« Squeezie, roi de France. On veut un siège à son nom au gouvernement », a plaisanté SCH dans l’émission « À la régulière » sur France Inter, quelques jours après le GP Explorer 3. Si même le rappeur marseillais s’y met, c’est qu’il doit bien y avoir une part de vérité. Depuis ses débuts sur YouTube en 2011, Squeezie a tout connu, ou presque, sur la plateforme qui l’a fait roi. À 29 ans, Lucas Hauchard n’est plus seulement le vidéaste le plus identifié du pays : il est devenu une institution. Entre des chiffres vertigineux (20 millions d’abonnés, 11 milliards de vues sur YouTube), des entreprises florissantes (Gentle Mates, Yoko, Ciao Kombucha) et une présence affirmée sur Twitch, l’influence de Squeezie dépasse depuis longtemps sa plateforme de prédilection.
Statistiquement, il n’est plus le numéro 1. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, Squeezie reste le visage de YouTube en France. Celui qu’on cite spontanément quand on évoque la plateforme. Parce qu’il ne s’agit plus seulement de chiffres, mais de légitimité culturelle. Les modes et les tendances passent, mais Squeezie reste. Et cela ne devrait pas changer de sitôt. Pourquoi semble-t-il aussi intouchable ? Explications.

Fédérateur et numéro un aux yeux de tous
En 2019 et après un faux clash organisé avec Cyprien (ancien numéro un français sur YouTube), Squeezie devient officiellement le créateur de contenus le plus suivi dans le pays. Une consécration. Cette place de numéro un est très peu contestée et fait presque consensus.
Son accession au trône s’explique par une présence permanente. À cette époque, il sort parfois jusqu’à trois vidéos par semaine. Un rythme effréné qu’il a progressivement ralenti. Aujourd’hui, il adopte une stratégie inverse. Au fil des années, Squeezie s’est raréfié. À tel point que chaque nouvelle vidéo devient un événement. En 2025 (ndlr : bien que l’année ne soit pas terminée), il n’a publié que 19 vidéos contre 74 en 2019. « Il n’est jamais tombé dans la surenchère. Comme Mister V, ils sont conscients de leur héritage et ne veulent pas se fourvoyer avec de mauvais contenus. Surtout, il pense constamment à son audience », commente Mehdi Maïzi, journaliste et animateur de l’émission « À la régulière » sur France Inter.
Cette baisse de quantité a été compensée par une montée en gamme, avec des productions dignes de la télévision. Exit les vidéos gaming et réactions. Squeezie mise désormais sur le divertissement, à travers des concepts inédits aux coûts de production élevés (Qui est l’imposteur, Qui subira la pire épreuve ?, Des inconnus nous jugent, Le pire date ou encore Il y a quoi derrière la porte ?). Preuve en est, la vidéo « Qui réussira à stopper le train ? » est devenue la plus chère de l’histoire de YouTube en France avec un budget de 700 000 euros. Squeezie a pour ambition de proposer des contenus à la hauteur de son statut. Leur évolution se rapproche d’ailleurs de créateurs internationaux comme MrBeast ou PewDiePie. Mise en scène, montage soigné, rythme : chaque détail est finement pensé et travaillé.
Le 26 mai 2024, Squeezie perd sa place de numéro 1 au profit de Tibo InShape. Le Youtubeur fitness parvient à le dépasser grâce à sa spécialisation dans les formats courts avec Shorts. Une stratégie qui lui permet d’attirer des abonnés du monde entier. Plutôt que d’y voir une menace ou un affront, Squeezie se montre élogieux envers son principal « concurrent ». « Tibo fait du contenu qui est très différent du mien. Il est spécialisé sur les formats courts. C’est vraiment un boss là-dessus. Moi, je suis vraiment nul. Donc en fait, on se complète plutôt bien », expliquait-il sur le plateau de France 2.
Actuellement, Tibo InShape cumule 27 millions d’abonnés contre 20 millions pour Squeezie. En réalité, la légitimité ne se mesure pas au nombre d’abonnés, mais à l’empreinte qu’on laisse sur la plateforme et sur ceux qui la font vivre. « Ses contenus imprègnent la culture populaire. Par exemple, Beyoncé n’est plus la plus grosse vendeuse aux États-Unis. Pourtant, elle conserve son aura de numéro une. Sans le comparer à Beyoncé, c’est un peu pareil pour lui sur YouTube », livre Mehdi Maïzi.
Ses contenus imprègnent la culture populaire.

