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Quand les rappeurs parlent de la foi ! [DOSSIER]

Quand les rappeurs parlent de la foi ! [DOSSIER]

Un sujet abordé sous différents angles…

Parfois complètement incompatibles, parfois profondément intriqués, rap et religion entretiennent une relation d’amour-rejet qui ne semble pas destinée à s’arrêter de sitôt. A l’image de la société française, le rap game abrite en effet tous types de profils spirituels, des croyants prosélytes aux athées convaincus, en passant par les sceptiques, les agnostiques et même les satanistes. Si la question de savoir s’il est pertinent de mélanger musique et foi reste ouverte et ne trouvera jamais de consensus ralliant toutes les voix, la pluralité des formes de spiritualités qui s’expriment à travers le rap est belle à voir.

Les croyants qui en parlent dans leur musique

Qui ? Ali, Médine, Kery James, Mysa, Mekhlouf

Comment évoquent-ils leur foi ? Chacun a sa méthode : les albums d’Ali sont empreints de spiritualité de la première à la dernière piste, au point de rejaillir sur l’auditeur ; Médine, lui, est plus concerné par les questions socio-politiques qui touchent la communauté musulmane ; s’il fallait situer Kery, il serait entre les deux, avec des albums chargés de piété (Si c’était à refaire) et d’autres plus axés sur des questions sociétales.

Pourquoi c’est bien : Parce que le rap est un écrin qui permet d’aborder n’importe quel type de sujet, y compris la religion, et que certains le font parfaitement.

Les croyants qui évoquent leur foi entre deux punchlines sur leur b**e

Qui ? Alkpote, Kaaris

Comment évoquent-ils leur foi ? L’exemple le plus éloquent est celui d’Alkpote, qui arrive tout de même à lancer sans trembler « moi j’veux prier cinq fois par jour, c’est décidé » sur un titre intitulé Désanussage, ce qui résume parfaitement tous les paradoxes de certains rappeurs, dont l’idéal pieux semble cloué au sol par leurs obsessions terrestres. Une situation qu’appréhende donc également Kaaris, qui exprime lui aussi à sa manière l’ambivalence entre son statut de star du rap et ses aspirations spirituelles : « J’suis sous les projecteurs en train de perdre la foi, t’es sous les couvertures en train d’te mettre des doigts« .

Pourquoi c’est bien : Parce que ça signifie que derrière leur attirance pour les choses futiles et vulgaires, ils restent accrochés à leur spiritualité et à leurs espoirs de salut.

Les croyants qui aiment autant leur livre saint que leur cagoule

Qui ? Alpha 5.20 et le Ghetto Fab, GB Paris

Comment évoquent-ils leur foi ? Là aussi, un exemple éloquent suffit à comprendre la façon dont spiritualité et gangstérisme cohabitent dans le rap, à travers la voix d’Alpha 5.20 : « Te convertis pas à l’Islam, frère, pour être comme nous, juste après la prière, on remet nos cagoules« .

Pourquoi c’est bien : Parce que ça a une fabuleuse tendance à exciter la fachosphère. Leur lâcher le mot « Alpha 5.20 » correspond en quelque sorte à allumer un pointeur laser à côté d’un chat : ça ne sert à rien, c’est stupide, ça ne fait pas progresser d’un poil l’humanité, mais ça peut donner lieu à des situations très drôles.

Le cas Despo

Pourquoi c’est un cas à part : Parce que son parcours spirituel est particulièrement atypique, à plus forte raison au sein du milieu rap français.

Despo, première vie : A la fin des années 2000, Despo est un rappeur qui bouleverse les codes en évoquant un sujet encore tabou, la religion – avant lui, on en parlait en bien, ou on n’en parlait pas du tout. Déterminé à changer les choses, il remet en question les croyances de ses pairs à travers divers titres, notamment le classicisme Innenregistrable, dans lequel il demande un GPS aux croyants prétendant pouvoir le guider vers Dieu, ou encore Destination Finale, un titre qui s’applique à pointer les incohérences des religieux.

