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« The College Dropout » : 15 ans de Kanye West

« The College Dropout » : 15 ans de Kanye West

Retour en ce jour du 10 février 2004 pour chroniquer l’un des albums les plus influents de sa décennie…

Au début des années 2000, si une instru en vogue n’était pas produite par Timbaland ou les Neptunes, il était à fort part à parier qu’elle était signée Kanye Omari West.

Kanye qui ? Engagé sur le label Roc-A-Fella et reconnu pour sa contribution au classique Blueprint de Jay Z en 2001 (Takeover, Izzo, Heart of the City…), ce dernier n’était alors considéré que comme un geek des studios dont le talent se devait d’être mis au service de celui des autres.

Si de ce point de vue le plan se passe comme prévu, Kanye West a lui d’autres ambitions en tête : il veut faire rappeur. Et tant pis si son profil de fils de la classe moyenne habillé d’un éternel polo pastel est à mille lieues de celui recherché, le bonhomme est (déjà) du genre têtu.

Têtu et talentueux, puisque quand sort enfin son premier album The College Dropout où il officie seul aux commandes, il réussit à ni plus ni moins transformer l’image que le milieu rap et son public se font du emcee moyen à coup de thèmes inédits et de sonorités nouvelles.

Pourquoi ? Comment ? La réponse morceau par morceau.

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1. Intro (Skit)

Impossible de dissocier le College Dropout de son cortège d’interludes qui donnent à l’opus ce côté concept.

Interprétées par l’humoriste et comédien DeRay Davis qui fait de son mieux pour imiter le défunt Bernie Mac, elles sont l’occasion de tourner en parodie le système scolaire en mettant en scène un jeune Kanye qui vient de lâcher le lycée sans que cela ne l’affecte plus que ça.

Pas dit que sa mère, ancienne prof’, ait apprécié.

2. We Don’t Care

Refrain enjoué, sample de soul et voix pictchées, difficile sur la forme de faire plus Kanye West.

Le texte n’est lui en revanche pas des plus légers puisqu’il justifie par l’impératif de survie le fait que la jeunesse des ghettos se retrouvent « forcée de vendre du crack, de rapper ou de trouver un boulot », tandis que les enfants qui composent le chœur chantent tout le bonheur qui serait le leur de dépasser un jour les 25 ans.

3. Graduation Day

Second interlude qui voit Kanye se faire taper sur les doigts par un type que l’on imagine être l’assistant du proviseur pour avoir parlé de drogue et avoir fait chanter des enfants sur le sujet.

John Legend, dont c’est la première apparition, prend ensuite le relai pour donner une tournure beaucoup plus sombre et grandiloquente à la chose.

4. All Falls Down (featuring Syleena Johnson)

L’un des morceaux les plus iconiques du catalogue du Louis Vuitton Don.

Explorant la culture black américaine et ses contradictions via le portrait d’une jeune femme célibataire accroc au shopping (interprétée dans le clip par la toujours sublime Stacey Dash), il déplore cette course au consumérisme qui plus encore que n’importe quel barreau de prison prive sa communauté de liberté.

Impossible cependant de ne pas faire le parallèle avec le Kanye d’aujourd’hui qui est à bien des égards devenu l’incarnation de cette vie-là.

Dans un autre registre, notez que la première version de ce troisième single samplait Mystery of Iniquity de Lauryn Hill avant que ses vocaux ne soit remplacés par ceux de Syleena Johnson, une chanteuse soul originaire de Chicago.

5. I’ll Fly Away

Plus ou moins reprise par John Legend d’un classique gospel du même nom d’Albert E. Brumley (celui-là même que Puff Daddy avait fait sampler sur I’ll Be Missing You), cette piste loin d’être indispensable en tant que telle (ne serait-ce que parce qu’elle dure qu’une minute à peine) est surtout là pour faire « c’est-pas-qu’du-rap ».

