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Interview BEN plg : « Le rap est une musique politique »

Interview BEN plg : « Le rap est une musique politique »

Par son authenticité, sa simplicité et sa franchise, BEN plg rayonne dans le rap français. Un profil rare et détonnant. Pour Booska-P, il revient, sans détours, sur l’été politique agité qu’a vécu la France et donne son avis sur l’industrie de la musique. Près d’un an après la sortie de son premier album Dire je t’aime, le rappeur nordiste fait également le bilan et évoque la suite de sa carrière avec un nouveau projet en approche. Entretien. 

Booska-P : Comment as-tu vécu cet été très politique en France ?

BEN plg : C’était particulier pour moi. Je ne l’ai pas bien vécu honnêtement. En tant qu’humain, c’était horrible. J’ai connu les premiers face-à-face aux élections présidentielles entre l’extrême droite et le reste du monde. Cette fois, j’ai eu l’impression qu’on est passé un cran au-dessus. Sur Internet, j’ai senti une adhésion encore plus grande à l’extrême droite avec des supporteurs de Jordan Bardella. C’était effrayant. On est passé pas loin d’une catastrophe. J’imaginais ce qu’il pouvait arriver à mes amis, à nous, avec les intentions stupides et inhumaines de ce parti extrême. 

J’ai eu une implication que je ne m’attendais pas à avoir. Durant l’entre-deux-tours, j’ai pris la parole au festival Bonne Aventure à Dunkerque. Je me suis retrouvé à clamer en live : “Le racisme et toutes formes de discriminations, c’est quelque chose que l’on banni ici. Ceux qui soutiennent le Rassemblement National, à mes yeux, la sortie est là-bas. Allez n*quer vos mères”. Évidemment, ce n’est pas une bonne chose d’insulter les mamans des gens, mais je ne regrette pas. J’aime mon pays et les gens qui le composent. Quelqu’un qui veut virer mes copains, qu’il aille se faire enc*ler. On arrive à un moment où il va y avoir des répercussions concrètes sur la vie des gens que tu aimes si l’on ne fait rien. 

📷 : @by_kela

Cette prise de parole a été pas mal relayée d’ailleurs. 

B : Oui, c’est vrai. Je n’avais jamais vraiment vécu ça. J’ai reçu des milliers de messages avec des menaces de mort et d’agression physique. En même temps, certains m’ont remercié d’ouvrir la bouche. Je suis devenu acteur du bordel, ça n’avait aucun sens. J’ai la chance d’avoir un public émotionnellement engagé dans ma musique. Si tu écoutes mes paroles, il n’y a pas de doutes sur mes engagements politiques (rires). Le rap est une musique politique. Le côté revendicatif du genre est connoté chiant. Je le regrette. Par exemple, Hamza et Gazo revendiquent une certaine liberté. Et ça, c’est politique.

Regrettes-tu le manque de position de certain(e)s rappeurs/rappeuses durant les élections ? 

B : Il y en a plusieurs qui se sont sorti les doigts, même si certains se sont chiés dessus. Quand j’étais petit, je me disais qu’on n’était pas, nous les artistes, des éducateurs. Aujourd’hui, il faut partager ses émotions et pensées. Cependant, il ne faut pas donner des consignes de vote. Ça n’a rien à voir. Je ne suis pas Che Guevara. À la base, la musique, c’est du plaisir. Dans mes lyrics, je raconte ma vie. Les élections ont eu un impact dans ma vie. Donc c’était naturel de ne pas ignorer le sujet. 

Début juillet, tu as participé au concert Grünt sur la place de la République de Paris, en pleine période d’élections législatives aux côtés de Prince Waly, Jok’Air ou encore Jäde. L’objectif était de contrer la montée au pouvoir de l’extrême droite, représenté par Jordan Bardella. Pourquoi as-tu accepté l’invitation de Jean Morel ?  

B : Pour apporter du contexte, Jean Morel m’a appelé trois jours avant l’événement pour me demander si je voulais participer. J’ai dit oui direct. C’est un super souvenir. C’est peut-être con, mais ça m’a permis de comprendre que je n’étais pas tout seul. Le message était clair et net : “Attention, ça va partir en co*illes, il faut agir.” Après, on était devant des convaincus à Paris. La prochaine étape, c’est de davantage se mobiliser dans le reste du pays, dans des endroits où les fafs sont en nombre. 