Despo, deuxième vie : Après quelques années difficiles sur le plan personnel, pendant lesquelles sa carrière est mise entre parenthèses, Despo Rutti revient fort en 2016, avec nombre de prises de position étonnantes, et une nouvelle spiritualité. Kippa sur le haut du crâne, il annonce avoir trouvé la vérité dans la torah, tout en rejetant l’existence d’une terre promise sur Terre, et allant jusqu’à appeler son prochain projet Le Roi des juifs est noir et il mange chez Al-Haeche, en référence à ce restaurant casher de la rue Manin.

Pourquoi c’est bien : Parce qu’il continue à faire des chansons incroyables.

Le cas Rohff

Pourquoi c’est un cas à part : Parce qu’il est très attaché à sa foi et à ses principes religieux, mais que sa nature de vitriot a tendance à ressortir sans prévenir, ce qui peut l’amener à insulter des grands-mères et à réciter la chahada en une seule et même phrase.

Pourquoi c’est bien : Parce qu’il est entier, et que c’est aussi pour ça qu’on l’aime.

Les rappeurs critiques envers la religion

Qui ? Despo, MC Jean Gab1, Lino

Comment : C’est très varié, et en général il s’agit plus d’une critique des religieux ou de l’attitude des croyants que d’une véritable diatribe envers ces mêmes croyances. Selon le rappeur, la critique est plus ou moins frontale : MC Jean Gab1 n’y va clairement pas avec le dos de la cuillère sur le titre 33 Comme l’autre, dans lequel il aligne tour à tour chacune des trois grandes religions monothéistes, tout comme Nouvel R, qui fait carrément dans l’athéisme convaincu sur le titre Masta – tout en faisant l’éloge de la foi bouddhiste dans le deuxième couplet, mais pourquoi pas -, tandis que Lino est plus subtil sur Paradis Airlines, un titre dans lequel il interroge les contradictions de la foi (« si le Tout-Puissant est amour, pourquoi sa parole divise ?« )

Pourquoi c’est bien : Parce que la critique est nécessaire quel que soit le sujet, et parce que le rap sert exactement à ça.

Les rappeurs qui se posent des questions sans être vraiment convaincus

Qui ? Orelsan, Vald, MC Solaar

Quelles questions ? Globalement, cette catégorie de rappeurs est construite sur les mêmes types de questionnements : elle a grandi dans un environnement peu ou pas religieux, n’a jamais été convaincue par telle ou telle religion, mais ne semble pas non plus complètement convaincue de l’inexistence d’un Créateur, comme l’explique sereinement Orelsan sur Elle viendra quand même : « Impuissant, si Dieu n’existe pas, j’brasse du vent / Si Dieu existe, j’trouve pas ça vraiment plus rassurant ». Dans le cas de Vald, la question semble être liée à l’éducation : « personne m’a donné la foi, je suis lassé de croire en rien » (Horrible). Interrogé sur la question lors d’une interview pour CaptchaMag, il explique l’entre-deux, ni convaincu, ni fermé : « la foi, si un jour je tombe dedans, ce sera super. Sinon, tant pis« .

Même chose pour MC Solaar, qui évoque lui aussi l’absence d’éducation religieuse dans une interview pour le média chrétien La Croix : « Je n’ai jamais eu d’éducation religieuse. Mes parents, qui viennent du Sénégal, sont l’un culturellement chrétien, l’autre culturellement musulman. Mais je n’ai jamais été ni au caté ni à l’école coranique. Ce qui me manque, c’est une vraie culture religieuse ». Pour cette catégorie de rappeurs, trois voies sont possibles : continuer à se poser la question jusqu’à la fin de leur vie ; choisir la voie de l’athéisme ferme et définitif ; ou finir par se laisser convaincre par l’une ou l’autre des nombreuses formes de spiritualité présentes sur le marché de la foi.

Pourquoi c’est bien : Parce qu’ils préfèrent mener une réflexion large plutôt que de s’arrêter à des croyances ou incroyances dogmatiques, et laissent une porte ouverte à toute éventualité, à l’image de MC Solaar, qui aimerait étudier toutes les religions du monde.

Ceux qui ont arrêté le rap pour se consacrer, entre autres, à la religion

Qui ? Fabe, Lefa, Diam’s, Salif, Mysa, Alpha 5.20, Kery James

Pourquoi : Il y a ceux qui ont estimé que leur parcours dans la musique entrait en contradiction avec leur cheminement spirituel, ceux qui ont arrêté le rap pour d’autres raisons avant de se consacrer plus sérieusement à leur religion, ceux qui sont partis définitivement pour ne plus jamais donner de nouvelles, ceux qui sont partis mais semblent presque le regretter, et ceux qui étaient de retour deux ans après leur retraite. Certains d’entre eux nous ont laissé des témoignages particulièrement intéressants, à l’image de Fabe, qui n’est sorti de son silence de vingt ans que le temps d’une longue interview pour un site consacré à l’islam. Salif n’a pas laissé le moindre mot d’adieu à ses fans, qui continuent donc de spéculer sur un retour qui n’arrivera jamais.

Alpha 5.20 a bel et bien quitté le monde du rap, mais continue de s’adresser aux auditeurs une fois par an lors d’une traditionnelle interview avec Sinox, le temps de donner son avis sur ce qu’est devenu le milieu. Diam’s a elle aussi bien arrêté le rap, mais elle n’a pas cessé ses apparitions, rares mais très médiatiques. Affichant clairement sa religion, elle a écrit deux livres au sujet de sa conversion à l’islam et de sa spiritualité. Mysa, de son côté, a choisi d’arrêter le rap sur un dernier morceau dénonçant les errements de cette musique. D’autres, comme Lefa et Kery James, ont arrêté avant de revenir après quelques années d’absence.

Pourquoi c’est bien : Parce que le rap peut être un frein spirituel pour certains, et parce que vivre dans des contradictions permanentes n’est pas forcément évident.

Les rappeurs qui croient en Dieu sans afficher de religion précise

Qui ? Kool Shen, SCH

Quelles croyances ? En fonction des parcours et des réflexions de chacun d’entre eux, les croyances sont variées, mais on peut prendre l’exemple de Kool Shen, qui affirmait dans Libération être devenu très croyant suite au décès tragique de Lady V, mais ne croire ni à l’enfer ni au paradis : « je crois que c’est comme à l’Ecole des fans de Jacques Martin. A la fin, tout le monde a la même note, même quand on a mal chanté ». Même type de réflexion pour SCH, qui ne se considère pas vraiment comme un croyant, mais qui admet tout de même que la sortie de son dernier album, « c’est sûrement un peu parce que le Très-Haut l’a bien voulu« . Techniquement, ça ressemble beaucoup à une croyance, mais ne le brusquons pas.

Pourquoi c’est bien : Parce que ça prouve qu’on peut avoir une spiritualité sans avoir de religion.

Les rappeurs un peu mystiques

Qui ? Rockin Squat, Shurik’n

C’est à dire ? Il s’agit de cas un peu à part, comme Rockin Squat, capable d’évoquer aussi bien la pensée toltèque que le polythéisme égyptien tout en étudiant la pensée des prophètes des trois grandes religions monothéistes, et en rappelant depuis vingt ans qu’il n’est « ni protestant, ni catholique, ni athée, ni musulman, ni juif, ni bouddhiste« . Un mec ouvert, en somme. Dans un autre registre, Shurik’n, racontait il y a quelques années se pencher sur la doctrine taoïste, croyant à des entités supérieures, mais pas en Dieu, et s’interrogeant sur la place de l’homme dans l’univers.

Pourquoi c’est bien : Parce qu’il y a du bon à prendre dans toutes les spiritualités, et que le mysticisme apporte aux textes de ces rappeurs une certaine forme d’originalité.

