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Que sont devenus les rappeurs français des années 80?

Que sont devenus les rappeurs français des années 80?

Rendez-vous avec les fondateurs du mouvement dans l’hexagone.

« NTM, Solaar, IAM, c’est de l’antiquité », lançait Booba en 2008, pour piquer des rappeurs qui étaient encore au top dix ans plus tôt. Si l’on suit son raisonnement, comment qualifier Dee Nasty, Lionel D, EJM ou encore le duo Destroy Man & Jhonygo, dont les principaux faits de gloire remontent au début des années 80 ?

Si l’on considère généralement la sortie de la compilation Rapattitude, en 1990, comme l’acte fondateur du hip-hop français, on a tendance à oublier un peu trop facilement qu’en amont, des dizaines d’activistes ont permis de construire les fondations de cette culture pendant toutes les années 80. D’abord dominée par la danse -avec le DJing comme point d’appui-, puis par le graffiti, la culture hip-hop n’a finalement vu le rap s’imposer en tant que discipline principale que tardivement. De fait, les premiers rappeurs ont, pour la plupart, des statuts hybrides, et cumulent généralement les fonctions de rappeurs, DJs, graffeurs, et danseurs.

Plus de trente-cinq ans après les premières émissions de Sidney ou Dee Nasty, plus de trente ans après les premiers disques de Nec + Ultra ou Destroy Man & Jhonygo, il est temps de faire un voyage dans le passé et de s’interroger sur ce que sont devenus les toutes premières idoles du hip-hop en France.

Lionel D

S’il est indéniablement considéré comme un pionnier du hip-hop en France, de par son activisme et l’influence majeure de l’émission de radio qu’il anime en compagnie de Dee Nasty sur Radio Nova pendant toutes les années 80, Lionel D a également été un rappeur, puisqu’il s’est régulièrement mesuré à ses différents invités en freestyle, et a même fini par sortir en album, Y’a pas d’problème, en 1990.

Après avoir été l’un des grands référents du hip-hop dans les médias français, il disparaît petit à petit de la lumière au cours des années 90, et finit par devenir une légende disparue, dont tout le monde connaît le nom, mais dont personne ne sait ce qu’elle est devenue. Pire : une affreuse rumeur, reprise par bon nombre de médias, annonce son décès en 2010, sans qu’aucun démenti n’arrive avant 2016, et une interview de Lionel D pour le magazine International Hip-Hop, dans laquelle il revient sur l’épisode de son prétendu décès, mais évoque aussi une sombre période pendant laquelle il a sombré dans l’alcoolisme. Il y a annonçait, entre autres, un retour au rap, éventuellement avec Dee Nasty, bien que ce projet paraisse tout de même encore plutôt flou.

Sydney

La première véritable tête médiatique du mouvement hip-hop en France était en avance sur tous les plans : en 1981, il anime une émission de radio chaque soir sur Radio 7 – déclinaison « jeune » de Radio France – et consacre régulièrement des éditions spécial hip-hop. En 1984, TF1 lui offre l’occasion de sa vie : une émission hebdomadaire entièrement consacrée au hip-hop – une première mondiale ! Sidney la présente alors en rappant – notamment lorsqu’il explique les mouvements de danse– et invite aussi bien des danseurs et des graffeurs que des stars de la musique hip-hop, funk, ou jazz : Afrika Bambaataa, Herbie Hancock, Sugarhill Gang et même Madonna.

Diffusée pendant seulement un an, cette émission traumatise une génération entière, et pour la plupart des téléspectateurs de l’époque, Sidney représente le tout premier rappeur vu et entendu. Son statut de premier animateur hip-hop du monde lui ouvre les portes d’une gloire éphémère aux États-Unis, où il est célébré par les pionniers du hip-hop, et où il enregistre, avec son groupe Black White and Co, un featuring avec Stevie Wonder.

Malheureusement, malgré quelques tentatives de rebondir sur M6, Radio 7 puis France 2, sa carrière d’animateur ne dure pas. Dans la musique, il subsiste pendant quelques années, lançant, entre autres, David Guetta, avant de quitter les projecteurs pour travailler dans l’ombre, en tant que producteur, puis d’organisateur de tournées. Toujours DJ, il a ouvert un studio d’enregistrement, un restaurant avec sa femme, et continue de faire de la musique funk.

Dee Nasty

Troisième membre de ce triumvirat fondateur avec Lionel D et Sidney, DJ Dee Nasty est l’auteur du tout premier album de rap français, intitulé Paname City Rappin’ et sorti en autoproduction dès l’année 1984 – même s’il considère, à l’époque, faire de la « funk parlée » et non pas encore du rap. Pionnier absolu, l’essentiel de sa carrière dans le rap se fait en tant que DJ, animateur, et organisateur d’événements (soirées, freestyles, concerts). Membre de la Zulu Nation, il passe également de nombreuses années à essayer de faire le lien entre New-York et Paris, et reste pendant longtemps le référent absolu du hip-hop français aux Etats-Unis. De même, son émission sur Nova reste la plateforme incontournable pour tout rappeur francilien, et la plupart des stars du début des années 90 y feront leurs débuts : le Ministère Amer, NTM, Timide & Sans Complexes, MC Solaar

Encore présent en tant que figure marquante du rap hexagonal au début des années 90, pendant lesquelles il sort deux nouveaux albums, il perd petit à petit de son influence par la suite, sans jamais trahir son statut de pionnier absolu. Jamais rassasié, il continue à produire de la musique depuis trente ans, toujours à mi-chemin entre funk et rap. Il a sorti son septième album en 2015, Classique, sur lequel il collabore avec des profils aussi variés que Rachid Taha, Afrika Bambaataa et Rocé.