Une grande majorité de la jeunesse s’est investie après les résultats des européennes et du premier tour des législatives. Selon toi, les jeunes d’aujourd’hui sont-ils autant apolitiques que les gens pensent ?

B : La jeunesse est plus concernée que jamais. Elle est même déterminée. La conscience collective s’élève sur de nombreux sujets, ce qui n’était pas le cas par le passé. On ne peut pas dire que les jeunes sont apolitiques, c’est débile. Sinon, il n’y aurait personne dans mes concerts (rires). 

J’ai l’impression que le RN est le seul parti à avoir bien bossé. Ce sont les plus forts sur le plan de la communication. En d’autres termes, c’est le rappeur le plus nul qui a fait la meilleure promo. En conséquences, il a fait la meilleure première semaine. Le Front populaire a tous les outils pour être bon. Carrément, les rappeurs sont prêts à sauter pour eux. Les gens ont envie d’être fédérés autour de quelque chose. 

Dans le morceau « Prochaine fois » sur ton dernier album, Dire je t’aime, tu as une punchline qui va dans ce sens, de ne pas lâcher face à l’extrême droite : « On fermera nos gueules que quand on aura la preuve qu’il n’y aura vraiment plus d’espoir ».

B : Ton retour est intéressant. Mes phases sont libres à l’interprétation de chacun. Je vois ma musique comme un cri du cœur, quelque chose de viscéral. 

Tu viens du nord, une partie de l’Hexagone historiquement ouvrière. Cette frange de la population est-elle traitée à sa juste valeur en 2024 avec la politique d’Emmanuel Macron selon toi ? 

B : Encore une fois, ce n’est que mon ressenti. Je ne donne aucune instruction. Quand notre président dit qu’il sait ce que c’est de ne pas avoir des sous, car il est allé au McDonald’s, je rigole. Quand nous, on allait au Mcdo dans le passé, c’était un vrai restaurant. Emmanuel Macron n’a jamais été le président du peuple. 

Si autant de personnes se reconnaissent dans tes textes, c’est parce que tu as longtemps eu la vie de “monsieur tout le monde”. Tu as également travaillé dans des hôpitaux psy ou des prisons pour mineurs. Est-ce quelque chose que tu continues de faire ? Pourquoi c’est important pour toi  ? 

B : Comme tu t’en doutes, j’ai moins de temps que par le passé. Je sors d’une grosse année avec une longue tournée. Dès que je peux, je le fais. L’autre jour, on est allé à Calais pour un show. Il y avait un centre social à proximité. On a fait un morceau ensemble. C’était un super moment. C’est quelque chose d’important pour moi, d’autant plus aujourd’hui avec ma noble notoriété. Ça permet de donner de l’espoir et de montrer que je suis normal. Ma musique est sociale. Elle est engagée en termes d’émotions et de valeurs. 

En 2024, beaucoup d’auditeurs reprochent aux médias rap de ne plus émettre de critiques. Qu’en penses-tu ? Est-elle nécessaire  ?

B : Ce qui est drôle, c’est que je suis extrêmement critique avec la musique (rires). Quand tu aimes, tu es plus ouvert à la critique. Aujourd’hui, tout est masterclass, poulet et chèvre dans le rap. Quand il n’y a plus que des GOATS, il reste un troupeau (rires). Globalement, il y a un investissement émotionnel trop important des auditeurs. Ce n’est pas grave si l’album de ton artiste favori est nul. Il faut se détendre avec la musique. Il y a tellement de rap actuellement que c’est normal qu’il y ait du moins bon. Au contraire, il n’y a jamais eu autant de bonnes choses dans le rap. 

📷 : @by_kela

Comment réagis-tu face à la critique en général ? Qu’elle soit constructive ou non.

B : Ça dépend (rires). Il y a forcément une part d’égo quand on te dit que ton album est naze. Je suis arrivé à un niveau où j’aime à 1000 % ma musique. Je sais que je fais mieux à chaque projet car je monte mon niveau d’exigence. Si tu me critiques, c’est juste qu’on n’a pas les mêmes goûts et ça je ne peux rien dire. 