6. Spaceship (featuring GLC & Consequence)

Typiquement le genre de chanson à laquelle tout le monde peut s’identifier : confronté à l’absurdité d’un boulot strictement alimentaire, qui n’a jamais été un jour pris par l’envie de partir le plus loin possible à bord d’un vaisseau spatial ?

Si là encore imaginer le Kanye 2019 vendeur chez Gap ne se fait pas sans difficulté, aucun souci sur ce point pour ce qui est de ses potes GLC et Consequence qui, vu la tournure qu’ont pris leurs carrières, doivent toujours être en train de plier des pantalons cargo et des polos en réserve – pour ceux qui ne se rappellent plus de leurs têtes, sachez qu’un clip jamais sorti a été tourné.

7. Jesus Walks

L’histoire retiendra qu’avant Yeezus il y avait Jesus Walks. Et qu’avant Jesus Walks il n’y avait pas foule pour rapper sur autre chose que « les putes, la drogue et la violence ».

Quand bien même les rumeurs de ghostwriting et de ghostproducing se sont partiellement vérifiées au fil du temps, West est ici sincèrement possédé par son sujet (la religion), lui qui au début du siècle ne se faisait quasiment jamais voir sans son pendentif Nazareth.

Et si les bondieuseries ne vous parlent pas plus que ça, l’instru et ses batteries suffisent à faire lever et à faire marcher n’importe quel athée.

8. Never Let Me Down (featuring Jay-Z & J. Ivy)

Track blockbuster initialement destiné au Blueprint 2 du « big brother », de par son mélange des genres Never Let Me Down peut tout aussi bien rebuter qu’enthousiasmer.

Était-il en effet absolument nécessaire d’insérer du spoken word, qui plus est interprété par un illustre inconnu ? Ou de faire égotriper Jay Z (alias « le Pape Jean-Paul de tous ces renois ») sur ses chiffres de ventes alors que l’ambiance est à la dénonciation du racisme et à l’élévation spirituelle ?

Difficile néanmoins de nier l’efficacité du rendu.

9. Get Em High (featuring Talib Kweli & Common)

Quoi de mieux que d’aller débaucher parmi deux des emcees les plus conscients de leur temps pour les faire participer au morceau le plus débauché de l’album ?

Sur une instru qui préfigure d’une certaine façon 808s and Heartbreak (pas de cordes, pas de cuivres, pas de vocaux, seules des lignes très synthétiques de basse et de batterie), Kanye élève ici son jeu façon freestyle face à ses aînés et prouve aux plus sceptiques qu’il est autant un rappeur qu’un producteur.

10. Workout Plan (Skit)

Prélude à la prochaine piste dans lequel de jeunes femmes discutent de la seule et unique chose qui semble les intéresser : perdre du poids.

11. The New Workout Plan

Parodie des programmes d’aérobic vendus à des filles qui ne cherchent qu’à miser sur leur physique pour réussir (i.e. faire un gosse à un athlète pro), ce titre à prendre au second degré n’en reste pas moins le plus faiblard de l’album, ne serait-ce que pour son concert de violons des plus crispants.

Étonnamment, bien qu’il fasse tâche avec la cohérence globale, la rumeur veut que Kanye ait longtemps hésité à en faire son lead single.

12. Slow Jamz (featuring Twista & Jamie Foxx)

Attention banger ! Single commun avec l’album de Twista (une idée de Jay Z), Slow Jamz c’est tout d’abord un beat inoubliable, mais aussi trois façons de l’aborder sans que cela ne sonne de manière artificielle à l’oreille.

Seul petit bémol : à la différence de la rime sur Michael Jackson qui passe toujours aussi bien, quinze ans après les faits personne n’a encore compris « She be grabbing / Calling me Biggie like Shyne home ».

13. Breathe in Breathe Out (featuring Ludacris)

Le problème avec les très bons disques, c’est qu’au milieu de très bonnes chansons, les bonnes chansons pâtissent fatalement de la comparaison.

Illustration ici avec ces quatre minutes loin d’être des plus marquantes, même si l’on a droit à un refrain exécuté par un Luda plus Luda que jamais, ce qui en 2004 n’était pas rien.

