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Tengo John tranche dans le vif [PORTRAIT]

Tengo John tranche dans le vif [PORTRAIT]

Depuis quelques temps, un jeune rappeur originaire du Val-de-Marne commence à faire parler de lui…

Avec son dernier projet, Multicolores, sorti le 13 avril dernier, il semble avoir franchi une étape dans sa carrière. Mais comment Tengo John en est-il arrivé là ? Rencontre avec un jeune rappeur déterminé.

A 22 ans, Tengo John commence tout juste à se faire connaître, à force de sessions de kickage bien placées. Après quelques projets aux cercles d’auditeurs encore restreints, son compteur de vues a pris du poids avec une série de sons nommés Trois sabres. Si ses lyrics manquent parfois un peu de bouteille, le flow est déjà vif et incisif. Enquillant une deuxième, puis une troisième partie de ses Trois sabres, Tengo John a su montrer qu’il savait envoyer une grande énergie dans ses morceaux.

A l’écoute de Multicolores, , l’auditeur aux oreilles ouvertes aura le plaisir de découvrir que le emcee a le mérite de savoir utiliser une palette diversifiée. Si l’on retrouve d’autres sons dans la veine des Trois sabres, tels le percutant Collision ou le bondissant Interphone, Tengo sait aussi se faire plus léger. Par exemple sur Geisha, qui expose ses sentiments pour l’élue de son cœur, ou sur Printemps, joli patchwork de tranches de vie. Autre point fort, des clips finement travaillés, qui méritent clairement qu’on s’y attarde.

Il est blanc et rappe vite, mais c’est pas Eminem

La première fois qu’il rappe, c’est pour se marrer avec des potes, après avoir vu des épisodes de « rap contenders, époque lycée ». Dans le morceau Interphone, Tengo John prévient, peut-être à l’adresse des journalistes généralistes peu instruits en matière de rap, il est blanc, mais scoop, ce n’est pas Eminem. Néanmoins, il se souvient de l’influence qu’a pu avoir sur lui Nekfeu, l’aidant à se dire que le rap pouvait aussi être pour lui : « le fameux battle de Nekfeu, je pense qu’il y a beaucoup de blancs comme moi qui se sont dits « ah ouais, on peut le faire, on peut rapper en France en étant blanc, on peut au moins essayer » ».

Après les premiers délires de clashs entre potes, il va persévérer, écrivant de son côté, par exemple pendant les heures de colle au lycée. Une autre influence marquante dont il se rappelle est d’une autre génération. Grâce au grand frère d’un pote, il écoute Koma (Scred Connexion), qui lui donne envie d’écrire des choses aussi belles que le morceau Loin des rêves. Après un premier projet qu’il ne sort pas, il va enregistrer avec Kohm au studio Exepoq, collectif d’artistes montreuillois dans lequel il fera également connaissance avec les Big Budha Cheez. Son rappeur, Prince Waly, est un peu comme un grand frère pour lui, et c’est tout naturellement qu’il l’a convié sur le très chaud Cityzen Spleen, orchestré par un subtil beat réalisé par LaSmoul (Don Dada).

Des rencontres qui vont l’aider à façonner un peu plus son style et à son sortir son premier projet, Arc-en-ciel, en 2013. Il sera suivi par Près qu’elle, projet dédié à une fille, puis par Tortue de jade, et ensuite N+UV, réalisé avec le beatmaker Ocho, autre talentueux transfuge de l’écurie Don Dada.

Après le coup de projecteur que lui ont permis ses Trois Sabres, Tengo a pris le temps de capitaliser avec sérénité : « j’ai pris le temps de la réflexion pour sortir un projet que je voulais complet, qui puisse représenter toutes les facettes que je peux avoir, toutes les couleurs que j’aime explorer, sans être étiqueté à des morceaux comme « 3 sabres », « Tortank » ou « Collision », que j’avais sortis en visuels, et qui commençaient à devenir comme une image globale de ce que je fais, alors que c’est pas le cas ». Trois sabres comme les katanas d’un personnage qu’il affectionne dans le manga One Piece, Roronoa Zoro. Un personnage qui représente « le sens du sacrifice, le courage, et le fait d’aller au-delà des épreuves pour devenir plus fort ».

L’Asie, une thématique de prédilection pour lui, des mangas à ses rêves de voir « les cerisiers du Japon ». Une inclinaison qu’il doit à ses parents, qui lui ont donné l’occasion de voyager jeune à Hong Kong, rendant visite à un ami de la famille.

