérapeutique », quand j’étais petite j’étais toujours en fugue, ça m’a vachement apporté, des fois ça m’a freiné quand je voulais faire des grosses conneries ou que j’avais la haine. Après le rap de l’époque c’est pas le même que le rap d’aujourd’hui, le rap de l’époque les MC’s étaient plus jeunes mais ils disaient des vraies choses je me dit « putain heureusement je suis pas ado aujourd’hui avec le rap actuel » Moi j’étais une paumée et le rap ça m’a aidé tu vois, donc maintenant que je suis de l’autre côté de la barrière, j’aimerais que mon rap puisse aider lui aussi, « rende service » amener les gens un peu plus vers le haut. Ça sera ça ma satisfaction et comme je suis partie sur cette optique à la base je me suis dit que je ne vais pas matraquer les gens pour que d’un coup ils aiment et ils achètent. Je veux que le disque soit dans les bacs, qu’il tourne sur internet qu’il tourne là où ça doit tourner et où les gens veulent bien le faire tourner.

Et ça a marché puisque la 1ère semaine tu as déjà vendu 6000 albums. Les gens avaient visiblement envie d’écouter ton message. Sans aucune promo c’est énorme.

Oui ça fait plaisir de voir qu’après quelques années de silence les gens soient resté, mine de rien ça fait 3 années de silence, même le site internet n’était pas mis à jour. Ça m’a touché que les gens soient toujours là.

Ça t’a étonné ce score, ou tu t’y attendais ?
Je ne sais pas trop si c’est bien ou pas bien, je suis un peu loin de tout ça. J’ai eu les échos des gens que j’ai eu l’occasion de croiser et ils m’ont dit que le projet leur avait plu. Après, peu être qu’ils n’osent pas me dire que ça ne leur plait pas. Moi ce que je me dis c’est que 6000 personnes sont sorties de chez eux pour aller acheter le disque. Ça fait du monde, ça fait plaisir. Puis si 6000 personnes l’ont acheté peu être que 30 000 – 40 000 personnes l’ont écouté.

6000 ventes sans grosses promo c’est déjà énorme. Et tu n’as jamais fait de Planète rap ?
Non je n’ai jamais fait Planète Rap

Pourquoi ?
J’ai croisé une seule fois Laurent Bouneau, c’était par hasard à Because c’était avant que je sorte mon album, et je lui ai dit que je ne voulais pas passer sur Skyrock, non pas que je suis en guerre avec eux, j’ai pas la haine contre Skyrock. Je n’oublierais Jamais que c’est Fred l’un des premiers à avoir passé mon son à l’époque de mon groupe, à l’époque de ma mixtape, alors que la plupart c’était du pistonnage, je ne faisais pas partie de la grande famille du rap parisien. Je ne voulais pas faire de Planète Rap parce que j’estime qu’un jour Skyrock changera de style de musique, Skyrock ce n’est pas une radio Rap, si demain les jeunes kiffent un autre style de musique, Skyrock jouera ce style de musique. Il faudrait que les artistes de rap commencent à construire sans Skyrock, parce que si demain tous les artistes de Rap ont le public de Sky et que Sky décide de passer une autre musique à la mode, ça voudra dire que c’est la fin du rap alors ? Ça me paraissait important de construire mon chemin sans eux. Encore une fois je n’ai rien contre Sky, Laurent Bouneau c’est quelqu’un que je respect, c’est plus la politique qui ne me correspondait pas.

C’est un peu ta ligne directrice anti-système ?
Je suis intègre avec ce que je suis, je suis anti-système mais j’ai quant même signé dans une maison de disques. Mes albums se vendent chez Virgin, à la Fnac etc… Il faut savoir entrer un minimum dans le système mais savoir pourquoi on y est.

Tu en parles justement dans Odyssée d’une incomprise, tu dis « j’ai eu peur de me trahir quand j’ai vu arriver la gloire »
Au début, je ne savais pas comment je réagirai avec l’argent, la gloire etc. On peut être intègre avec plein de bonnes idées puis les oublier au bout d’un moment… Nous ne sommes que des êtres humains, on peut « vriller ».

Ça t’a fait peur le succès, les disques d’or, l’argent, la gloire ? C’est pour ça que tu t’es mise en retrait ?
Je crois que tout est lié. J’avais besoin de prendre du recul par rapport à tout ça. Et quand ça a marché à l’époque de « Entre ciment et belle étoile » je me suis posé la question, est-ce que moi aussi je ne vais pas me faire manger ?

Et finalement ça va tu t’en es sortie ?
Oui finalement ça va il ne m’ont pas croqué, mais bon le combat n’est pas fini (rires).

En écoutant un de tes anciens morceaux, Jeunesse d’occident (Esquisse1) on se sent plonger dans l’actualité avec les différentes révolutions et bouleversements du monde arabe. Qu’en penses-tu aujourd’hui ?
C’est dans l’air du temps. On a détruit la planète et l’humanité en 60 ans. Certains ont envie de se voiler la face mais la vérité c’est que ça n’a pas finis d’exploser. Si ce ne sont pas les peuples qui le feront, c’est la planète elle même qui va lâcher. Personnellement, j’ai du mal à imaginer encore deux générations après la mienne si il n’y a pas de changement. La situation est tendue, cette période plus que toutes les autres. Les hommes vont se révolter dans le monde entier. Il y a eu le Monde arabe, la Grèce, l’Espagne… Mais il y a aussi beaucoup d’autres pays où ça explose mais sur lesquels les médias ne communiquent pas, comme pour l’Iran actuellement.

Tu en parles dans « Une décennie d’un siècle ». Tu dis que les choses ont changé en si peu de temps, que tout va trop vite.
Depuis le 11 septembre beaucoup de choses ont changé. En 10 ans on a assisté au changement d’un siècle avec Internet, les portables etc. Il ya désormais un communautarisme mondial et une islamophobie forte. C’est le retour des croisades.

Dans ce morceau (Une décennie d’un siècle), on sent que ce dont tu parles est bien réel. Comme pour l’affaire DSK : un jour il est l’un des hommes les plus puissants, le lendemain il n’est plus personne.
Tout va vite. C’est aussi le côté spectacle, politique hollywoodienne. Il n’existe plus de politique maintenant, il n’y a que du business. La politique à la base c’est la manière qu’on a de s’organiser ensemble. Seul l’être humain pourra réparer ses erreurs. On peut se voiler la face mais il arrive un moment où ça va nous claquer entres les doigts. C’est sûr que les peuples vont commencer de plus en plus à se réveiller, à résister et se rebeller contre les gens d’en haut. Mais il faut aussi penser à reconstruire derrière pour ne pas faire les mêmes erreurs sinon ça ne sert à rien.

Pour finir, est ce que tu as d’autres projets prévus: tournées, concerts ?
Pour l’instant, j’ai 4-5 concerts mais essentiellement des festivals ou des trucs de soutient. Je souhaite vraiment me concentrer sur l’album en préparation pour l’instant donc je n’ai pas envie de partir sur une tournée mais ça viendra surement après la sortie de l’album.

Donc ton album sort début 2012 ?
Inch’Allah.

Merci à toi en tout cas Keny Arkana
Merci à vous les gars, je sais que c’est pas trop votre délire les interviews écrites mais bon vous aussi vous montrez jamais vos têtes sur Booska-p. (rires)

Top articles

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT