A l’occasion de la sortie de son album Sarah, Hyacinthe est passé chez Booska-P. De quoi causer de Niro, du Japon, mais aussi de Jul et de l’amour chez les rappeurs…
Se qualifier de rappeur bizarre tout en gardant le sourire, voilà qui n’est pas anodin. Pourtant, c’est ce qu’a fait Hyacinthe en toute décontraction. Derrière le micro depuis quelques années déjà, le Parisien débarque avec Sarah. Un premier album solo qui assoit un peu plus son personnage, après des projets en compagnie de ses fidèles du collectif DFHDGB (Des faux hipsters et des grosses bites), L.O.A.S et Krampf. L’occasion pour Booska-P d’en savoir plus sur un artiste sentimental et éclectique, capable de parler d’amour sur du gabber et de shooter un calendrier au Japon.

Qu’est qui a changé avec Sarah ?
Je voulais que le projet soit vraiment compris par tout le monde, que ce soit quelque chose de frontal. Même si je suis toujours un rappeur bizarre, il fallait que ce soit plus direct. Là, par exemple, tout le monde me parle de mon père vu que j’en parle beaucoup dans cet album. Mais en vrai, j’en parlais déjà beaucoup avant. C’est juste que c’était disséminé au milieu de plein de choses. Là, avec le morceau Dans mes paumes, d’un coup, c’est super frontal, l’instru est squelettique, il y a trois grosses phrases… C’est super simple, mais tu te prends le truc dans la gueule, c’est aller à l’extrême de la démarche ! J’ai essayé de faire en sorte que ce soit moins subliminal, qu’il y ait un truc émotionnel plus brut, que ça fasse comme une bonne patate.
Tu cites souvent Niro comme référence émotionnelle, tu te sens proche de lui ?
Tu connais le titre Perdu ? Pour moi, c’est juste un des meilleurs morceau de l’histoire de cette musique. Le deuxième couplet avec « J’voulais l’salaire à Eto’o, ils m’ont dit faudra t’lever tôt / J’me suis lever tôt, il caille sa mère, il y a pas un euro dans l’ghetto« , tu vois ? Les rimes sont simples, ça ne tortille pas du cul. J’aime bien sa façon de jouer avec la voix. On ne vient pas du même milieu social, on ne traîne peut-être pas avec les mêmes personnes, on n’a pas des tonnes de choses en commun finalement, mais il y a une émotion brute, ultra violente, qui dépasse tout ça.
Ce qui est cool avec l’album, c’est que tu as plein de gens qui rentrent dans le délire par des portes différentes
Et juste avant tu te présentais comme un rappeur bizarre… Mais c’est quoi au juste ?
Non mais ça ne veut rien dire (rires) ! Aujourd’hui, tout est bizarre, la vie est bizarre… Dans ma manière d’écrire, c’est comme un patchwork de plein de choses. Un truc un peu différent qui fait que si t’es habitué à écouter un style précis, t’es un peu dérouté. Là ce qui est cool avec l’album, c’est que tu as plein de gens qui rentrent dans le délire par des portes différentes, il n’écoutent pas tous la même musique ou ne viennent pas tous du même milieu. Tu as ceux qui viennent du gabber et du hardstyle qui aiment le morceau Dans ma vie, t’as ceux qui viennent du rap, d’autres de la musique électronique ou de la chanson française grâce à certains titres. Moi, je viens vraiment du rap et c’est bien d’avoir des mecs qui te disent : « j’écoute que du Kaaris, ton truc je le trouvais chelou au début, mais aujourd’hui je trouve ça cool« . C’est bien de faire découvrir quelques trucs nouveaux à des gens différents.
En résumé, t’es un enfant de ton époque ?
C’est un truc qui n’est vraiment pas calculé. Historiquement, j’ai surtout écouté du rap depuis très jeune. Du rap français en particulier, car le rap ricain est venu dans un second temps. De 2003 à 2010, je n’ai écouté que du rap français. Et puis la vie a fait que je me suis mis à traîner avec des gens qui écoutaient d’autres trucs, à fréquenter d’autres milieux et ça m’a nourri. C’est une colonne vertébrale avec plein d’autres trucs. C’est le même délire que plein de personnes aussi. J’ai l’impression que le rap c’est ça, la base c’est quand même le sample. Au début, nous on samplait de la musique électronique assez pointue (planète Mu, WARP, etc). Au final, j’ai l’impression que je fais une musique très européenne, je ne suis pas très américain. Je me sens plus proche de ce qui se fait en Hollande, que de la soul américaine par exemple. Le rap français, plus ça va, plus ça a une identité propre. Un gars comme Jul, au-delà du fait que j’aime sa musique, c’est quelqu’un que tu ne pourrais pas imaginer dans autre époque et dans un autre endroit que Marseille. Jul, il prend les influences de la France d’aujourd’hui, il a le rap marseillais, le rai, le reggaeton, la variété des années 80… C’est à l’image de Marseille, une ville cosmopolite. Moi, je trouve que Marseille ça tue, j’adore cette ville. Je trouve que les Parisiens sont trop snobs avec. Par exemple, on peut dire ce qu’on veut, mais la mode des mecs à cheveux longs, ça vient de là-bas.

A Marseille, les mecs vont au bout de leur délire. Au Japon aussi, un pays où tu as shooté ton calendrier…
J’y suis allé et c’est vrai qu’ils sont à fond dans leur truc les japonnais. Attention, ils ne sont pas tous che-lou, mais là-bas, si tu aimes un truc, quelle que soit ta passion, tu pourras assouvir ton délire. Eux pour aller jouer aux jeux d’arcade, ils ont des buildings pour ça, rien à voir avec la France ! Au niveau du design c’est pareil, on s’est retrouvé dans un bâtiment inspiré du film Alien. Quoiqu’ils fassent en fait, ils iront toujours plus loin… Pour le délire du calendrier, j’ai squatté chez un ami à Tokyo, Pierre, qui s’occupait de toutes mes photos de presse avant. On s’est dit « vu qu’on est là, autant faire un truc » et j’ai eu cette idée de calendrier (rires) ! On a exploré la ville, c’était durant deux semaines assez débiles pendant lesquelles j’ai bu beaucoup trop d’alcool et pas assez dormi. Au total, j’ai dû perdre deux ans d’espérance de vie (rires). J’aime bien reprendre des éléments de la pop culture, là, c’est comme si j’étais un boys band à moi tout seul avec ce calendrier. Quand j’étais jeune, j’achetais des magazines et j’étais content d’avoir un poster de B2O dans ma chambre. Là, je fais ça à ma sauce, dix ans plus tard.
Je suis un petit rappeur au coeur sensible (rires). Je raconte mes histoires. Mais tous les rappeurs sont comme ça
Récemment, tu avais déclaré « Je me fous des chiffres, je veux être là dans dix ans ».
Je sais qu’il y a des gens qui vont découvrir l’album petit à petit et d’autres qui sont là dès la première semaine, mais l’idée, c’est d’avoir de nouvelles personnes qui te suivent. Faire un buzz puis vivre de showcases pendant deux ans, ça ne m’intéresse pas. Quand ça va trop vite, j’ai l’impression que tu peux te casser facilement la gueule. Moi je fais mieux à chaque projet, je fais plus de concerts, ça me va. C’est super tout ce qui m’arrive, mais je reste dans ma ligue, dans mon truc, je suis un peu tout seul dans mon créneau. Je n’ai pas pris l’autoroute, j’ai préféré les petits chemins, mais au moins j’ai mon sentier pour moi, j’ai juste à continuer. Après, on se débrouille, on streame et on vend des calendriers (rires) !

Du temps a passé depuis Des hauts, des bas, des strings (2012), mais la question de l’amour reste centrale dans cet album.
Il y a des choses, la mort, le sexe, l’amour, qui font partie de la vie et que tu retrouves partout. C’est une source d’inspiration, oui. Après, je suis un petit rappeur au coeur sensible (rires). Je raconte mes histoires. Mais tous les rappeurs sont comme ça, il y en a plein que tu croises et qui te disent « putain, je me suis embrouillé avec ma meuf, je ne vais pas bien« . C’est juste que moi je fais plus de chansons dessus et que je l’assume. Je pense que ça infuse sur tout ce que je fais. J’ai l’impression que plus tu restes toi-même, mieux c’est. Pour ma part, j’ai toujours été sincère et il faut continuer comme ça.
Je suis du genre à prendre plusieurs directions, j’ai besoin de me perdre un peu
Sincère, mais avec pas mal de featurings. Là, on peut compter sur Jok’air, Laylow, The Pirouettes et Ammour…
Ammour, dès qu’il y a eu des morceaux avec des coeurs ou une voix féminine, c’était elle. Déjà en 2013 sur le morceau Minuit, c’est elle qui le faisait. Concrètement l’album, je l’ai fait comme avant, c’est complètement en mode do it yourself. Au niveau des feats, on va dire que j’ai du mal à travailler avec des gens qui ne sont pas mes potes. Je ne vais pas te dire que je prends des cafés tous les matins avec tout le monde, mais il faut qu’il y ait un truc. Jok’air ça fait dix ans qu’on se connaît, LOAS, c’est même pas la peine d’en parler, The Pirouettes c’est des potos, Laylow est super cool, et Ammour c’est ma meuf.
Maintenant que ce projet est terminé, comment tu envisages la suite ?
J’ai commencé à écrire de nouveaux morceaux. Mais je suis du genre à prendre plusieurs directions, j’ai besoin de me perdre un peu. Il y a ce moment qui devient un peu inquiétant pour les personnes qui bossent autour de moi, des adultes responsables qui ont besoin que je fasse des trucs bien (rires). Il y a des ébauches dans cet album, comme dans « Arrête d’être triste », que j’ai envie de pousser plus loin. Mais ouais, j’ai vraiment besoin de me perdre. Je peux passer deux mois sur une chanson et ne pas la garder. Comme je peux trouver un super truc au bout de cinq minutes. Là j’ai lancé des directions, je sais un peu où je veux aller. Je suis sérieux, concentré, mais je ne veux pas me prendre la tête. Je m’autorise à aller vers des chemins casse-gueules, surtout au début.

Hyacinthe sera à retrouver sur scène le 30 novembre à Paris, dans le cadre du Festival Terres Hip-Hop. Il y a une semaine, il avait d’ailleurs retourné la Boule Noire. Un fait d’armes à retrouver juste ici :