À seulement 21 ans, Rayan Cherki vient de boucler sa saison la plus aboutie sous le maillot de l’Olympique Lyonnais. Meilleur passeur et meilleur dribbleur de Ligue 1, il a marqué les esprits par son style libre, créatif, fidèle à lui-même dans un football de plus en plus standardisé. Pour Booska-P, le prodige lyonnais revient sur son lien viscéral avec sa ville, son parcours semé de critiques, et sa volonté d’être « le joueur du peuple ». Entre transmission et plaisir de jouer, Cherki prend la parole sans filtres, à l’image de son jeu.
Salut Rayan, la saison est finie depuis quelques jours maintenant pour toi. Comment tu te sens ?
Bien. J’essaie de profiter des jours de repos. Pour me reposer, pour me ressourcer, ça fait du bien.
On t’a vu évoluer cette saison. Évidemment, meilleur passeur de Ligue 1, meilleur dribbleur. On te voit à l’aise, au naturel, même dans tes interventions médiatiques… Est-ce que tu as changé quelque chose dans ta manière de travailler cette année ? Qu’est-ce qui fait que cette saison est aussi prolifique pour toi ?
Je ne sais pas si j’ai changé quelque chose, je suis resté le même. J’ai toujours travaillé. Je me suis juste un peu plus trouvé dans ce que je voulais faire, dans ce que je voulais être. Donc, c’est ça qui a fait la petite différence.
Le weekend dernier, t’a annoncé que c’était certainement ton dernier match avec l’Olympique Lyonnais. On t’a vu vraiment ému à la fin du match. Qu’est-ce que ça a fait pour toi, qui est un enfant de Lyon, qui a toujours porté ce maillot, qu’est-ce que tu as ressenti lorsque tu as vécu ce dernier moment sur ton terrain de toujours ?
Beaucoup de choses, je l’ai dit. Ça fait 14 ans que je suis au club. Donc forcément, ça m’a beaucoup touché, beaucoup ému. C’est 14 ans de travail, 14 ans de sacrifice, 14 ans de détermination. Il y a eu beaucoup de critiques aussi à mon égard. Parce que je ne veux pas ressembler à tous les robots qu’on essaye de produire maintenant. Je veux être moi-même. Je veux être celui qui ressemble le plus à « tout le monde » en fait. Tout en étant, moi-même et c’est ça qui plaît et qui déplaît. Quand je vois le chemin parcouru, je ne peux qu’être fier et profiter des moments dans ma tête, dans mes souvenirs. Comme le dernier match, je profite des moments pour dire Merci à l’OL et comme jai dis, Je reviendrai.
C’est intéressant ce que tu dis parce que moi justement, je pense qu’aujourd’hui… Il y a de moins en moins de joueurs qui jouent vraiment avec cet instinct-là, qui mettent en avant leur technique, qui dribblent. Dans le foot moderne, c’est un peu moins fréquent. Toi, tu représentes, ça, justement. C’est un foot qui plaît, pourtant. Nous, le public, c’est ce qu’on veut voir. C’est comme ça qu’on a grandi, avec ce football-là.
Non, c’est vrai. C’est plus comme avant. Les critiques, elles sont omniprésentes. Aujourd’hui, on vit qu’à travers ça, qu’à travers les critiques, qu’à travers les « il ne fait pas ça, il ne fait pas ci » . Et moi, je suis venu, entre guillemets, remettre les choses dans l’ordre et dans leur contexte. C’est-à-dire, moi, je m’en fous, vous pouvez me critiquer un jour ou l’autre, vous finirez par comprendre. Aujourd’hui, c’est ce qu’il se passe. Donc, j’ai subi des critiques toutes infondées. Il n’y en a pas une sur ma façon d’être, sur mon comportement qui sont vraies, il n’y a personne qui peut s’asseoir en face de moi et citer quelque chose que j’ai mal fait, un manque de respect, un mot plus haut que l’autre. Après, on est des êtres humains. Je pense qu’on doit se louper, on doit se tromper pour réussir, justement. Et moi, je suis juste venu remettre ce qui nous anime le plus au centre du village.
C’est vrai qu’on a tendance à l’oublier, parce que ça fait déjà quelques années maintenant que tu es pro, depuis que tu as 16 ans. Mais tu n’as que 21 ans. Comment tu l’as vécu? Justement, ces critiques, etc. Parce que, du coup, elles sont arrivées très tôt, à un âge où généralement, on n’en demande pas autant d’un joueur qui vient de lancer sa carrière professionnelle.