Ça, et l’une des quotes les plus emblématiques du ‘Ye 1.0 qui se décrit dans le premier couplet comme « le premier renoi avec une Benz et un sac à dos ».

14. School Spirit (Skit 1)

Un interlude au message finalement assez simple : dans la vie l’école, c’est important, mais l’école de la vie l’est tout autant.

15. School Spirit

Pour celles et ceux qui n’ont toujours pas capté qu’au moment de l’enregistrement de College Dropout le truc que Kanye détestait le plus au monde c’était l’école, voici une piqûre de rappel.

Et pour info, la censure des jurons ne procèdent aucunement d’une figure de style, mais d’une condition posée par Aretha Franklin herself pour permettre le rééchantillonnage de son Spirit in the Dark.

Dernière précision enfin, si School Spirit vous rappelle vaguement un autre hit du répertoire du rappeur, vous n’avez pas la berlue puisqu’en 2007 Good Life reprendra allègrement la ligne « I’ma get on this TV mama, I’ma put shit down ».

16. School Spirit (Skit 2)

Un jeu de mots qui met 44 secondes à arriver…

17. Lil Jimmy (Skit)

Question 1 : est-ce parce que l’on peut inclure jusqu’à 80 minutes de musique dans un compact disc qu’un artiste doit se sentir obligé de tout remplir jusqu’au couvercle ?

Question 2 : faut-il assimiler la critique du système scolaire à la question des revenus comme c’est ici systématiquement le cas ou presque ?

18. Two Words (featuring Mos Def, Freeway & The Boys Choir of Harlem)

Joies de l’éclectisme encore et toujours, Kanye-le-trait-d’union fait le lien entre le très street Freeway, le très posé Yasiin Bey, une chorale new-yorkaise qui passait par là et des riffs de guitare.

Et plutôt que de s’en tenir là, choix est fait de rapper deux mots par temps histoire de rythmer l’affaire.

Solide.

19. Through the Wire

Premier titre sorti en tant qu’artiste solo, premier single et premier succès, Through the Wire a été enregistré deux semaines après un accident de voiture qui lui a brisé la mâchoire, et ce, alors qu’il avait du fil métallique plein la bouche – porté par un élan d’humilité sans pareil, ‘Ye s’excuse d’ailleurs de ne pas articuler correctement.

Sinon le beat est tellement fou qu’il se passe de refrain.

20. Family Business

Contrairement aux apparences, Kanye n’évoque pas ici uniquement sa propre famille, mais compile différents témoignages.

Bien lui en a pris, puisqu’il propose là l’un de ses meilleurs morceaux ever tant sur le fond que sur la forme.

Décidément quelle fin d’album.

21. Last Call

S’il fallait résumer College Dropout à un seul morceau, ce serait peut-être celui-là.

Douze minutes et quarante-et-une secondes à cœur ouvert (dont huit minutes parlées), où Kanye West laisse son arrogance de côté pour conter ses doutes et ses frustrations dans son chemin vers le succès.

De l’introspection certes, mais de l’introspection à laquelle l’auditeur moyen peut s’identifier – et pas des « Twitter rants » sur des deals foirés avec Nike ou des embrouilles fanées avec Taylor Swift.

Mais que s’est-il passé Kanye ?

Impossible de réécouter College Dropout sans se poser cette question du début à la fin, et ce même si la réponse est au fond assez simple : celui que personne ne prenait au sérieux à ses débuts a fini par se prendre trop au sérieux (parce que trop de célébrité, trop de tourments, trop de yes men, trop de nombrilisme…).

N’en reste pas moins un album fondateur, œuvre d’un passionné à l’éthique de travail irréprochable – ce n’est d’ailleurs pas un hasard si avec près de quatre millions de copies écoulées, l’opus demeure le plus vendu de sa discographie.

À (re)découvrir en essayant de se dépouiller de tout a priori sur le personnage donc.

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