Nouvelle tête montante du rap français et porte-étendard d’un rap street, Niaks a sorti son quatrième projet Tout droit le 16 mai dernier. Porté par le succès de plusieurs titres marquants comme Mahmouma, Manolo, ou Ninetta, le rappeur de Mantes-la-Jolie se confie sur son parcours, entre musique et résilience. Pour l’occasion, il nous a ouvert les portes de son quartier, le Val Fourré, et partagé son histoire avec sincérité.

À 60 kilomètres de la capitale, au cœur de l’une des plus grandes cités d’Europe, le Val Fourré, c’est là que l’on retrouve Niaks. « Ici, c’est la zone commerciale du Val Fourré. Je vais vous faire visiter un peu, et on va passer par mon local », lance-t-il, sourire aux lèvres. Le soleil tape fort, l’ambiance est vivante. Le centre, c’est le point de ralliement du quartier. Dans les cafés et les commerces, les anciens croisent les jeunes, tout le monde se connaît. Sur le chemin, Niaks salue ses bonvieux qui le félicitent pour son dernier projet et pour avoir rempli La Cigale quelques semaines auparavant. « Cette route-là, c’est la ligne verte. Parce qu’ici, il s’est toujours passé des dingueries », m’explique-t-il. Je lui parle alors du projet du groupe VF Gang, issu de Mantes-la-Jolie, qui porte ce même nom. Il confirme : « Oui, c’est une référence directe à cette route. » Fier de nous accueillir chez lui, Niaks nous emmène dans son local. Il nous parle avec enthousiasme de ses projets futurs pour la ville : une salle de radio, un studio, aux murs ornés de graffitis de Pablo Escobar, des Affranchis ou encore des références à GTA et d’autres figures emblématique. C’est dans ces lieux que Nordine Khair se confie.
Walid : Dès l’âge de 13 ans, tu étais déjà dans la musique, tu rappais même devant Tunisiano à l’époque. Qu’est-ce qui t’a donné envie de commencer la musique ?
Niaks : Bah, t’es chez toi, à la maison, t’es bloqué, t’as pas le droit de sortir, tu regardes la télé… Zik à l’époque, MCM, des trucs comme ça, MTV… Les grands, ils écoutaient du son à fond en bas, ça vient tout seul.
W : Les goûts musicaux sont souvent une histoire de famille. Toi, c’était comment à la maison ?
N : J’avais des grands frères et grandes sœurs qui écoutaient du vrai son, des vrais artistes à l’ancienne, comme Kery, Rohff, etc. Et je pense que j’ai eu une très bonne éducation musicale. J’ai pas écouté que du rap, j’écoutais aussi de la variété. Il y a eu Gilbert Montagné, Édith Piaf, des sons
comme ça… Les grands classiques français ! J’ai appris à les écouter, et j’ai aimé ! C’est peut-être ça qui fait que j’ai une facilité à m’ouvrir à d’autres publics.
W : Le 16 mai, tu as sorti ton quatrième projet Tout droit, après cinq ans de carrière. Avec du recul, comment tu vois ce début de parcours ?
N : Quand je dis que devant c’est tout droit, c’est qu’on ne s’arrête plus, on ne regarde plus derrière. On est focus sur les objectifs, et on les atteint petit à petit. On est en progrès, en constante évolution, donc c’est en cohérence avec le titre de l’album, Tout droit. Moi, je me professionnalise petit à petit, on ramène de nouveaux ingrédients. Tout est concentré, focus, et ça va marcher.

W : Tu as commencé avec un style très brut, très rue. Aujourd’hui, on te voit aller vers différentes ambiances. Comment tu expliques cette ouverture musicale chez toi ?
N : En vrai, je me suis ouvert dès le début. J’ai commencé à utiliser l’autotune, à être mélo, à chanter. Je suis comme un combattant de MMA : il est complet, mais sa spécialité, c’est l’anglaise ou le sol. Moi, c’était le rap hard et de rue. Mon objectif, c’est d’élargir encore plus ma fanbase, de
faire comprendre et reconnaître mon travail encore plus qu’il ne l’est déjà, et de devenir une grosse tête. Mais dès le début, je prenais le risque de m’aventurer vers d’autres horizons, sans me dénaturer bien sûr.