Je ne les ai pas mal vécues. J’ai suivi mon plan, mon plan que j’avais mis en place dans ma tête, avec mes proches. J’ai suivi mon plan. J’ai fait le dos rond quand il fallait faire le dos rond. Mais si je dois t’avouer quelque chose, c’est que je suis content d’être passé par là, parce que c’est bien d’être critiqué. C’est cool, parce que si on me critique c’est qu’au fond, on sait que ce que je fais, personne ne peut le faire. Sinon, on ne me critiquerait pas, on ne me calculerait pas. Donc, comme je te l’ai dit, Je suis juste venu remettre le pourquoi on a aimé le football là où il doit être. Parce qu’aujourd’hui, on aime bien les joueurs qui perdent zéro ballon, qui essaient rien. Moi, personnellement, j’allume pas ma télé pour ça. J’allume ma télé pour voir des choses que je ne vois pas, sinon la télé, à quoi elle me sert. Et c’est pour ça que si on me critique, c’est que la personne qui me critique, Elle sait que ce que je fais, elle n’est pas capable de le faire.
Toi justement, en parlant de ce style de jeu-là, tu as grandi, tu as été bercé avec des joueurs qui provoquaient : des CR7, même des joueurs qui ont joué à Lyon, des Ben Arfa, des Benzema… Tu te vois un peu comme la relève de cette école ?
Je dirais pas que je me vois comme la relève de cette école, Je me vois comme un joueur qui s’est inspiré de cette école. En fait, je me vois comme un joueur de la même école qu’ eux. Je serai jamais le robot que les médias veulent essayer de créer ou tout ce qu’il y a autour. Je serai le joueur que j’ai envie d’être. Je vais essayer, mais si je ne réussis pas, c’est pas très grave. C’est pour ça que j’avais dit à vos confrères… Je veux être le joueur du peuple. Je veux ressembler aux gens qui sont tout en haut comme aux gens qui sont tout en bas. Je ne veux pas toucher seulement une partie des spectateurs. Je veux vraiment que tout le monde se dise. ‘Nous aussi on peut essayer, nous aussi on peut rater, nous aussi on sait se comporter, nous aussi on sait être respectueux.’ Il n’y a pas qu’une partie des personnes en France qui savent le faire, et c’est vraiment mon objectif. Rassembler le maximum de monde. On s’en fout de la couleur de peau, de l’ethnie ou quoi ou qu’est-ce. Le football, c’est le plaisir, faire des choses que d’autres personnes ne savent pas faire et c’est mon objectif.
Tu arrives encore à ressentir, justement ce plaisir dont tu parles ? Parce que je me dis, quand tu passes en pro, comme tu le mentionnes, tu as beaucoup de critiques, tu as beaucoup de pression. Est-ce que le plaisir est toujours autant présent que quand tu étais plus jeune ?
Non, ça c’est impossible… Il y a beaucoup trop de pression. Et c’est là où je me dois, ça va être mon travail pendant ma carrière, de retranscrire le plaisir que je dois prendre aux gens. Parce que si les gens le prennent, moi, ça va me faire plaisir. Donc j’aurais fait mon travail comme il se doit. Et c’est pour ça que je l’ai toujours dit, moi, mon seul objectif, c’est que toi, derrière ta caméra, derrière le journal, ce que tu veux, tu sentes que même dans l’interview, tu prends du plaisir ou même quand tu me vois jouer, tu prends du plaisir.
Tu sens qu’avec les années, et justement, avec ce style que tu décris, petit à petit, tu t’installes comme un modèle pour pas mal de jeunes ? Des jeunes qui peuvent être de Lyon ou même des gens qui te voient jouer au football et qui veulent faire la même chose.
C’est l’objectif. C’est l’objectif que mon chemin inspire beaucoup de monde, que ce soit des plus jeunes que moi ou des plus anciens. Parce que, comme je te l’ai dit, je suis critiqué depuis que j’ai 16 ans pour des choses qui n’ont jamais existé, qui n’existeront jamais. Mais ça, j’aime bien parce que j’ai suivi mon plan. Mon plan, c’était d’arriver à un certain niveau, à un certain âge et ensuite de continuer ma route. Maintenant, je veux être un modèle, mais je veux aussi que les gens fassent comme ils ont envie de faire. C’est-à-dire, ne soyez pas des robots. Il n’y a personne qui doit vous dire quoi faire ou quoi. Prenez du plaisir dans ce que vous faites et donnez-en. Parce que si vous donnez du plaisir, vous allez en recevoir. donner pour recevoir, c’est un peu ça que j’aime.
C’est le mot d’ordre. Évidemment, je suis les comptes de l’Olympique lyonnais sur les réseaux sociaux. Je te vois beaucoup avec tes collègues, avec Georges (Mikautadze), avec Alexandre (Lacazette), avec Corentin (Tolisso). Tu es dans la vanne. Ça se voit. Ça rejoint justement ce que je disais sur tes apparitions médiatiques, où on voit que tu es naturel, ça change. Est-ce que toi, tu pourrais apparaître ou te lancer sur des trucs sur Internet, comme on peut le voir avec la Kings League, ou des live Twitch comme Adil Rami peut faire ?