EJM

A une époque où le rap était encore un mouvement très parisien, et très attaché à diffuser des valeurs positives, le profil d’EJM pourrait sembler un brin atypique : pur banlieusard, ce Vitriot a été l’un des premiers Français à assumer des ambiances gangsta encore très décriées en France. Pendant les années 80, il apparaît ponctuellement en freestyle chez Dee Nasty et Lionel D, avant de se lancer définitivement en solo à partir de 1989. Malgré un album et deux EPs pendant les années 90, il n’explose pourtant jamais définitivement.

Devenu animateur socio-culturel, il continue d’apparaître de temps à autre sur des featurings et des compilations, aux côtés de TSN, de Dee Nasty, d’Alibi Montana ou encore du Téléphone Arabe. Engagé auprès de la jeunesse, il fait notamment profiter les jeunes de Vitry de son expérience dans le monde de la musique.

Sulee B Wax et les Little MC

A la fin des années 80, de nombreux groupes se forment à Paris et en Banlieue : hormis NTM, TSN ou le Ministère Amer, on peut citer les Little MC (qui deviendront Da Lausz), un trio composé de DJ Sek, Ronald L, et Sulee B Wax, à l’époque danseur et rappeur. L’essentiel de leur carrière en groupe se situe au début des années 90, avec un seul (mais excellent) album, Les Vrais.

Concentrés sur la production, DJ Sek et surtout Sulee B Wax vont tous deux connaître une certaine réussite en tant que producteurs. Le premier travaille notamment avec Oxmo Puccino et les X-Men, tandis que le second s’impose comme l’un des plus importants producteurs du rap français. Il est ainsi derrière un nombre incalculable de classiques de NTM, Wallen, Busta Flex, ou Assassin, ou des hits de Sheryfa Luna, Jena Lee et même Ophélie Winter.

Destroy Man et Jhonygo

Si l’on considère légitimement Lionel D, Sidney et Dee Nasty comme les papas du hip-hop hexagonal, les premiers véritables rappeurs français restent vraisemblablement Jhonygo et Destroy Man – puisqu’ils étaient véritablement rappeurs, contrairement aux trois noms précités, qui se sont essayés au rap, mais restent avant tout des DJs et animateurs. Ils sont, au tout début des années 80, les premiers à rapper en français, et donc à imposer sans le vouloir l’usage de la langue française aux freestyleurs qui se contentaient souvent de bafouiller en anglais.

Sans devenir de véritables stars, ils amènent tout de même le rap sur le plateau de Thierry Ardisson en 1987, apparaissent dans un film d’Alain Tanner, s’embrouillent avec NTM, enchaînent plusieurs projets courts entre la fin des années 80 et le début des années 90, et concluent leur aventure par un album solo chacun, en 1992 et 1993. Jhonygo se tourne plutôt vers des ambiances reggae légères, tandis que Destroy Man reste axé sur le rap pur et dur. Disparus du circuit médiatique depuis cette époque, aucune information n’a filtré sur leur éventuelle reconversion, dans le monde de la musique ou ailleurs.

Sheek

S’il était né cinq ou dix ans plus tôt, Sheek serait peut-être aujourd’hui considéré comme l’un des pères-fondateurs du rap français, aux côtés de Dee Nasty et Lionel D. Très précoce, il monte en effet sur scène pour la première fois à l’âge de 16 ans, en 1986, et s’investit énormément dans l’expansion de la culture hip-hop. Graffeur, danseur, rappeur, beatmaker, il explore toutes les facettes du mouvement, et assoit sa réputation en tant qu’human beat-box, une discipline particulièrement importante à une époque où l’accès aux beats et aux hauts-parleurs était bien plus complexe qu’aujourd’hui.

En 1989, il publie, avec son groupe Nec + Ultra, un maxi intitulé Je rap’, avant de décider de prendre ses distances avec le mouvement, entre autres à cause de divers conflits ouverts avec la maison de disques Polydor et avec le Suprême NTM. Le groupe traverse les années 90 et réapparaît en 2000 avec un album proposé par Sheek en téléchargement gratuit sur son site internet, et suivi d’autres projets régulièrement mis en ligne au cours des années suivantes. Par la suite, il collabore régulièrement avec le groupe Rapaces, et fait de moins en moins d’apparitions médiatiques.

Puppa Rico

Puppa Rico est un profil atypique, puisque derrière sa dégaine d’immigré sicilien, il est l’un des premiers artistes à hybrider le rap et le ragga. D’abord breaker, il finit, comme beaucoup d’autres, par faire ses premières apparitions au micro sur Radio Nova dans l’émission de Dee Nasty, le temps de quelques freestyles à partir de 1987. A l’époque, le rap se mélange beaucoup à la musique funk (Dee Nasty) mais également au reggae et au ragga, et de véritables chanteurs et toasters comme Puppa Leslie et Daddy Yod peuvent, au même titre que Rico, être considérés comme des pionniers du hip-hop en France.

Par la suite, il abandonne petit à petit le rap pour se tourner vers le reggae/ragga, sortant deux albums en 1995 puis en 2000. Il disparaît des circuits médiatiques au cours des années 2000, laissant les rumeurs improbables se répandre : il serait reparti en Sicile pour devenir religieux, ou il aurait revendu sa collection de disques pour ouvrir un garage automobile… Finalement, il réapparaît sur Youtube il y a un peu moins de trois ans, avec un nombre assez impressionnant de titres mis en ligne, pour la plupart politisés voire même carrément complotistes.

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