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Renaud Rebillaud: l’homme derrière les hits de Maître Gims [INTERVIEW]

Renaud Rebillaud: l’homme derrière les hits de Maître Gims [INTERVIEW]

Entretien avec un homme de l’ombre venu du rock. Un artiste derrière les plus gros titres de Maître Gims, mais pas seulement…

Passé du punk au hip hop en un rien de temps, Renaud Rebillaud compose aujourd’hui pour Maître Gims, Black M ou encore Kendji Girac. Lorsqu’il nous reçoit, il sort dans un sourire qu’il est un homme de l’ombre, un vrai : « Quand Gims parle de moi en interview, il dit juste mon prénom, les gens ne savent pas qui je suis ». A l’occasion de la sortie de l’album Ceinture Noire, sur lequel il aura travaillé sur 25 morceaux, focus sur un type au parcours atypique. Un véritable hitmaker derrière Désolé ou Bella, et dont la carrière tient à un message sur MSN…

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Alors comme ça à la base ta culture c’est le punk ?

J’étais dans le punk, un milieu assez indé qui, déjà, ne tolère pas franchement d’autres styles dans le rock. J’ai enregistré mon premier album très tôt, j’avais 16 ans. Je jouais avec des mecs plus âgé que moi et ça a duré environ dix ans, jusqu’à ce qu’on commence l’aventure avec la Sexion. J’avoue que ma vie, ce n’était que ça. Je n’écoutais pas du tout de rap ou presque. Dans mes potes, j’étais ce gars-là, celui qui n’écoute que du rock, à part peut-être l’album de Dre en 2001. Le reste je ne connais pas du tout. J’ai connu la Sexion grâce à Wisla, qui a fait les prods de L’Ecrasement de tête. L’Ecole des points vitaux, c’est le premier album sur lequel j’ai travaillé avec eux.

Comment la rencontre s’est faite ?

La connexion s’est faite pendant l’été 2009. J’étais chez mes parents, sur l’ordi, à rien faire. Là, il y a mon vieux pote Wisla, qui sait que je suis musicien et qui m’envoie un message sur le chat MSN : « Je suis avec un groupe de rap, on a besoin de quelqu’un pour des arrangements à la guitare ». C’est le genre de messages auxquels parfois, t’as même pas envie de répondre, car t’as envie de rien faire. Mais là, je me dis OK. J’ai débarqué dans un appart’ place Clichy et Gims était en train de faire une prise. Je n’entendais que sa voix et je trouvais ça chan-mé. C’était mortel, il était à la fois drôle et super technique. On a fait trois sons cet après-midi là et depuis, on ne se lâche plus. Franchement, ça tient à un message. Si je n’avais pas répondu, il n’y aurait rien eu de tout ça.

La Sexion m’a fait sortir du rock et de mes a priori. Chez eux, il y avait une musicalité, du chant dans les refrains, mais aussi de l’humour

L’album L’école des points vitaux apporte du renouveau à une époque où il y a moins de prises de risques…

La Sexion m’a fait sortir du rock et de mes a priori. Chez eux, il y avait une musicalité, du chant dans les refrains, mais aussi de l’humour. C’était l’humour de notre génération, avec quelque chose de très Parisien aussi. Je suis de Paris aussi et je me reconnaissais là-dedans, ça m’a séduit. En plus, j’ai ramené de la guitare dans tous les morceaux, de Désolé jusqu’à Wati by night. C’était une bonne rencontre, car je me suis intéressé à ce qui se passait dans le rap. A l’époque, c’était quand même très froid, avec des sons d’ordinateurs… Avec eux, j’avais l’impression de faire quelque chose de frais, de différent. Désolé, je l’ai par exemple écouté en boucle. J’allais au studio en métro et j’écoutais tous les jours Désolé en kiffant ma race (rires). Comme si c’était un truc que je découvrais, c’était à la fois simple et puissant, j’étais convaincu que ça allait marcher.