En plus de 14 ans d’activité, Squeezie a vu émerger une multitude de nouveaux talents (Joyca, Djilsi, Maxime Biaggi, Anyme, Maghla). Parmi les pionniers, seuls quelques noms comme Mister V, Natoo ou Cyprien ont su, comme lui, résister à l’épreuve du temps. Là où d’autres se sont brûlés à la course au buzz, lui a bâti un empire sur la régularité et la cohérence. Cette longévité lui confère un statut à part : celui d’un repère stable dans un écosystème en perpétuelle mutation. « Au fond, Squeezie, c’est juste un mec qui a dit : “je vais le faire”. C’est méga inspirant. Il a commencé comme moi et comme plein de gens dans sa chambre à faire des trucs. Et aujourd’hui, il fait des plus gros trucs », raconte Theodort dans sa dernière vidéo « Des jeux, du rire et des retrouvailles ». Un avis partagé par JOYCA. « Lucas, quel crack. Merci à lui tous les jours pour ce qu’il m’a apporté. Il est tellement important dans ma carrière. »
Par son expérience, Squeezie s’est imposé comme le chef d’orchestre des nouvelles générations. Ses collaborations régulières avec des têtes émergentes lui permettent de se réinventer constamment, mais aussi de renforcer sa proximité avec un public jeune. « Certains lui reprochent de prendre le buzz des autres, mais c’est faux. Squeezie n’en a pas besoin pour tout casser. Quand ça fait longtemps que t’es dans un domaine, t’as envie de te mélanger avec les nouveaux pour te renouveler. Quand il m’invite sur deux vidéos, j’ai un peu le sentiment d’être avec le Drake de YouTube. Les vidéos auraient même mieux fonctionné avec des potes à lui », raconte Mehdi Maïzi.
Certains lui reprochent de prendre le buzz des autres, mais c’est faux. Squeezie n’en a pas besoin pour tout casser.
Un contenu universel pensé pour tout le monde
Aujourd’hui, personne ne sembler incarner mieux le divertissement mainstream que Squeezie. Grâce à son accessibilité et son image bienveillante, il touche toutes les générations et se veut fédérateur. Que ce soit les plus jeunes, celles et ceux qui ont grandi avec lui, mais aussi les parents. Squeezie a instauré une relation de confiance forte avec sa communauté. Ils ont l’impression de le connaître personnellement. « Squeezie conçoit des vidéos grand public, claires dans leur intention : divertir et rassembler. Cela permet à ceux qui ont grandi avec lui de ne pas décrocher et aux nouveaux de rejoindre sa communauté. Il touche tout le monde aussi, car il est encore à un âge pivot, entre les jeunes parents et les adolescents », développe Rémi J., âgé de 27 ans.
En 2025, Squeezie figure à nouveau parmi les personnalités préférées des 7-14 ans, se hissant à la sixième place du classement publié par le Journal de Mickey. « Squeezie est doué et passionné dans ce qu’il fait. Son contenu est diversifié, de quoi plaire à tous. Sa façon de parler y est aussi pour beaucoup. Il est respectueux et fait de la prévention quand il aborde certains sujets. C’est important », confie Wilfried, 19 ans.

