Actualités Musique

Oui, les femmes ont leur place dans le rap game [DOSSIER]

Oui, les femmes ont leur place dans le rap game [DOSSIER]

Un focus entre les USA et l’hexagone pour des rappeuses plus vivantes que jamais.

Être une fille et une consommatrice de rap n’a jamais été une antithèse. Au contraire, il n’y a jamais eu autant d’innovation et de tolérance qu’aujourd’hui dans ce genre. Mais il arrive un moment où un problème d’identification se pose : est-ce que rap et féminité sont compatibles ? Certaines filles ne se reconnaissent pas forcément dans les textes des rappeurs. C’est normal pourrait-on dire, car des rappeuses, il y en a très peu… Grave erreur !

1980 : les pionnières du genre

Salt N’ Pepa, les rappeuses du féminisme assumé

En fouillant bien, on se rend compte que les rappeuses, ce n’est pas ce qui manque, que ce soit dans le rap anglophone ou francophone. Nous sommes dans les années 80 et Vicious Rap vient de sortir, produit par les soeurs Paulette et Sweet Tee. Au même moment, Roxanne Shanté, une des premières emcees reconnues, sort Roxanne’s Revenge, réponse au titre Roxanne, Roxanne de UTFO, qui va la populariser dans le monde du hip hop et donner vie à la Roxanne Wars. Ces pionnières du genre vont mettre le pied à l’étrier à toute une génération de rappeuses des années 90.

It’s a She Thing and it is all in me, /

I can be anything that I want to be /

Don’t consider me a minority /

Open your eyes and maybe you’ll see.

1995, Salt’N’Pepa sort Aint Nuthin’ But A She Thing, une référence au célèbre Nothin’ But A G Thing de Dr.Dre et Snoop Dogg. Leurs slogans féministes pourraient être l’équivalent de ceux des Pussy Riot en Russie, ils montrent que rap et féminisme ne sont pas incompatibles.

Mais combien d’entre nous peuvent citer plus de cinq rappeuses ? En effectuant des recherches, on peut tomber sur des classements où Nicki Minaj, bien qu’elle soit la plus connue du grand public, arrive toujours à la fin. On découvre alors le côté tomboy de Queen Latifah, les mélodies funk de Da Brat, ou bien le trash de Lil Kim. Foxy Brown n’a rien à envier aux rappeurs de Brooklyn et Lauryn Hill, du groupe The Fugees, nous montre bien qu’elle est l’une des meilleures rap artist sur cette planète, tous sexes confondus. Il est donc ridicule de parler de rap féminin car chacune d’elles a un style bien différent et elle appartiennent chacunes à des genres très éloignés.

« En France, à part Diam’s, il n’y a plus personne ». Une phrase entendue et ré-entendue lorsqu’on aborde le thème des rappeuses francophones. Certes Diam’s était la plus médiatisée et appartient à ce groupe d’artistes qui rappelle, pour toute une génération, une part d’enfance ou d’adolescence, mais elle est loin d’être la seule. B Love et Saliha sont des pionnières du mouvement en France et étaient présentes bien avant que Diam’s nous raconte la rue et la violence conjugale dans Brut de Femme.

Femme, oui, mais avant tout MC

La rappeuse Casey

Le rap français engagé a lui aussi eu le droit à ses rappeuses indignées avec Casey ou Keny Arkana, qui ont réveillé les consciences. Casey est un cas à part car elle refuse de se définir comme une rappeuse féministe. Si tu l’entends dans un son et que tu ne sais pas que c’est une femme, tu ne le devineras probablement pas. Elle ne veut pas être reconnue comme une femme qui rappe mais comme une rappeuse, qui n’a pas plus ou moins de mérite de rapper à cause de son sexe. Ici, pas d’acceptation ou de refus de la féminité, il est question de texte et du message véhiculé à travers celui-ci. Et tant pis s’il n’est pas identifié comme étant girly.