Bosser avec la Sexion D’Assaut, ça t’as permis d’avoir une oreille plus neuve ?

J’en ai parlé avec plein de gens et j’ai l’impression que lorsque du nouveau arrive dans la musique, c’est quand des gens se mélangent. Un mec qui a écouté du rap depuis tout petit et qui veut faire du rap, il peut faire des trucs chan-mé, que ce soit en tant que rappeur ou producteur. Il peut même faire des trucs géniaux, mais il ne révolutionnera pas son style, c’est impossible. Dans le rock, mon groupe était cool. Les gens kiffaient bien, on faisait des tournées, etc. Mais je n’aurais jamais pu révolutionner ce genre-là. Dans le rap, on n’a pas fait de révolution, mais on a au moins essayé de le changer. Sexion D’Assaut, beaucoup de monde s’est inspiré de ça, le rap est devenu très pop entre 2009 et 2015. Il faut toujours essayer d’apporter quelque chose de nouveau, comme par exemple Skrillex dans l’électro alors qu’il vient du métal.

Justement, est-ce que t’arrives à anticiper les tendances ?

C’est impossible. Tant qu’il n’y a pas un nouveau truc qui arrive pour tout balayer, c’est compliqué de se faire un avis. Se réorienter, se réinventer, c’est super dur. Je pense que les artistes ont besoin de travailler avec des gens différents. Anticiper le game, c’est difficile, il faut aller chercher des choses nouvelles. En ce moment, t’as les sons brésiliens qui reviennent à mort. Mais la peur qu’on peut avoir, c’est que tout le monde essaye de copier le même son brésilien. Avec les sons afros, c’est pareil. Il faut avoir envie de quelque chose de personnel, pas juste le faire pour le faire. Il faut réussir à se différencier, sinon ça fait flipper.

Si t’essayes de faire deux fois le même son, tu te plantes

T’as cette volonté de faire un nouveau son à chaque fois ?

C’est quelque chose de difficile. Si t’essayes de faire deux fois le même son, tu te plantes. Il faut différencier la composition de la production. Une compo, tu peux la produire dans plein de styles différents. Evidemment, il y a toujours une version mieux qu’une autre. Je pense que c’est toujours mieux de commencer à composer un morceau, car si t’arrives avec une topline dans un certain style ou une production dans un autre, c’est un peu biaisé. Je préfère créer un morceau puis l’habiller comme je veux. Au final, il y a des morceaux en piano-voix qui pourraient être bien en reggaeton. Souvent, les gens confondent les deux, la prod et la compo. En prenant des palettes de dix prods dans un style précis, sans même de ligne chant, c’est compliqué de se démarquer en tant qu’artiste.

Du coup, tu pars de zéro lorsque tu bosses avec un artiste ?

Tu peux te dire qu’écouter des prods et poser dessus, c’est quelque chose de très à l’ancienne, de très rap. Quand je travaille avec Gims, Black M ou encore Ridsa, on part de zéro et on construit un univers. On n’a pas de prod de départ, ça permet d’avoir quelque chose de très personnel pour l’artiste. C’est con, mais quand quelqu’un envoie une prod sur internet aujourd’hui, il y a peut-être moins d’interaction avec l’artiste. Avoir une réelle alchimie, c’est un plus.

Tu arrives à avoir cette alchimie avec des artistes très différents, de Gims à Kendji Girac…

On venait de terminer l’album de Maître Gims, il avait bien marché avec des morceaux comme Bella et J’me tire. J’étais dans mon coin et on m’a contacté, car l’album de Kendji était prêt, mais il lui manquait son premier single. En fait, j’allais partir en vacances et j’ai reçu trois textes. C’est la première fois que je me basais sur des écrits pour composer. En lisant Color Gitano, c’était trois heure du matin, j’avais toute la musique qui me venait. Ma copine dormait et j’ai enregistré un mémo en chuchotant. Le lendemain, il a fallu déchiffrer, mais ça a fonctionné (rires) ! Sur le moment, tu te dis que travailler avec des chanteurs que tu ne connais pas, c’est plutôt simple. En réalité, c’est beaucoup plus difficile, l’inspiration ne vient pas d’un coup (rires). Kendji, c’est marrant, car c’est un artiste qui aime tout ce qui vient de l’urbain. Il souhaite évoluer, c’est le bon chemin.