Les générations plus âgées le reconnaissent davantage, grâce aux médias traditionnels, aux interviews et aux événements IRL comme le GP Explorer. Les enfants jouent également un rôle. « Je l’ai découvert grâce à mes deux garçons. Très vite, je me suis surprise à rire. Il a un humour qui parle à toutes les générations. Ce n’est pas juste du divertissement bête. Même quand mes enfants ne sont pas là, je continue de suivre ses vidéos. C’est devenu un vrai plaisir personnel », avoue Cécile D., 51 ans.
S’il est solidement installé dans le quotidien des Français, Squeezie n’échappe pas aux critiques. Certains lui reprochent parfois d’être trop « lisse » ou trop « propre ». La rançon du succès. « Quand tu veux toucher le plus de monde possible, ton contenu va obligatoirement se lisser. Avec Squeezie, on se contente de moments friendly, de rire et de partage. Ce serait comme reprocher à l’eau d’être universelle », glisse Rémi J.
Squeezie conçoit des vidéos grand public, claires dans leur intention : divertir et rassembler.
La consécration avec le GP Explorer 3
Les 3,4 et 5 octobre, Squeezie a clôturé l’un des plus gros chapitres de sa carrière avec la troisième et dernière édition du GP Explorer (ndlr : une course de Formule 4 entre créateurs de contenus sur le circuit des 24 Heures du Mans). Au fil des éditions, l’événement s’est imposé comme un incontournable, attendu et suivi par des millions de personnes. Perçu par un bon nombre sur les réseaux sociaux comme une bouffée d’oxygène dans une actualité mondiale oppressante.
Pour « The Last Race », Squeezie a vu les choses en grand avec 24 pilotes (ndlr : dont les rappeurs SCH, PLK et Houdi) et plus de 200 000 spectateurs sur place. La diffusion du GP Explorer 3 fut massive avec 1,37 million de spectateurs simultanés sur Twitch, un record d’audience en France. À cela s’ajoutent 100 000 viewers sur les chaînes d’Hasan, Pokimane et Ibai, mais surtout 1,2 million de téléspectateurs de France 2 et France 4. Le choix de France Télévisions illustre pleinement la place qu’occupe désormais Squeezie dans le paysage médiatique français.

Le GP Explorer a une nouvelle fois prouvé la puissance des créateurs de contenus. À savoir qu’ils sont capables de déplacer du public dans la vraie vie. « Ce type d’événement illustre la victoire d’Internet. Les créateurs de contenus comme Squeezie sont des patrons de médias. Ils ont une réelle maîtrise du divertissement », constate Mehdi Maïzi.
Pour couronner le tout, un album, produit par SCH, a vu le jour en guise de bande son de l’événement. Gims, Theodora, Yamê, La Mano 1.9, ElGrandeToto ou encore Kekra sont présents sur la tracklist. Comme toujours avec Squeezie, le succès est au rendez-vous pour The Last Race avec 33 185 ventes en première semaine. De quoi s’emparer de la deuxième place du Top Albums derrière Taylor Swift.

Les créateurs de contenus comme Squeezie sont des patrons de médias.
L’institution Squeezie
Comme vous l’aurez compris, Squeezie a depuis bien longtemps dépassé le cadre de YouTube et de Twitch. Il s’est rapidement diversifié afin d’amplifier sa visibilité.
On peut citer sa marque de boisson Ciao Kombucha, son équipe d’e-sport Gentle Mates avec Gotaga et Brawks, un album de musique avec Oxyz en 2020 (ndlr : certifié disque d’or, soit plus de 50 000 ventes), un documentaire sur Prime avec Squeezie : Merci Internet, une statue au musée Grévin ou encore une agence de communication nommée Bump.
En résumé, Squeezie a créé un véritable empire à partir de rien. « Squeezie, ce n’est pas une seule personne, à savoir Lucas Hauchard. Ce sont des dizaines de personnes qui le conseillent, des réunions hebdomadaires. Toute sa communication est mûrement réfléchie. Tout est fait dans le but que son entreprise marche et les chiffres augmentent », affirme Rémi.J.

Toutes les semaines, des gens veulent créer une polémique sur Squeezie.
Quel avenir ?
Être numéro un sur YouTube n’est jamais simple. Chacun des faits et des gestes de Squeezie est scruté, analysé et interprété. « Pour rester numéro un, il faut avoir l’envie. C’est compliqué de durer, car tu prends des coups. Toutes les semaines, des gens veulent créer une polémique sur Squeezie. Il faut avoir le cardio et les épaules », rappelle Mehdi Maïzi.
Néanmoins, il reste aussi investi qu’au premier jour, avec pour objectif de créer, innover pour surprendre sa communauté. Loin de montrer des signes de lassitude, Squeezie semble au contraire au début d’une nouvelle ère avec des formats toujours plus ambitieux comme « Qui réussira à stopper le train ? ».
Si la concurrence risque de se renforcer dans les prochaines années (Inoxtag, Michou, JOYCA), Lucas Hauchard devrait continuer à nous divertir encore longtemps. Il sera probablement détrôné un jour. C’est le sens de l’histoire. Mais il est bien loin d’avoir dit son dernier mot.

@behindtheblinds by @janssensjorre