Pas fan de son époque

Tengo John a la fougue de ses 22 ans, l’air déterminé et des avis bien tranchés. Dans une interview donnée il y a quelques mois, il était dur envers son époque et ses contemporains. J’avais envie d’en savoir plus : lunatique le jeune Tengo ou déterminé à faire valoir son point de vue, sans concession ? Une fois relancé, il persiste et signe, prenant soin au passage de s’inclure dans l’objet de sa critique : « Quand je dis « ma génération », je me mets dans le lot hein, même si j’essaie d’avoir du recul. Notre génération je la trouve trop nihiliste. Je les trouve nihilistes, cyniques, j’ai l’impression qu’ils ont tué l’amour, ou qu’ils l’ont laissé mourir devant leurs yeux, et qu’ils l’acceptent trop facilement, que ce soit l’amour ou l’espoir ».

Les gens veulent du sang, de l’adrénaline, c’est ça qui me soule un peu dans cette époque

Alors, à quelle époque t’aurais aimé vivre, Tengo, si tu pouvais choisir ? S’il confie en plaisantant se satisfaire d’être en 2018 pour la qualité de la médecine, il aurait bien choisi une époque plus libre : « de ce que je vois de l’après-guerre, dans les années 50 et 60, dans certains endroits, ça avait l’air d’être quelque chose d’assez joyeux et d’assez incroyable à vivre, cette espèce de libertarisme, et de vent de liberté d’un coup. De musique, les gens avaient soif d’amour, de vivre en fait, de légèreté des choses. Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, c’est quelque chose qui me parle beaucoup, j’aime beaucoup la musique de ces années-là, le jazz de ces années-là. »

Pas fan de son époque, dans laquelle il a l’impression que ça « rit jaune », et qu’on « laisse le bateau sombrer ». « J’ai l’impression qu’avant les gens réfléchissaient plus. On cherchait à devenir intellectuel, c’est quelque chose qui était bien représenté. Aujourd’hui on dit « ah c’est un intello », c’est mauvais, aujourd’hui c’est quelque chose qu’est presque rejeté. Parce que l’époque se prête plus à ça, maintenant c’est Hanouna, les Anges de la télé-réalité, et des millions, c’est ça les scores. Les gens ils veulent du sang, de l’adrénaline, c’est ça qui me soule un peu dans cette époque. On prend plus assez le temps de la réflexion, ça va trop vite ».

Rap philosophe

Le rap de Tengo John est un peu comme un puzzle, mêlé de ses rêves, ses doutes et ses passions, comme une sublimation, qui le voit passer par tous les états. Et bien malin qui saura résumer son identité, lui dont le rap semble encore en pleine progression : « c’est mis en scène, c’est romancé évidemment. J’essaye de faire en sorte que mon rap soit vrai. A part quand c’est de l’egotrip pur et dur, ou que je fais référence à des mangas. Mais même dans ce cas, j’essaie toujours de le ramener un peu à moi ». Un goût pour la réflexion qu’on peut constater, quand on l’interroge sur ses dernières lectures :

« J’aime bien la philo. Depuis mes 14-15 ans, je lis quasiment plus de romans. Ça m’arrive de lire des essais, de la philo. Récemment, j’ai beaucoup aimé un bouquin d’Hubert Reeves, un bouquin qui s’appelle « La terre et les hommes ». C’est un essai, entre philosophie et essai scientifique, il y a beaucoup de mathématiques et de physique dedans, c’est très complet. Il essaye d’aborder plein de thèmes, c’est magnifique. Sinon j’aime beaucoup Michel Onfray, je trouve qu’il démocratise bien la philo. J’avais un prof qui s’appelle Stéphane Floccari, qui faisait pareil à son échelle, de démocratiser la philosophie, de la rendre accessible à tous. C’est quelque chose que je trouve essentielle la philosophie. C’est la réflexion sur la vie, et tout le monde devrait pouvoir en faire.

La philosophie de Nietzsche c’est dire oui à la vie, oui à la mort

Avoir des questionnements sur soi-même, c’est hyper important pour progresser au quotidien. Y a plein de rappeurs qui lisent de la philo, ou même des footballeurs. J’avais vu que Benarfa il s’était mis à lire Kant, que ça avait changé sa façon de jouer. J’aime bien Jean-Paul Sartre, j’aime bien Camus. Je pense que mon philosophe préféré c’est Nietzsche. Y a quelque chose que j’aime beaucoup chez lui, un concept que j’adore, qui est le fait que la mémoire serait le plus grand ennemi de l’homme. Je le rejoins énormément là-dessus. C’est le savoir la mémoire, c’est une vertu, c’est le socle qui nous permet d’avancer et de pas refaire les mêmes erreurs qu’avant. Mais les conséquences négatives de la mémoire, elles, sont sous-estimées. La philosophie de Nietzsche c’est dire oui à la vie, oui à la mort, c’est le fait d’accepter son sort, donc c’est optimiste Nietzsche. Il est à la fois réaliste et optimiste, c’est ça que j’aime bien ».

Comme porté par une forme de feu sacré, Tengo John semble avoir des ressources dans le moteur. Un état qui devrait le pousser vers des performances renouvelées ce qu’on devrait pouvoir vérifier prochainement dans un autre contexte, celui du Cercle de Sofiane. Ça devrait kicker salement.

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