D’autres rappeuses sont dans le même cas : leur féminité n’est pas quelque chose qu’elles souhaitent mettre en avant. On n’a jamais vu Little Simz ou la productrice Wondagurl jouer de leur sexe : elles placent leurs musiques au premier plan et préfèrent se concentrer sur le fait d’être un exemple positif. Le tout, sans faire attention aux problèmes de parité dans l’industrie musicale. En ce qui concerne Wondagurl, cela ne l’a pas empêché de gagner le respect, de collaborer avec les plus grands et d’être aujourd’hui une référence du rap américain.

Nouvelle génération de rappeuses : de Shay à Cardi B

La rappeuse belge Shay

Cette notion de respect dans le rap est très puissante, mais donne l’impression qu’une fille qui rappe et qui s’assume totalement aura toujours moins de respect que ses homologues masculins. Prenons l’exemple de Shay, toujours très critiquée à cause de ses postures sexy et de son surnom (autoproclamé) de garce. Mais, dans sa démarche de loubard au féminin, n’y a-t-il pas une part de féminisme ? La Jolie Garce qu’elle décrit dans ses chansons comme « un bandit qui marche en talons aiguilles » n’est-elle pas l’équivalent féminin du voyou ? Les thèmes abordés sont les mêmes : sexe, drogue, argent, business, mais les gens préfèrent se concentrer sur son sexe plutôt que de prendre en considération ses textes. D’autres filles émergent en France, chacune avec son propre style : Chilla, La Go, Sianna… Mais est ce que le public français est prêt à accepter des rappeuses au premier plan ?

Le réel problème vient de la médiatisation qu’on fait d’elles. Très peu ont réussi à vraiment entrer dans la culture collective et à se faire un nom. L’une des seules rappeuses à être vraiment médiatisée et à durer dans le temps est Nicki Minaj, pour son côté trash et ses chansons pop. Mais peu ont connaissance de certains freestyles où elle dévoile un peu moins son personnage pour rapper comme elle l’entend. On se rend compte que deux profils de rappeuses sont médiatisés : la femme très trash, qui parle ouvertement de sexe et n’hésite pas à exposer son corps ou « le garçon manqué », qui ne parle jamais de sa féminité et rappe « comme un homme ».

Dieu merci, nous vivons à une époque où chacun peut aujourd’hui diffuser sa musique sur Internet et réussir sans l’aide de grands labels. De jolis blases ont réussis à émerger petit à petit. Chynna, Lady Leshurr ou No Name ont pu se faire un nom grâce aux réseaux sociaux et à des plateformes telles que Youtube ou Soundcloud. Princess Nokia en est l’exemple : son projet 1992, un premier album alliant influences new yorkaises et féminisme, a fait parler de lui en 2017.

Après avoir longtemps refusé les offres de toutes les majors, elle est aujourd’hui signée, diffuse gratuitement sa musique sur Internet et cela ne l’a pas empêché de faire plusieurs concerts affichés complets à Paris. Interviewée sur sa vision du paysage rap féminin elle a d’ailleurs répondu avec aplomb « personne ne demande jamais à un artiste masculin ce qu’il pense du hip hop féminin« . Mais lorsqu’on voit Cardi B, première femme a être numéro 1 au Billboard aux Etats unis depuis Lauryn Hill en 1998, on se dit que la place pour le game féminin n’est pas seulement sur Internet. Son tube Bodak Yellow, egotrip violent qui est un clin d’oeil à Kodak Black, est clairement un des plus gros bangers de cette année 2017.

Non, les filles ne sont pas rares dans le rap. Non, nous ne devons pas « continuer à persister dans le rap afin de nous faire notre place ». C’est à vous de faire l’effort de les chercher, car les filles dans le rap sont présentes aujourd’hui plus que jamais et sont bien à la hauteur de nos attentes. Ce sont celles qui parlent de sujets avec une sensibilité que l’on ne trouve pas ou peu chez les hommes. Mais j’ai confiance en l’avenir : les femmes ne resteront pas longtemps marginales dans le mouvement.

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT