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Quel est le livre préféré de ton rappeur préféré ? [DOSSIER]

Quel est le livre préféré de ton rappeur préféré ? [DOSSIER]

C’est toi va te faire n*quer avec ton « va te faire n*quer toi et tes livres »…

Autant se l’avouer d’entrée : les rappeurs n’ont pas ni la réputation d’être de fins lettrés, ni d’être de grands lecteurs.

Si moult raisons viennent expliquer cela (parce que leur milieu et l’époque valorisent plus la possession que la connaissance, parce qu’il n’est quand même pas des plus évidents de se bâtir une culture livresque digne de ce nom avant un certain âge, parce qu’aucun emcee ne souhaite passer pour un premier de la classe…), il n’en reste pas moins qu’il existe de très nombreuses exceptions à la règle.

Et à recouper textes et interviews, il est même possible de dresser une bibliographie composée des livres préférés des uns et des autres.

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« Le Prince » de Nicolas Machiavel (1532)

Incarcéré neuf mois pour agression sexuelle en 1995, 2Pac en a fait son livre de chevet au point d’adopter à sa sortie un tout nouveau pseudo, Makaveli, et de signer de ce dernier l’ultime album enregistré de son vivant, The Don Killuminaty : The 7 Day Theory.

Ambassadeur de la république Florentine de 1498 à 1512, Niccolò di Bernardo dei Machiavelli est jeté en prison après que les Médicis aient restauré la monarchie et découvert un complot républicain ourdi par certains de ses proches.

C’est donc en cellule qu’il rédige ce précis à l’attention de tous les apprentis despotes désireux de conquérir le pouvoir suprême, puis de se donner les moyens de le conserver.

Contrairement aux traités politiques classiques qui jusque-là confondaient l’action publique avec la morale, Le Prince part du postulat que les hommes étant égoïstes, les dirigeants ne sont pas tenus de se conformer à cette dernière.

Bien que l’ouvrage incarne le cynisme le plus total (de lui vient l’adjectif « machiavélique »), il peut toutefois être compris d’une toute autre manière : il serait en réalité un manuel à destination du peuple visant à l’avertir des stratégies utilisées par les tyrans.

C’est d’ailleurs toute cette ambiguïté qui rend Le Prince aussi génial qu’indispensable.

« Behold a Pale Horse » de Milton William Cooper (1991)

Bien avant le 11 septembre, bien avant l’internet, le roi de la paranoïa s’appelait Milton Wiliam Cooper.

Sommet de pornographie complotiste, son chef d’œuvre vendu à plus de 300 000 exemplaires réussit non sans un certain brio à tisser un lien logique entre à peu près tous les évènements géopolitiques de la seconde moitié du 20ème siècle (l’assassinat de Kennedy, la guerre du Vietnam, la chute du mur de Berlin…) en les rattachant à une origine commune : l’invasion extraterrestre.

Écrit comme cela à ça a l’air un peu foufou, dans le texte c’est encore pire.

Pêle-mêle on apprend donc que les Illuminatis et les fraternités universitaires règnent sur le monde, que le virus du Sida a été créé puis propagé pour mettre un frein à l’expansion démographique des populations noires, hispaniques et homosexuelles, ou que la Guerre froide n’était en réalité qu’une mascarade pour détourner l’attention des masses des vrais problèmes.

Plus inquiétant, un nombre incalculable de rappeurs ont un jour cité ce livre dans leurs textes ou dans la presse : Public Enemy, Ras Kass, Big Daddy Kane, Busta Rhymes, Tupac Shakur, Talib Kweli, Nas, Rakim, Gang Starr, Goodie Mob, le Wu-Tang Clan…

« Le monde s’effondre » de Chinua Achebe (1958)

Avant leur pas des plus mémorables The Tipping Point qui en 2004 référençait le bestseller de Malcolm Gladwell, les Roots de Questlove nous avaient déjà fait le coup du titre d’album qui empruntait au titre de livre avec Things Fall Apart (Le monde s’effondre en VF) en 1999.

Écrivain nigérian, Achebe raconte le quotidien d’un village de l’ouest africain vivant en quasi-autarcie et qui à la fin du 19ème siècle voit débarquer sur le continent colons britanniques et missionnaires chrétiens.

Raconté à travers les yeux d’Okonkwo, un notable du clan des Igbos qui tente de résister à la mesure de ses moyens à cette hégémonie culturelle, le roman dépeint en filigrane la disparition d’un mode de vie fait de polythéisme, de culte des ancêtres, de rites et de tabous.

Certifié classique depuis sa sortie, le livre constitue le premier tome d’une trilogie.

« L’art de la guerre » de Sun Tzu (VIème siècle avant Jésus-Christ)

Loué par 2Pac, Eminem, Paulie des Soprano, RZA et bien évidemment par les Bone Thugs-n-Harmony qui en 1997 ont intitulé leur troisième album The Art of War.

