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L’humeur de Yago : « Je suis Mohamed Ali… »

L’humeur de Yago : « Je suis Mohamed Ali… »

Chaque semaine, je vous propose d’aborder un thème d’actualité sous un autre angle, sans obligation formelle ni aucun tabou. Aujourd’hui, le sujet développé est l’incroyable parcours du plus grand champion que le monde ai pu compter.

« Dieu est venu chercher son champion »… Mike Tyson est loin d’être un prix nobel mais rarement il aura eu des mots aussi justes. Le 3 juin dernier, l’humanité s’est vu amputée de l’un de ses meilleurs éléments. Preuve que si la vie sait mettre des coups, la mort peut frapper à tout moment. Fragilisé par 32 ans de lutte contre la maladie de Parkinson, Mohamed Ali alias Cassius Marcellus Clay Junior a rendu son dernier souffle à l’âge de 74 ans suite à une insuffisance respiratoire ayant provoqué un choc sceptique.« The greatest » laisse derrière lui une carrière exemplaire, mais aussi et surtout la mémoire d’un emblème universel de la lutte pour l’égalité entre les peuples. Si les meilleurs partent en premier, c’est que la faucheuse a du goût…

Ali est le noble art

Quand certains boxent avec les mots, d’autres parlent avec les poings. Lui, a très vite fait les deux à la fois. Premier signe de sa future vocation, le jeune cassius brise deux dents à sa mère d’un crochet dont il a toujours eu le secret. Il n’est alors âgé que de deux ans… Une décennie plus tard, le vol de sa bicyclette l’amène à pousser pour la première fois les portes d’une salle de boxe avec pour ambition d’être capable de « botter le c** à celui qui a fait ça ». Un mal pour un bien… A 18 ans, alors qu’il baigne pleinement dans le noble art, il se heurte à la froideur méprisante de son idole Sugar Ray Robinson, il se promet alors de ne plus jamais être fan de quiconque. S’il ne peut compter sur les autres, l’histoire, il l’écrira lui même. En 1960, un premier pas est fait lorsqu’il accède au graal de la boxe amateur en décrochant l’Or Olympique chez les mi-lourds aux J.O de Rome.

100 victoires pour 108 combats à cet échelon, un bilan qui fait de lui un candidat légitime au monde professionnel. Un statut qu’il ne tardera pas à justifier dès 1964 lorsqu’il s’adjuge son premier titre de champion du monde des lourds face à Sonny Liston sur abandon au 7ème round. La légende raconte qu’Ali a été aveuglé durant plusieurs rounds par de la pommade appliquée volontairement par le staff adverse sur les gants de son opposant… Désormais arrivé au summum, Ali remet son titre en jeu face au même concurrent un an plus tard à Lewiston. Une revanche éclair qui ne durera qu’1minute50 (record de rapidité), jusqu’au « Phantom Punch » (Coup de poing fantôme) asséné par Ali, provoquant le K.O de Liston dès le premier round. Un scénario surprise qui a provoqué la colère d’Ali : « Relève toi et bat toi encu** personne ne va croire à ça ! » hurle-t-il à son adversaire cloué au sol.

En 1970, affaibli par trous années de combats judiciaires qui l’ont tenu éloigné des rings, Ali part à la reconquête d’un titre qui lui été administrativement retiré quelques années auparavant. Le nouveau champion à se trouver dans sa ligne de mire se nomme Joe Frazier… Pris pour cible par le gouvernement et ruiné financièrement, Ali négocie directement l’organisation d’un combat lors d’une ballade improvisée en voiture avec le champion en titre. Ce duel aura lieu en 1971 et marquera la première défaite de la carrière professionnelle d’Ali. Organisé au Madison Square Garden, le combat arrive au terme des 15 rounds sans qu’aucun des protagonistes ne parvienne à provoquer un K.O… A l’unanimité, Frazier conserve son titre aux points.

Un contre-temps qui ne freine pas l’homme dans sa quête de sacre. Pendant 3 ans, Ali enchaine les combats jusqu’à redevenir le challenger officiel pour le titre de champion du monde. Alors qu’il se préparait à prendre sa revanche sur Frazier, il assiste à la chute inattendue de ce dernier face à un jeune talent méconnu : George Foreman. De sept ans son cadet, il est alors considéré comme le grandissime favori face à un Ali décrit comme étant en nette perte de vitesse. C’était sans compter sur le contexte particulier du « Rumble in the Jungle » (Le combat dans la jungle) nom donné à cette opposition organisée à Kinshasa (Zaïre) devant près de 100 000 spectateurs totalement acquis à la cause d’Ali et entonnant le désormais célèbre « Ali Bomaye! » (Ali tue-le !). Sous le tonnerre, à 4h du matin heure locale, Ali encaisse la furie de Foreman durant 7 rounds. Une stratégie destinée à épuiser son adversaire pour mieux le contrer. Un choix payant puisqu’au 8ème round, Ali réplique et trouve le K.O pour récupérer son titre de champion du monde des lourds.

Champion à l’égo démesuré, Ali, 32 ans, refuse alors de mettre un terme à une carrière qui se trouve à son firmament. Entre 1972 et 1978, par dix fois il remettra son titre en jeu avec notamment l’épique Thrilla in Manilla (Thriller à Manille) face à Joe Frazier en 1975 qu’il remporte sur abandon à la 14ème reprise. Leon Spinks le destituera une nouvelle fois mais il ne mettra que quelques mois à récupérer son bien, pour la troisième fois, à l’âge de 36 ans. Il poussera le vice encore 3 ans avant de prendre sa retraite en 1981 à l’aube de la quarantaine. Pour certains, ce pêché d’orgeuil l’aura amené à encaisser trop de coups sur la fin de sa carrière ce qui pourrait en partie expliquer qu’en 1984, on lui diagnostique la maladie de Parkinson, à seulement 42 ans : «Dieu m’a donné la maladie de Parkinson pour me montrer que je n’étais qu’un homme comme les autres» expliquera-t-il plus tard avec sagesse et humilité. En 20 ans de carrière, son bilan est : 61 combats, 56 victoires (37 K.O), 5 défaites…

De Cassius à Ali

Né au sein d’une famille modeste dans un quartier noir de Louisville (Kentucky), le jeune Cassius Marcellus Clay Junior grandit dans une amérique frappée par la discrimination raciale. Son éducation, il l’a trouve bien plus dans les expériences parfois difficiles de son quotidien qu’à travers les théories contenues dans les manuels scolaires. Témoin direct ou indirect des violences et des vexations dont est quotidiennement victime la communauté noire aux Etats-Unis à cette période, le jeune Cassius se construit dans l’idée d’une séparation des races entre noirs et blancs. Une légende urbaine dont la véracité reste à prouver raconte qu’à son retour des Jeux de Rome 1960, il jette sa médaille d’or de dépit après avoir vu un restaurant « réservé aux blancs » refuser de le servir dans sa ville natale.

Sa quête d’identité et ses questionnements sur la place de la communauté noire dans la société américaine le poussent à s’intéresser à divers courants idéologiques parmi lesquels figure la « Nation of Islam », considérée alors comme une secte politico-religieuse extrémiste. Un rapprochement réalisé malgré les inquiétudes de sa famille et de ses proches. Celui-ci prend matière lorsqu’à Détroit, en 1962, il fait la rencontre du militant Malcolm X, lui même membre de l’organisation. L’homme voit en Cassius Clay un champion reconnu capable de populariser ses idées sur la scène internationale. Une fois converti et devenu membre de la Nation Of Islam, il change son nom en Cassius X, rejetant un nom de famille qu’il considère comme un nom d’esclave lègué par les propriétaires de ses ancêtres. En 1964, un conflit éclate entre Malcolm X et Elijah Muhammad, chef spirituel de l’organisation. Ali se désolidarise alors de son ami qui mourra assassiné un an plus tard. Sacré champion du monde des lourds, le boxeur, devenu un magnifique ambassadeur du mouvement, est reçu par Elijah Muhammad en personne. L’homme place son fils Herbert en tant que manager du champion à qui il offre un nouveau patronyme. Mohamed Ali est né…

Débarassé du problème Malcolm X, le pouvoir fédéral voit en Ali une menace qu’il s’agit de mettre hors d’état de nuire. Alors qu’il avait demandé à être exempté de service militaire par objection de conscience, le champion voit sa demande lui être refusée tandis que les fédérations de boxe commencent à lui mettre des bâtons dans les roues administrativement. En 1967, il est réquisitionné pour servir dans l’armée américaine, engagé dans la Guerre du Vietnam. En parfaite connaissance de cause, il refuse : « Ma conscience ne me laissera pas aller tuer mes frères ou de pauvres gens affamés dans la boue pour la grande et puissante Amérique. Les tuer pourquoi? Ils ne m’ont jamais traité de sale nègre, ils ne m’ont jamais lynché, ils n’ont jamais lâché les chiens sur moi. (…) Comment pourrais-je tuer ces pauvres gens ? Mon ennemi, c’est vous ! Mettez-moi en prison! ». La sanction ne se fait pas attendre : Perte de sa ceinture, annulation de sa licence, 5 ans d’emprisonnement et 10 000 dollars d’amende. Après de longues années de bataille judiciaire, il échappera à la prison mais devra attendre 1970 pour pouvoir renfiler les gants.

Personnage clivant aux Etats-Unis, Ali devient alors un héros sur le continent africain. Il découvre l’ampleur de son message lorsqu’à son arrivée à Kinshasa (Zaïre) pour le « Rumble in the Jungle », il est accueilli par une foule en délire clamant « Ali Bomaye », le suivant lors de ses footings et le représentant en héros sur les murs des écoles. « Un champion sur le ring, un héros au-delà », Jesse Jackson n’avait pas tort. L’histoire ayant finit par lui donner raison, il est présent pour allumer la flamme olympique lors des J.O d’Atlanta en 1996, une invitation lourde en symbôle. Tout simplement inimaginable 20 ans auparavant. Lorsqu’en 2002, son nom est sur le point de rejoindre celui des autres gloires de l’histoire américaine, il refuse que sa plaque soi placée sur le sol afin que personne ne puisse piétiner le nom de son prophète. Personnalité majeure du 20ème siècle, il voit dans le même temps un biopic être réalisé par Michael Mann avec Will Smith pour l’incarner. Entouré de sa famille, il décède le 3 juin dernier, son coeur étant le dernier de ses organes à lâcher prise, c’est dire si il était grand.

Une exemplarité atemporelle

Etant encore loin d’être de ce monde lors des plus grandes oeuvres de Mohamed Ali, ce n’est pas pour autant que ces dernières ne m’ont pas grandement marqué et influencé au point de me sentir redevable aujourd’hui. De par leurs ampleurs et leurs significations, les exploits de l’homme, qu’ils soient sportifs ou non, ont marqué des générations. Plus que quiconque, Ali est la preuve que les hommes partent et les actes restent.

Véritable guerrier sur le ring, l’homme s’est attaché à être un homme de bien hautement pacifique en dehors. Nul besoin d’appartenir à la communauté noire ou d’être de confession musulmane pour saisir son message et se l’approprier. Restant un homme parmi les autres, Ali avait aussi sa part d’ombre et de contradictions, la nature humaine est ainsi faite. A l’heure où la grandeur d’un individu se calcule à sa notoriété sur les réseaux sociaux et à l’épaisseur de son compte en banque, rares sont les personnalités publiques à démontrer les mêmes qualités aujourd’hui.

Phénomène de sa discipline, il a donné de véritables moments de grâce à une catégorie poids lourds bien trop figée dans les mêmes schémas. Mobile, l’homme ne se déplace pas sur le ring, il danse. Confiant, il ne se cache pas derrière sa garde mais multiplie les esquives « Vole comme un papillon, pique comme une abeille. ». Stratège, il joue des qualités et faiblesses adverses pour écrire le scénario de ses combats. Moqueur, il n’est pas avare en matière de phrases assassines avant ou pendant le combat. De tous, il a gagné le respect, faisant taire les sceptiques et rendant fou de rage ses détracteurs pour devenir de manière unanime The Greatest.

Sans véritable bagage scolaire, l’homme avait pourtant une certaine aisance avec les mots, bien aidé qu’il était par Drew Bundini Brown dans sa communication. La force de ses poings n’avaient d’égale que celle de ses punchlines. Facile d’avoir une grande gueule, plus difficile de l’assumer, ce qu’il a su faire face à ses adversaires. Boxeurs, journalistes, politiques…les victimes de ses répliques cultes sont nombreuses et de tous bords. Un orateur comme on n’en fait plus. Quel que soit les enjeux ou les forces en présence, Ali n’a jamais ravalé sa langue ni courbé l’échine devant quiconque jusqu’à ce que la mort se présente devant lui. Et encore, elle a sûrement du lui demander l’autorisation avant de l’emporter...


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