Réussir dans la musique sans jamais faire de concession : tel était le rêve du jeune Hamza à ses débuts. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le belgo-marocain a atteint les grandeurs qu’il convoitait tant. Hamza n’est plus ce diamant brut à polir, mais une pierre précieuse pleinement consciente de sa valeur. Adulé par un public grandissant, il récolte enfin les fruits de son dur labeur. En plus de 10 ans, le Bruxellois a su persévérer pour devenir la superstar qu’il était censé être. Avec MANIA, le troisième album de sa carrière, Hamza semble à son apogée. Les attentes sont logiquement à la hauteur de son statut. « Saucegod » est un esthète, constamment à la recherche de nouvelles prouesses artistiques. Il ne devrait pas faire exception avec MANIA. Analyse d’un succès tardif.
Réussir à tout prix
Si aujourd’hui, le succès d’Hamza sonne comme une évidence, c’était moins le cas quelques années auparavant. À l’époque, le public était partagé en deux camps à propos de sa musique : les convaincus, prêts à réaliser une propagande pour le rappeur belge, et les sceptiques, le qualifiant de simple plagiaire des sonorités d’Outre-Atlantique. Depuis, le temps a donné raison à ses plus fervents partisans.
Afin de comprendre la réussite du « Saucegod », il faut réaliser un bond dans le passé. Pour Hamza Al-Farissi, tout commence en 2013 à l’âge de 19 ans. Il venait tout juste de sortir sa première mixtape intitulée Recto Verso, marquant le début de son parcours en solo après la dissolution de Kilogramme Gang (ndlr : il formait ce groupe avec ses amis Triton et MK). À ce moment précis, le rap belge n’a pas encore envahi les ondes françaises. Bien que l’on ne soit qu’aux prémices de la finesse musicale d’Hamza, des indices laissent à penser qu’il développe déjà sa singularité. « J’ai découvert Hamza sur Twitter après la sortie de Recto Verso. Il m’avait envoyé un DM et des morceaux pour que l’on bosse ensemble. Quand j’ai écouté les titres, j’ai pété ma tête. Je n’avais jamais entendu quelque chose de similaire. Ça a tout de suite été évident. C’était impossible pour moi qu’il ne réussisse pas dans la musique », Prinzly, rappeur et producteur belge ayant travaillé avec Hamza sur l’album Paradise.

Globalement, Recto Verso n’est pas un projet abouti, mais il a le mérite de poser les fondations de son univers. Le natif de Laeken (section de la ville de Bruxelles) attire les premiers regards et c’est l’essentiel. L’aventure commence véritablement le 10 mai 2015 avec l’ovni : H-24. Publiée sur Soundcloud, la plateforme de prédilection du rappeur belge, la mixtape détonne dans le paysage musical. En effet, Hamza prend le contre-pied des sonorités nerveuses (incarnées par Gradur, Kaaris, Booba etc.) de cette année charnière du hip-hop tricolore. Sans aucun compromis, Hamza envoie une bombe longue de 24 morceaux (soit 1h24 min d’écoute au total). Si la durée peut effrayer dans un premier temps, les plus curieux reviennent avec frénésie sur l’imparfait H-24.
À l’instar de ses influences américaines comme Young Thug, Rae Sremmurd et Future, Hamza offre aux auditeurs une trap nébuleuse et intensément addictive. « Saucegod » s’approprie les tendances de l’époque pour en ressortir une fusion subtile entre la sensualité du R’n’B et l’énergie brute du rap. Dans cette « trap explicite », il se distingue par son second degré et une touche d’humour. « Il y a un côté ludique dans la musique d’Hamza que ce soit dans l’intention et dans la réalisation. C’est fait pour s’amuser avant tout, même s’il peut être touchant », glisse Raphaël Da Cruz, journaliste chez Apple Music et l’Abcdr du son.

Les forces d’Hamza sont déjà bien affinées : un timbre de voix mielleux, des thématiques charnelles et des refrains rondement ciselés. Le tout saupoudré d’égo-trip. « Il m’a immédiatement intrigué par ce qu’il incarnait, à savoir sa voix, sa gestuelle, ainsi que ses instrumentales crasses et élégantes. Sa musique cultivait un paradoxe intéressant avec des propos crus portés par une voix adolescente. Sa proposition était dans une forme de sophistication, tout en étant très grivoise et exubérante. Il avait une voix haut perché par rapport à ce qu’on avait l’habitude d’entendre », prolonge Raphaël Da Cruz.
1994 : un moment charnière
Entre 2016 et 2020, Hamza enchaîne les projets et ne fixe aucune limite à sa versatilité musicale. Ainsi, il explore de nombreux styles, sans jamais les dissocier : Trap, Dance-hall, Drill, R’n’B, Afro, Cloud rap, Electro et Pop. « Hamza a ce sens de la mélodie par ses origines marocaines. C’est tout simplement inné. Son pays d’origine a une culture musicale assez riche. Surtout, il a grandi en écoutant du R’n’B et du rap américain. La culture plurielle de Bruxelles a aussi dû jouer sur cet aspect », détaille Prinzly.
Le point d’orgue de ce laboratoire à ciel ouvert est 1994. Le projet marque un tournant dans la carrière du rappeur belge, en l’émancipant de l’étiquette « d’artiste SoundCloud ». Bien qu’il ait suscité un intérêt autour de sa musique, Hamza restait encore confidentiel, écouté par un cercle restreint d’auditeurs. En parallèle, il voyait Damso et les nombreux artistes ayant émergé en 2015 (SCH, Nekfeu, Gradur, PNL etc.) envahir la francophonie. Une motivation supplémentaire pour redoubler d’efforts.

Avec 1994, il est devenu plus radical dans sa musique pour former une mixtape cohérente. Le projet est salué par la critique. Hamza gagne en légitimité auprès des médias et du grand public. Avec des productions millimétrées par son acolyte Ponko, il affine sa recette avec une meilleure maîtrise de l’autotune. L’ambiance se veut mélancolique et sensuelle grâce aux rythmes syncopés des sonorités pop/afro-caribéennes. C’est simple : Hamza comprend la musique pop de manière générale, d’où son surnom de « New Michael Jackson ». Les influences de son enfance bercée par la musique de Teddy Riley ressortent assez clairement sur ce disque. « De 2016 à 2019, ce sont des années charnières pour Hamza. Il a su confirmer, car il a compris ses atouts en les travaillant. À partir de 1994, Hamza maîtrise mieux sa voix et ses degrés d’interprétation, alors qu’auparavant, c’était un peu plus criard », explique Raphaël Da Cruz.
L’hybridité de la musique d’Hamza lui ouvre les portes de collaborations inédites. En mars 2018, il rencontre The Magician, un DJ et producteur de musique électro-disco-house. Cela donne naissance à l’expérimental et inattendu « Love Break ». « On a fait un morceau qui sortait de ses habitudes. Hamza s’est adapté à mon univers avec une facilité déconcertante. Dans ma carrière, j’ai travaillé avec plusieurs artistes et ils ne sont pas nombreux à être comme lui. Il fait son truc et tout le monde a confiance. C’est un peu une machine indépendante. Sa manière de travailler m’a impressionné. Il est rapide et efficace », confie l’auteur de « I Follow Rivers – Remix ».