Gims, tu sens déjà qu’il a une facilité de malade pour le chant. C’est complètement assumé aujourd’hui

Et comment t’as abordé la transition de Gims vers le chant pur et dur ? C’est quelque chose qui était ancré en lui ?

Totalement. C’est un chanteur exceptionnel, il a toujours eu cette envie. Avant, il chantait peut-être un petit peu moins, mais on capte son potentiel sur Casacadé, dans L’Ecrasement de tête. C’est mon morceau préféré de la Sexion, il se permet plein de choses dessus. Tu sens déjà qu’il a une facilité de malade, qui est complètement assumée aujourd’hui. Sur Subliminal, on a gardé le nectar de ce qu’il pouvait faire. C’est un album assez varié, avec du dancehall, du chant, etc. Il donne tout ce qu’il a à donner, que ce soit doux ou pas. Le côté pop avec les guitares, c’est mon délire, ma culture… Et ça le pousse à aller plus loin aussi.

Il y a des artistes avec qui tu aimerais bosser ?

En France, je bosse déjà avec beaucoup d’artistes différents. C’est difficile de trouver quelqu’un avec qui tu rêverais de travailler. Par exemple, partir de zéro, c’est à la fois intéressant et gratifiant. C’est une superbe sensation qui peut te permettre de repartir sur un délire plus frais. J’aimerais bien, mais c’est extrêmement difficile. Trouver des talents, en province ou ailleurs, c’est compliqué. Je suis sûr qu’il y a en a plein qui passent entre les doigts des maisons de disques. Dans le rap, ce qui me fait flipper, c’est d’arriver avec la même recette chez d’autres artistes. A chaque fois, je me pose cette question : « Qu’est-ce que je pourrais lui apporter ? » Sinon pourquoi pas Nekfeu, ça pourrait être intéressant ? Je suis sûr qu’il y a quelque chose à faire avec Orelsan aussi. Mais si ça se fait, ça sera naturellement.

En France, on se questionne toujours sur la recette d’un tube…

Cela ne fonctionne pas comme ça. Tu peux avoir tout juste dès que t’as posé la maquette, en gardant les premières voix. En une prise, tu peux avoir un truc super. Avec Gims, il y a plein de fois où ça s’est passé comme ça. En revanche, des fois, tu changes complètement ta vision de départ, ça peut prendre des plombes. Quand tu te retrouves à changer une prod quinze fois d’affilée, c’est que ce n’est pas la bonne, il faut laisser tomber à mon avis. Je préfère quand tout se fait rapidement, lorsque tu sens qu’il y a un truc qui se passe.

Désolé était réservé à la chanteuse Charly Bell. Un morceau dont elle n’a pas voulu et qui a peut-être changé le destin de la Sexion

Pour terminer, t’as des anecdotes sur tes moments en studio ?

Désolé était réservé à la chanteuse Charly Bell. Un morceau dont elle n’a pas voulu et qui a peut-être changé le destin de la Sexion. Bella, on l’a fait en 2010 et on l’a sorti trois ans plus tard. Dans l’urbain, c’est très rare que quelque chose ne devienne pas has-been quelques années après l’enregistrement. Je pense qu’on aurait pu le sortir six ans après. Il aurait également marché. Il y avait juste le refrain, on a fait la version finale au tout dernier moment. D’ailleurs, quand tu travailles sur un album, c’est souvent à la fin que tu trouves le meilleur morceau de l’opus. On savait que c’était un tube, même s’il n’est pas forcément dans un esprit hip hop. Heureusement qu’on l’a fait, c’est un bon coup de poker.

Crédits Photos : Antoine Ott

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