Les rappeurs ouvertement athées

Qui ? Sidisid, Joeystarr

Pourquoi ? Parce qu’ils font ce qu’ils veulent, déjà. Et ensuite parce que ça peut donner droit à quelques moments Nutella, comme cet échange simple et efficace entre un journaliste et Joeystarr :

« – Vous êtes croyant ?

– Non, ça va. »

Pourquoi c’est bien : Parce que leur musique est dénuée de toute considération mystico-religieuse, ce qui est peut-être un détail pour certains, mais qui fait tellement plaisir à d’autres.

Ceux qui préfèrent ne pas trop en parler

Qui ? Booba, Seth Gueko

Pourquoi ? Pour tout un tas de raisons qui ne regarde qu’eux. Dans le cas de ces deux rappeurs, on remarque tout de même quelques similitudes dans leur rapport à la religion : l’un et l’autre évoquaient de temps à autre le sujet à leurs débuts, tout en insistant sur le fait qu’ils se considéraient comme des pêcheurs, avant de délaisser peu à peu la question, et de revenir dessus avec pas mal d’années de recul au cours d’interviews. Seth Gueko affirme par exemple vouloir rester pudique sur le sujet car il ne se considère pas comme « la bonne représentation d’un bon musulman ou d’un bon chrétien« , même s’il laisse quelques indices sur ses convictions profondes en laissant entendre que la vérité se trouve selon lui dans le dîn et que son dernier mot sera Allahu Akbar, chose qu’il rappait déjà il y a dix ans sur Merci Chirac.

Quant à Booba, sa proximité avec Ali il y a vingt ans le poussait à évoquer de temps à autre la question de la religion dans ses textes, laissant à la postérité quelques punchlines sur le sujet : « j’ai l’fou-rire quand j’mens, pourtant j’dis bismillah quand j’mange«  ou « j’avoue, sur les prières j’étais radin, faut qu’j’me rattrape ou que j’défonce les portes du Paradis« . Il expliquera quelques années plus tard que la présence du sujet dans ses textes avait un rapport direct avec sa pratique : « à l’époque j’en parlais plus, parce que j’étais plus dedans. Je faisais des efforts, j’essayais de faire la prière du vendredi, le ramadan, etc. Ca fait pas mal de temps que j’ai pas fait le ramadan, donc j’en parle pas, je vais pas me la jouer musulman, je reste à ma place« .

Pourquoi c’est bien : Parce que la foi est avant tout une affaire privée, et qu’il vaut parfois mieux rester pudique à ce sujet plutôt que de vouloir à tout prix passer pour un religieux sans pour autant afficher le comportement adéquat.

Ceux qui versent dans le satanisme

Qui ? Rochdi, VII

Pourquoi ? A priori, ces gens ne sont pas réellement satanistes, mais aiment insérer pas mal de références méphistophéliques dans leurs textes pour accentuer les penchants hardcores et ténébreux de leur musique. VII, qui a longtemps versé dans l’horrorcore pur, s’est régulièrement servi de Satan comme d’un personnage accompagnant l’homme lorsqu’il accomplit ses pires pulsions (et ça y va gaiement, de la nécrophilie au suicide collectif en passant par le dépeçage de corps encore vivants), tandis que Rochdi se plaît à sexualiser la chose, comme lorsqu’il évoque « sa verge dure quand la fille du ble-dia la mord » ou encore « le sperme sucré de Lucifer« . Moins ludique, énormément de rappeurs ont été accusés très sérieusement de satanisme, on se souvient par exemple de Mysa interpellant Kaaris au sujet de son fameux « 6-6-6, Iblis » dans Zoo, ou de Killuminaty SMG dénichant des symboles cachés chez à peu près tous les rappeurs du monde.

Pourquoi c’est bien : Parce qu’il s’agit avant tout de second degré, que ce genre de personnage complètement diabolique donne un bon contrepoids aux rappeurs-prêcheurs, et que le monde du rap serait réellement très triste sans Killuminaty.

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