Non, Je crois que ce n’est pas mon travail. Chacun a son job. Je pourrais faire des apparitions, bien sûr. Mais moi, j’essaie d’être performant sur le terrain, donner du plaisir, et quand je dois faire des interviews, être moi-même. C’est-à-dire pas m’inventer une vie ou un rôle d’un français hyper soutenu ou d’une langue extrêmement pointilleuse. Non, moi je suis comme je suis, je parle très bien français. Je sais me comporter à gauche comme à droite, et c’est ça que je veux faire avant de pouvoir m’expatrier ailleurs.
Question un peu plus rap, du coup. Toi avant un gros match, tu te mets dans ton mood, tu as des écouteurs, tu te mets de la musique, tu es plus introspection, gros son… Qu’est-ce qu’il écoute Rayan Cherki ?
Déjà, moi, j’ai toujours dit que je représenterai ma ville jusqu’à la mort. Ça veut dire que la plupart du temps, j’écoute des sons de ma ville, de mon quartier, Pouya, Sasso c’est des gens que je côtoie tous les jours, C’est comme des frères pour moi. Après, moi, je suis à l’ancienne époque. C’est-à-dire, bien évidemment, j’écoute la nouvelle école, Jul, Ninho, tout ça, tout le monde écoute. Mais moi, j’ai vraiment la chance d’avoir eu un peu une éducation « à l’ancienne » pour ma génération. Ça veut dire j’écoute beaucoup, de Rohff, Booba mais vraiment à l’ancienne. Si je te disais ce que j’écoute tu serais choqué…. En vrai on écoute tout dans la famille, on a de la chance d’avoir une culture élargie au maximum. Donc, là, en venant, j’écoutais la bohème avec mon père, comme je peux écouter Zaz, comme je peux écouter Pop Smoke comme je peux écouter LIM, même Kamelancien… En fait, plus j’en sais, mieux je me sens. C’est-à-dire que je peux aller dans mon quartier et parler de n’importe quoi et aller dans la préfecture ou à l’Elysée et être tout aussi instruit que les personnes qui y vivent au quotidien. Et ça, pour moi, c’est vraiment important.
T’essaie dans les vestiaires de leur faire découvrir aux autres joueurs ce rap lyonnais ?
Ah c’est moi le DJ des vestiaires ! (sourire)
Ahh c’est toi du coup !
Après moi vu que j’suis dans la vanne, je mets la plupart du temps des sons pour faire rire les coéquipiers, mais ils connaissent crois moi, ils ont déjà entendu passer, ils entendent, je mets un peu de tout, tu vois… Je mets vraiment des sons pour ambiancer, des sons énervés, un peu de tout, je t’ai tout résumé.
Justement, tu vois, Je trouve qu’il y a un parallèle entre les rappeurs et les footballeurs. souvent… Vous pouvez venir des mêmes quartiers, vous grandissez un peu avec la même pression, le regard des gens autour...
Après, je pense que ce n’est pas pareil. Le rap, tu peux tout faire, tout dire, personne ne va te dire quoi ou qu’est. C’est juste, soit tu es bon, soit tu es nul. Tu seras critiqué quand tu es nul et tu seras au sommet de ton art quand tu es bon. Le football, c’est pas pareil. Le football d’aujourd’hui, on colle des étiquettes sans même connaître les gens, sans même avoir vu jouer le joueur, en entendant des bruits de couloir. Avec le rap, c’est pas pareil. Le rap, c’est… Ta musique est bonne, on va t’écouter. Ta musique est nulle, on va t’oublier. Et le football, c’est pas comme ça que ça se passe. Le football, faut creuser…
Il y a pas mal de rappeurs qui expriment très souvent que leur rêve, ça aurait été d’être footballeur. Toi, à l’inverse le rap c’est un truc qui aurait pu te tenter ? Ou tu es bien en tant que simple auditeur ?
Je suis très bien en tant que simple auditeur. Je prends du plaisir à écouter vos sons, vos musiques, vos clashs, je fais le plus beau métier du monde !
Dernière question. Je le redis, mais t’as que 21 ans, t’as jamais été aussi en forme. En vrai, c’est ta meilleure saison, que ce soit dans les statistiques, même dans le jeu. Pour toi, tu as l’impression de toucher ton rêve du bout du doigt ou tu penses que tu as encore un long chemin à parcourir ?
Comme je t’ai dit, mon plan, je l’ai respecté, je le respecte. Pour l’instant, ce n’est pas grand-chose.
OK, donc encore du chemin qui arrive.
Exactement.
Merci Rayan !
J’t’en prie, Merci beaucoup !