Lorsque l’album Le code de l’honneur voit le jour, Rohff vient d’avoir 22 ans. Certifié classique, cette première livraison contient plusieurs perles. Parmi celles-ci, le titre Génération Sacrifiée.
Membre de la Mafia k’1Fry, Rohff fait ses premières armes aux côtés du groupe Expression Direkt, sur le projet du T.I.N et Weedy, Guet-Apens. Nous sommes alors en 1996. C’est grâce à la compilation Première classe, en 1999, que le Vitriot va véritablement être mis en lumière, avec le morceau On fait les choses, en featuring avec les Neg’ Marrons, Mystik et Pit Baccardi. Ses diverses collaborations et son maxi Appelle moi Rohff lui permettent également d’accéder au statut de rookie. Au mois de décembre 1999, le rappeur d’origine comorienne passe à l’étape supérieure : celle du premier album solo. C’est le label du T.I.N. d’Expression Direkt, Phénomène Records, qui va se charger de produire Le code de l’honneur.
Même s’il ne jouit pas d’une forte promotion, ce disque va connaître un immense succès d’estime, à défaut d’être une réussite commerciale (50 000 ventes à une époque où les albums de rap français se voyaient régulièrement certifiés disque d’or). Housni M’Kouboi ne fait clairement pas dans la dentelle. La rage est palpable. Rohff aligne les morceaux hardcores, plage après plage. « Ma mère, elle tombait sur mes cahiers quand elle faisait le ménage, et elle se disait : « Mais qu’est-ce qu’il raconte mon fils ? » Elle, elle était fière de pouvoir dire que je ne manquais de rien. Moi j’écrivais qu’elle avait du mal à payer l’électricité », expliquera-t-il plus de dix ans plus tard (au moment de la sortie de La Cuenta, ndlr.).
« Toute une génération noyée par la fume »
Puis, arrivent deux titres, plutôt différents du reste de l’album. Même si l’amertume est toujours présente, Du fond du cœur et Génération sacrifiée apportent une couleur mélodique à l’album. Très longs et sans refrain, ils s’emboîtent à merveille. Sur le deuxième, Rohff dépeint parfaitement les tourments de la jeunesse des quartiers populaires, sur une production de Weedy (Expression Direkt) :
« Sachez… que… si autant de jeunes se sacrifient, ce n’est pas pour rien
Y’a aucun plaisir à se suicider, si ce n’est pour assouvir notre faim
Avant la fin de cette chienne de vie
On espère en vain respirer une meilleur vie enfin quitte à risquer sa vie enfin c’est notre avis
Toute une génération noyée par la fume, la solitude
Et quand on marche en bande chacun a son vécu, son attitude
Ses réactions, ses pulsions, ses ambitions, ses directions
Le plus souvent dans le banditisme et transactions
Pour les gens qui font de l’argent intelligemment
Quant aux mineurs qui agressent les gens dans la rue méchamment
Un conseil : joue pas le malin avant que ce ne soit trop tard
Avant que tu ne fasses de la taule
Tombe dans la fume, l’alcool, va à l’école déconne pas »
Visionnaire
Voici les paroles des 35 premières secondes de ce son extrêmement touchant. Comme son acolyte Kery James, Rohff dresse un constat terriblement réaliste de la vie des jeunes dans les cités HLM. Il n’hésite pas à se montrer moralisateur et à pointer du doigt celui qu’il estime être le coupable de la situation : l’État français. Douze ans plus tard, les lyrics sont -malheureusement- toujours d’actualité. Pour preuve, ces quelques mesures se situant à la fin du titre :
« Je sens la crainte en observant de loin les gamins
Quand je repense à hier en voyant aujourd’hui j’imagine demain
Sur le terrain, ils voudront nous abattre comme du bétail,
On fera la guerre dans nos quartiers, transformés en champs de bataille »
Génération sacrifiée est considéré par bon nombre d’auditeurs de rap français comme l’un des tous meilleurs morceaux de la discographie de Rohff, si ce n’est le meilleur. Transpirant de réalisme pendant plus de sept minutes, ce son donne toujours autant de frissons.