W : Comme tu l’as dit, ta spécialité, c’est le rap street. Aujourd’hui, paradoxalement, c’est un style marginalisé par une partie de l’industrie et du public, alors qu’il est à l’origine de la discipline en France. De quel œil tu vois ce phénomène ?
N : C’est mon terrain, et je ne suis pas le seul. Je compte, j’espère, faire partie de ceux qui vont faire bouger les choses. Parce qu’il y a une certaine catégorie de rap qui est un peu négligée. Aux Flammes, ils ont fait un geste en m’appelant, parce qu’ils ont respecté le travail. Ils ont vu qu’on
avait réussi à se rendre incontournable, et c’est ce travail-là qu’on veut mettre en avant : donner plus d’importance à ceux qui font ce qu’on fait dans mon univers.
W: T’es issu des Yvelines. Historiquement, dans le rap, on retient quelques noms issus du 78, mais il y a quand même eu des périodes très creuses. Comment tu le vois ?
N : Bah oui, c’était un de mes objectifs de mettre le 7-8 en lumière, parce que quand j’étais incarcéré, je me disais : Faut redorer le blason de mon département. Et quand on entendait le 7-8, je voulais qu’on entende Niaks. J’avais faim, je voulais tout casser. Parce que des bonvieux, y’en a plein, et des talents chez moi, y’en a énormément, en termes d’artistes, de compositeurs, de tout ce que tu veux. Mais en vrai, chacun sa période. Tu sais, il y a eu une période, c’était le 9-1, une autre, c’était le 7-7. Je pense qu’on n’a pas encore eu la période 7-8. Elle est en cours, j’y contribue, mais on va la voir, je suis sûr de moi. Et quand elle va arriver, ça va faire mal. Mais chaque chose en son temps. Il faut pas forcer le destin. Avant, ça disait qu’on était maudits, mais en vrai, non. Donc c’est une fierté de faire avancer les choses.
W : Aujourd’hui, tu fais aussi partie des visages du 7-8. Tu t’es toujours revendiqué comme issu de Mantes-la-Jolie et du Val-Fourré. Qu’est-ce que ton quartier représente pour toi ?
N : C’est ma ville. Je suis né à Paris, mais j’ai grandi à Mantes-la-Jolie. J’ai fait toute mon enfance là-bas. Une bonne partie de mon entourage vient de Mantes. C’est là que j’ai eu mes hauts, mes bas. Je suis une fierté pour beaucoup de gens de chez moi, et je suis fier d’être cette fierté. J’espère
continuer à représenter. Et peut-être, qui sait, faire croquer les miens pour mettre la lumière sur une future tête d’affiche. Cette ville, elle a contribué à faire de moi l’homme que je suis.
W : Comment tu peux décrire cette ville ?
N : Tu sais, Mantes-la-Jolie, c’est harr. C’est une ville cosmopolite, avec beaucoup de communautés différentes, mais avec deux grosses communautés majoritaires : les Sénégalais et les Marocains. Les gens ont le savoir-vivre ensemble depuis des années. Y’a aussi des difficultés que je qualifie souvent de Hess Life, c’est la vie au quartier, la débrouillardise, la chienneté. C’est beaucoup de cas comme ça dans toutes les banlieues, et même hors banlieues. J’espère donner de la force à ceux qui vivent aussi ça, parce qu’on l’a aussi vécue.

W : Tu parles souvent de la prison dans tes morceaux. T’as fait 5 ans, c’était pour quel motif ?
N : Cinq ans et demi. Faut rajouter le « et demi », c’est ça le plus long ! J’ai attaqué une agence bancaire. On avait monté une petite équipe, on était surveillés depuis un bon moment, jusqu’à ce qu’on se fasse attraper en flagrant délit. Et puis, on a purgé notre peine pour ça.
W : Durant ton début de carrière, t’étais aussi en cavale. Tu en parles d’ailleurs dans le titre Alain Delon de ton dernier projet, en disant : « Toujours recherché, tu m’verras rarement ». C’est quoi ta situation actuelle avec la justice ?
N : Actuellement, je ne suis plus recherché, Dieu merci. Et ouais, c’est des sons que tu te doutes bien que j’ai faits quand j’étais encore dans cette période de cavale. Et merci Yassine Bouzrou aussi. (Son avocat)
W : Tu as fait quatre maisons d’arrêt différentes. Il y a eu des rencontres qui t’ont marqué en prison ?
N : Ouais, beaucoup, j’ai croisé plein de monde en prison, notamment Golozer à Fleury. Jusqu’à aujourd’hui, certains font partie de mes meilleurs amis. Y’a des gens avec qui j’ai grandi que je n’ai pas autant dans le cœur que ceux que j’ai rencontrés en prison. Là-bas, tu côtoies les gens dans la galère. C’est là que tu vois le vrai cœur des gens : qui est généreux, qui est loyal. Ça m’a permis d’observer, de développer un sens du discernement, j’ai envie de te dire. Quand j’étais mineur, dans mon bâtiment à Porcheville, j’ai rencontré aussi 13or, de L’Skadrille, c’était mon éducateur. J’ai même fait du son là-bas. Je sais même plus où il est ce titre. C’était une petite activité, mais j’ai fait un son là-bas.
W : Et en prison, qu’est-ce que tu as appris ?
N : Ça m’a appris à devenir un homme et à m’organiser. Tu t’instaures une rigueur, une hygiène de vie. Tu te lèves tôt, tu fais ton lit, tu fais ton ménage. T’es obligé, y’a pas papa, maman. Il faut te nourrir, donc faut apprendre à couper les oignons, les poivrons, à cuisiner. L’autonomie, tout ce qu’il y a autour.
W : Est-ce qu’il y aurait eu le même Niaks dans la musique sans la prison ?
N : Ça veut rien dire. Niaks aurait fait quelque chose dans la musique. On l’aurait entendu, je pense, comme on l’entend maintenant. Parce que rapper la rue, c’est pas forcément avoir fait de la prison. Y’a des mecs qui ont jamais fait de prison et qui ont fait 30 fois ce que j’ai fait. Et y’a des mecs qui ont fait 30 fois ce que j’ai fait dehors, et qui ont rien sorti. Kery James et d’autres expliquent bien la rue sans avoir fait de la prison. Donc oui, je pense que j’aurais été au même niveau.
W : Après ton incarcération, tu as commencé à sortir tes premiers titres sur les plateformes, puis tes projets, mais toujours sous les radars de la justice. Est-ce que ça t’a freiné dans ta carrière ?
N : Ouais, quand même. Ça m’a freiné financièrement, déjà, et dans ma carrière aussi. J’ai traîné sur beaucoup de choses, au lieu de rester concentré, focus, tous les jours sur la musique. Je pense que j’aurais sorti beaucoup plus d’albums. Mais c’est comme ça. On a su surmonter cette épreuve. Dieu merci.
W : Dans le son Rebelote, tu dis : « J’ai pas la tête à t’faire danser, ni à t’faire du rap conscient »… Et pourtant, tu parles de politique. Dans tes sons, tu dénonces ce qui se passe en France, tu cites Jean Messiha, Bruno Attal, Zineb El Rhazoui, tu évoques le Moyen-Orient… Tu penses que ton rap a une portée politique ?
N : Bien sûr. Mais ce n’est pas parce qu’il a une portée politique qu’on peut dire que c’est forcément du rap conscient. Mon rap, c’est un peu de tout. Y’a du conscient, y’a toujours une logique, une morale. Mais je reste un être humain, j’ai mes défauts. Et je ne fais pas que du conscient non plus. Après, c’est important, parce que je sais que j’ai un minimum de visibilité. Avec mes potes, on parle pas que de la rue : on parle de tout, parfois de géopolitique, d’histoire, de politique, de ce qui se passe dans le monde. C’est ça qui m’intéresse. Si on passait notre temps parler des Anges de la télé-réalité, bah j’en parlerais dans mes sons (rires). Je parle pas de foot non plus, parce que je regarde pas le foot. Mais si je peux faire bouger les choses, même un peu, j’le fais volontiers.

W : Du coup, comment tu décrirais ta musique ?
En vrai, on peut pas me mettre dans une case. On peut pas dire : « lui, c’est un rappeur engagé », « lui, il fait du rap conscient », « lui, il fait ci ou ça ». Je fais tout. Demain, je peux partir en couille dans un son comme je peux faire un morceau sérieux, plein de messages. Pour moi, ma musique, c’est comme un grand frère qui parle à son petit frère. Tu vois, c’est comme un mec qui fait sa prière dehors, mais qui fait aussi des conneries à côté, qui vend du shit… Bah malgré tout, il garde une base, il garde une conscience. Moi c’est pareil. Je suis pas un shlag, mais je suis un être humain. Un mec du quartier. Je dis ce que je pense, même si j’ai pas encore toute la sagesse qu’il faudrait.
W : Dans le projet tu dis, « je suis à l’image de ce monde de fou ». C’est quoi qui te marque le plus dans ce monde justement ?
N : Franchement, quand tu regardes ce qui se passe… Les traités, les trêves, rien n’est respecté. Même ceux qui font les lois, souvent, ce sont eux qui ne les respectent pas. Regarde l’Inde, le Pakistan, la Palestine… On vit dans un monde de fêlés. Parfois je me dis que pour réussir, faut être un peu fêlé aussi. Le monde est fou, et on fait avec.
W : Tu parles souvent de la jeunesse dans tes sons, parfois même de la tienne. Est-ce qu’il y a un message que tu veux leur faire passer ?
N : En vrai, je fais que continuer ce que les anciens ont commencé, tout en parlant au jeune que j’étais ou que je suis encore. Tu vois ce que je veux dire ? Un peu comme Kery James : « deux issues, la mort ou la prison », c’est ça la réalité de la rue. Donc on garde cette ligne, cette réflexion-
là. Mais en même temps, on est des mecs du quartier. Même si tu dis la vérité à un jeune, il va peut- être l’écouter et kiffer, mais dehors, il peut faire n’importe quoi. On est toujours entre les deux mondes.
W : Tu as grandi entre plusieurs identités : la France, la banlieue, le Maroc, la religion… Comment tu navigues entre tout ça ?
N : Durement, mais on tient le cap. C’est comme quelqu’un qui veut arrêter la clope mais qui galère. On sait que ce qu’on fait, c’est pas toujours bien, mais on fait avec, comme disait Psy4 de la Rime « on sait mais on fait ». Au fond, on veut tous mourir musulmans et aller au paradis,
Inch’Allah. Mais sur cette terre, y’a la Dounia, les tentations, et on est des hommes, des êtres humains. Parfois, on succombe.
W : Est-ce que tu as d’autres activités en dehors de la musique ?
N : L’entrepreneuriat. J’ai plusieurs entreprises, et j’espère qu’elles vont évoluer en même temps que ma carrière. C’est pas simple, mais si on s’en donne les moyens, ça peut marcher. La musique reste ma priorité. Elle était là avant tout, et ça me va comme ça.
W : Tu produis aussi d’autres artistes ?
N : Pour l’instant, je suis concentré sur ma propre évolution, mais produire, ça m’intéresse. Faut juste que je trouve le bon moment. En attendant, je continue à développer mes entreprises et à me structurer.
W : Tu te vois où dans dix ans ?
N : J’espère que dans dix ans, j’aurai fait mon nom. J’espère avoir une longue et belle carrière, et si elle est courte, bah elle aura été courte mais efficace.
W : Et qu’est-ce que tu veux qu’on retienne de Niaks ?
N : Que c’est un mec lambda, comme tout le monde. Un pur produit de la banlieue, un gars qui a connu la prison, qui est sorti avec une main pleine de cartes : soit tu casses tout comme avant et tu reprends dix piges, soit t’as une opportunité et tu la saisis. Moi j’ai choisi de braquer la SACEM,
pas les banques.