Fruit des réflexions d’un général chinois dont personne ne sait s’il a vraiment existé, ce court traité de stratégie militaire (13 chapitres répartis sur moins de 80 pages) s’articule autour de l’idée que la victoire ne s’obtient pas nécessairement par l’affrontement direct, mais plutôt par toute une batterie de moyens détournés comme la ruse, l’espionnage ou la mobilité des troupes.

Mieux, les plus grandes victoires sont celles remportées sans même livrer bataille, et ce, grâce à tout un travail de sape accompli en amont (semer la discorde chez l’adversaire, court-circuiter sa préparation, lui imposer un terrain défavorable…).

Outre le fait d’empiler les punchlines, il n’est pas difficile comprendre ce qui plaît tant aux rappeurs dans ce livre : remplacez le mot « guerre » par le mot « game », le mot « affrontement » par le mot « clash », le mot « ennemi » par le mot « emcee », et vous voilà en possession du parfait petit manuel de survie pour naviguer dans les eaux troubles de l’industrie du disque.

« Pimp, mémoires d’un maquereau » d’Icerberg Slim (1967)

S’il est très probable que la seule et unique fois dans sa carrière où Birdman ait jamais fait mention de littérature dans ses lyrics soit dans le morceau Leather So Soft où il concède empiler ses liasses de billets comme des livres, toujours est-il que son label Cash Money a réédité au début de la décennie l’autobiographie du trafiquant de chair le plus célèbre des États-Unis.

Vingt ans durant, Robert Beck, alias Iceberg Slim, alias l’homme dont Ice Cube et Ice-T se sont inspirés pour trouver leurs pseudos, a ainsi vu défiler près de 400 femmes sous sa coupe, toutes lui rapportant au passage de menus dividendes.

D’une crudité sans pareil (lire cette scène où il fouette à de toutes ses forces à coups de cintre une employée récalcitrante), le livre ne se résume pas pour autant à une succession d’anecdotes morbides dans un décor de film de blaxploitation. Sorte de fresque sociologique sur les ghettos noirs américains des années 30, Pimp réussit en effet à capturer ce qu’aucun universitaire ou sociologue n’a su faire avant lui tout en dressant le portrait d’un self-made-man des plus dérangeants.

Une lecture souvent inconfortable donc, mais néanmoins nécessaire pour sortir des clichés.

« L’alchimiste » de Paulo Coello (1988)

Roman préféré de Pharrell Williams, de Kevin Gates, de Will Smith et, ô surprise, du producteur Alchemist, qui tous ont été séduits par les différents niveaux de lecture proposés.

Santiago, un jeune berger andalou, se réveille un jour persuadé qu’un trésor l’attend sous les pyramides d’Égypte. Convaincu que « c’est la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante », il se met en tête d’accomplir coûte que coûte sa « légende personnelle ».

Au fil de ses pérégrinations, il pend néanmoins conscience que le trésor qu’il convoite n’est qu’accessoire, que c’est la quête en elle-même de ce trésor qui donne tout son sens à sa vie.

Écrit dans une langue simple et accessible, c’est peu dire que L’alchimiste a peu emballé les critiques à sa sortie, beaucoup soulignant le côté « gentillet » de l’exercice.

Le public lui a fait son choix. Traduit depuis en 67 langues, ce conte philosophique figure parmi les livres plus vendus de notre époque.

« Power, les 48 Lois du Pouvoir » de Robert Greene (1998)

Name droppé à la pelle par tout rappeur un brin mogul qui se respecte (Jay Z, Drake, Kanye West, UGK, The Lox, Max B, Jadakiss, DJ Premier, Busta Rhymes …), ce monument décortique dans le détail les mécanismes qui régulent les rapports de force entre individus (ambition, rivalité, manipulation, dissimulation…).

Ou pour citer son auteur : « Le sentiment de n’avoir aucun pouvoir sur les gens et les événements est difficilement supportable : l’impuissance rend malheureux. Personne ne réclame moins de pouvoir. Tout le monde en veut davantage. »

Loin d’être le fruit du mérite pur, ce dernier s’acquiert d’une part en comprenant le jeu de représentation qu’induit la vie en société, et de l’autre en neutralisant un à un ses rivaux.

Pendant 431 pages, Greene distille ainsi conseils et recommandations (comment se faire désirer, à qui marcher sur les pieds, quand la jouer modeste, comment créer une aura autour de sa personne…) à coup de parallèles historiques, de portraits et d’anecdotes tous plus passionnants les uns que les autres.

Notez qu’en 2009, 50 Cent a publié une adaptions de ces 48 lois intitulée La 50ème loi : la peur est votre pire ennemie, mais ça, on vous en parle bientôt.

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