De nombreuses personnes se sont moquées de la cover de ton dernier album Dire Je t’aime. Comment as-tu réagi ? 

B : Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’il ait toujours autant de débiles dans ce pays. Ça a aussi prouvé qu’une grande partie des Français est encore homophobe. Si la cover a fait parler, c’est qu’elle est réussie. Dire « je t’aime » est une action complexe. Tu regardes dans les yeux tes propres émotions. La cover représente un moment intime entre trois amis. Le but était de mettre en avant une photo qui transpire quelque chose. Quand on me dit que la cover fait « trop gay », ça n’a aucun sens. 

Photographie : @by_kela.

Après un peu plus de 6 ans de carrière, tu commences à avoir de la bouteille. Comment perçois-tu le milieu du rap, son industrie et ses acteurs ? 

B : Il y a plus de gens bien qu’on ne le pense. C’est comme dans la vraie vie. C’est un milieu où il y a énormément d’égo. Il faut apporter de la nuance. Je me suis fait plein d’amis dans le rap comme il y a des endroits où je ne mettrai jamais les pieds. Je suis indépendant donc tout se passe très bien de mon côté. Je ne m’associe qu’avec des gens de confiance. Je suis là pour être heureux. Je reste ambitieux, car je ne suis pas encore à la place que je mérite. 

Pour de nombreuses personnes, le rap est sur la pente descendante, on arrive à un tournant dans l’histoire du genre en France. Premièrement, es-tu du même avis ? Secondement, comment vois-tu l’avenir du rap ? 

B : Qu’ils regardent mes streams (rires). Mes stats sont à la hausse. Plus sérieusement, c’est peut-être la fin du second âge d’or pour les producteurs. Ceux qui se font de l’argent sur la gueule de tout le monde. C’est probablement le début de l’âge d’or des artistes indépendants. Les gens aiment l’authenticité et la sincérité. Il faut travailler sa singularité. Le rap est immortel. Cependant, je trouve que l’on demande trop d’argent à nos auditeurs avec les disques, les précommandes ou le merch. Je préfère qu’une personne ne vienne pas me voir en concert si ça peut lui permettre de manger correctement dans le mois. Des fois au stand de merch, j’en vois certains qui n’ont pas de thunes, mais qui creusent leur découvert. Ce n’est pas parce que tu achètes un objet que je t’aime davantage. 

Quels conseils donnerais-tu à un/une jeune artiste qui veut se lancer dans le rap ? 

B : Il faut être sûr de ses forces et apporter quelque chose de différent. Ça met du temps. Le plaisir doit être au centre de tout pour réussir. 

📷 : @by_kela

Tu es actuellement en tournée dans toute la France. Quel bilan fais-tu de ton premier album Dire je t’aime, disponible depuis janvier dernier ? 

B : Je suis très content. Un an plus tard, il vit toujours autant qu’à sa sortie. Je remercie constamment les gens durant mes concerts. L’album est fédérateur et juste dans le propos. Je suis en train de faire trois fois mieux en ce moment (rires). 

Justement, c’est quoi la suite pour BEN plg en 2025 ? Un nouveau projet en approche ? 

B : J’ai quasiment terminé le prochain projet. Je suis fier car j’ai encore level-up. J’envoie de la frappe hardcore. Je travaille pour aller le plus loin possible. Je rappe mieux qu’avant. En un an, j’ai vécu plein de trucs. J’ai des choses à raconter. 

Le 22 mars 2025 tu seras à l’Olympia de Paris. Que représente ce show ? 

B : L’Olympia, on a beau dire ce que l’on veut, ça reste une dinguerie. C’est presque plus connu que le Zénith. Quand tu commences la musique, tu perçois cette salle comme un rêve inaccessible. Il ne reste plus beaucoup de places disponibles. Je sais que je vais être à l’Olympia devant une salle comble. Le moi enfant n’y aurait jamais cru. J’ai provoqué un miracle. La prochaine étape, ça va être de faire des grandes salles dans toute la France, pas seulement à Paris.

Propos recueillis par Curtis Macé.

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