C’est également à cette période qu’Hamza s’affirme en porte-drapeau de la future génération de rappeurs surnommée la « New Gen ». Des artistes comme J9ueve et Sonny Rave ont été influencés par les codes du rappeur belge. Hamza a assumé le franglais et revendiqué son statut de « fuckboy » (ndlr : un homme qui a de nombreux partenaires sexuels occasionnels). « Il a démocratisé tous ces aspects auprès de certains artistes et de certains publics. Il a prouvé que ces codes avaient toute leur place dans le rap », expose Raphaël Da Cruz.
Sincèrement visible aux yeux de tous
Guidé par sa passion, Hamza travaille d’arrache-pied pour enfin embraser sa destinée. Avec les projets comme Paradise, Santa Sauce 2, 140 BPM 1 et 2, il poursuit son run avec une détermination sans failles. Sa facilité à réaliser des hits et son sens de la mélodie finissent de convaincre les derniers auditeurs réticents. Le raz-de-marrée de « FADE UP », puis l’album Sincèrement en 2023, achèvent l’ascension d’Hamza vers les sommets. Il est officiellement mainstream en classant son premier long-format à la première place du Top Albums. Une consécration. « Quand il a tout pété avec Sincèrement, je me suis dit “enfin”. La manière dont tout le monde le voit aujourd’hui, c’est la façon dont je le perçois depuis toujours. Hamza a le succès qu’il mérite. Il a énormément travaillé pour et surtout, c’est un génie. Il n’a pas volé sa place », clame Prinzly.

Avec Sincèrement, Hamza signe son projet le plus abouti, fidèle à son univers musical, mais enrichi de nouvelles teintes. À cela s’ajoute une part de sincérité inédite dans ses paroles. Il pousse plus loin le curseur de l’introspection. Un choix gagnant. À force d’être persévérant, sa musique a fini par être comprise et adoptée par le public comme par ses pairs. Actuellement, Sincèrement s’est écoulé à plus de 200 000 exemplaires en France, certifié double disque de platine.
En quelques années, Hamza a atteint son objectif principal : devenir universelle. Qu’importe l’âge ou la classe sociale, il est présent dans toutes les playlists. La richesse de sa palette technique en fait l’un des artistes les plus complets en France. Son succès national était inéluctable. « En mélodie, Hamza est le meilleur. Quand il est déterminé à casser une prod, il est aussi excellent. Sa musique est générationnelle, grandiose, passionnée et déterminée », poursuit Prinzly.

L’international en ligne de mire
À chaque publication d’un projet, Hamza offre une nouvelle couleur musicale à ses auditeurs. MANIA devrait suivre la tradition. Mais quelles sont les ambitions avec ce disque ? En allant chercher des featurings avec Rema et Byron Messia, Hamza pourrait définitivement convaincre à l’international. Ce serait une suite logique dans sa carrière, tant son destin semble de s’affranchir de toutes les frontières terrestres. « Il est le premier artiste francophone à être passé sur OVO radio de Drake. Quand Offset vient en France, il veut collaborer avec lui. Même l’équipe de Rihanna l’a sollicitée pour un featuring. Avec MANIA, je suis certain qu’il va toucher l’international. C’est son destin », affirme Prinzly.
De son côté, The Magician se veut plus prudent quant à un export mondial de la musique d’Hamza. La langue peut être une barrière fatale. « S’il a des chansons en anglais, Hamza peut tout prendre à l’international. Si ce n’est pas le cas, ça sera compliqué. » Par le passé, des artistes comme MHD et Aya Nakamure ont prouvé que ce n’était pas un rêve inaccessible. Si la musique capture un mood et qu’elle se veut transfrontalière sur les esthétiques, il est possible de séduire.
Le succès éclair de « KYKY2BONDY » (certifié single de platine en moins un mois) se veut symbolique et révélateur. L’aura d’une tête d’affiche. « Proposer un hit rap en 2025, ce n’est pas facile du tout. Il arrive toujours à faire des tubes, à contre-courant de ce qui marche sur le moment », souligne Prinzly.
Une chose est sûre : Hamza entretiendra cette quête vers de nouveaux horizons sonores. Il refusera toujours de s’enfermer dans une formule gagnante. La marque de fabrique des plus grands. Car oui, « Saucegod » est définitivement rentré dans ce cercle fermé. La Hamza MANIA ne fait que commencer.