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Myth Syzer envoie ses bisous [PORTRAIT]

Myth Syzer envoie ses bisous [PORTRAIT]

Depuis quelques années, Myth Syzer prend doucement une place au chaud dans le rap français…

Après des projets électro, cet artiste aux multiples talents s’est fait un solide nom dans le rap français, grâce à différents coups d’éclat, que ce soit pour ses associés de Bon Gamin, Ichon et Loveni, ou encore Prince Waly et Damso. Aujourd’hui, il sort le projet Bisous, un album au parti-pris audacieux, qui fait un superbe pont entre le rap et le r’n’b d’un côté, et la variété française de l’autre.

Déjà, à l’âge de 6 ans à la Roche-sur-Yon, le jeune Thomas se passionne pour la musique. Il se rappelle de ses premières émotions musicales, à l’écoute de Michael Jackson : « j’écoutais des sons, et je me disais « mais c’est trop bien ». Et tout petit déjà, je me disais : « moi j’aurais plus fait sonner ça comme ça ». J’aurais mis les batteries plus fort, je veux que ça tape, ça sonne comme ça. Moi je ne voulais pas forcément jouer d’un instrument, je voulais faire des beats, direct. » Intuitif, bercé par les goûts de ses parents et de son grand frère passionnés de musique, Myth Syzer se forge ses propres goûts. C’est dans sa ville qu’il rencontre Ikaz Boi avec qui il va réaliser notamment le projet Cerebral en 2016. Un EP court qui mêle instrus et titres percutants, tel le High sur lequel il avait invité Hamza.

Je ne voulais pas forcément jouer d’un instrument

En juillet dernier, alors que le thermomètre est à un niveau élevé, il balance Le Code, un morceau d’équipe, avec Bonnie Banane, Ichon, et Muddy Monk, un inventif Suisse originaire de Fribourg. La rencontre avec ce dernier semble avoir été décisive. Avec sa voix de tête et ses productions planantes, l’helvète a un sens mélodique au charme légèrement désuet, qui faisait déjà des merveilles sur le beat de Si l’on ride – sorti sous deux versions, dont l’une avec Ichon qui a fait l’objet d’un joli clip. Ainsi, l’émulation a poussé Myth Syzer à aller explorer d’autres territoires musicaux : « quand j’ai écouté Muddy Monk j’ai kiffé de ouf. Et ça m’a un peu donné envie de réunir une ambiance rap et une ambiance un peu variét’. Le code j’ai fait l’instru, et après je me suis dit « je vais essayer de poser en yaourt, et j’ai posé des mots dessus. Et ça a été le déclic pour chanter ». »

Pour la première fois, il s’essaie au chant, et au milieu de l’été, la formule semble prendre, si l’on en croit un certain engouement qui a porté son clip lumineux à près d’un million de vues. Il est vrai qu’on entre là dans une zone musicale qui s’éloigne assez fortement des ambiances d’un son Périscope (Damso), ou de nombreux autres sons de sa part, bien plus sombres. Myth se résout alors à se lancer dans un projet dans le même mood, tout naturellement : « Je me suis dit que j’allais continuer dans cette lignée, et c’est devenu un album. Les invités, je les ai choisis parce que je les connais tous, je les kiffe humainement et artistiquement. Quand je faisais une prod’, je savais déjà qui je voulais dessus ».

Conscient de l’intérêt de mêler sa voix de chanteur débutant à des empreintes vocales plus affirmées, Myth Syzer a convié sur Bisous un équipage presque parfaitement mixte, avec cinq femmes pour sept hommes. De quoi tisser un fil narratif consistant, portant uniquement sur le thème de l’amour, sous différentes facettes. Sur l’ensemble du projet, la mise en musique sert la voix de Myth Syzer, qui officie avec des invités différents sur chaque track. Bien sûr, on trouve ses proches que sont Loveni et Ichon de son crew Bon Gamin, ou encore l’inventif Muddy Monk. Après Le Code, Bonnie Banane récidive sur le track Pot de Colle, avec toujours autant de douceur suave. On retrouve aussi d’autres voix féminines efficaces comme celles de Lolo Zouaï, ou encore de la chanteuse de La Femme, qui a pris ici le nom d’Aja.

Classez le dans la variét’ rap

Un des invités de la piste 12 est un artiste ayant lui aussi, il y a déjà 20 ans, su passer avec classe le pont entre le rap et la musique pop, réclamant ironiquement d’être « classé dans la variét’ » : Doc Gynéco, reprenant au passage quelques anciennes rimes que le beatmaker avait gardé en tête. Dans une précédente interview, Thomas citait Première Consultation comme un modèle d’album ayant su proposer un contenu universel, allant au-delà du rap pour embrasser sans complexe des mélodies accrocheuses typiques de la variété des années 80, tel ce surprenant Lait de coco de Maya, sample déniché par Loveni, pour servir de base à Coco Love sur lequel rappe Ichon.

Myth Syzer semble lui aussi bien décidé à embrasser tout le spectre de la pop et du r’n’b actuels. Au final, les 13 titres du projet s’écoutent d’une seule traite, dessinant un ensemble harmonieux aux effets clairement hypnotiques. Synthétique et chaud, le son de Myth Syzer semble avoir réussi son pari : celui de mêler récits amoureux universels et exigence musicale. Avec pour armes principales des synthés langoureux, des reverb’ millimétrées et autres caisses claires choisies avec soin.

S’il a toujours envie de placer des productions sur différents projets de rap, il souhaite canaliser son énergie, et travailler avec les artistes en studio pour amener le plus loin possible son identité artistique : « je veux pouvoir amener une certaine sensibilité, qu’on comprenne qu’avec les gens avec qui je travaille, il y a vraiment une alchimie, qu’il se passe quelque chose pour de vrai, avec une vraie émotion ».

La musique, c’est comme une madeleine de Proust pour Myth Syzer, qui évoque son côté nostalgique : « quand je pense à Première consultation, j’ai des souvenirs qui sont là dans ma tête, au millimètre près je peux te les décrire, et j’avais six ans. Ça me rappelle des vacances avec mes parents, mes cousins, mon grand frère, l’insouciance de l’enfance ». Son grand frère, cet « enfoiré » qui cachait ses cassettes, a peut-être un peu stimulé la quête sonore du beatmaker : « peut-être à faire en sorte que les choses soient rares et dures à avoir, ça a fait partie de l’envie de faire de la musique, peut-être. »

La suite après Bisous, ce sera encore certainement plus de musicalité : « j’essaie de faire en sorte que ça sonne le moins possible électronique, le moins emulé ». Aussi, il aimerait collaborer avec des musiciens, notamment dans la perspective des lives.

Sous l’influence de J Dilla

Une autre figure de référence, c’est le grand J Dilla, ce beatmaker de génie originaire de Detroit. Pour Myth Syzer, ce fut une rencontre musicale en deux temps, comme cela arrive parfois quand on est face à une montagne de talent. Cela peut coûter du temps, mais aussi une forme d’investissement, du genre de celui que décrit Baudelaire dans Le chien et le flacon. Myth nous raconte comment il a fait une place à Jay Dee parmi son panthéon personnel de faiseurs de sons :

« Je l’ai découvert beaucoup plus tard que Dre. Chronologiquement y a eu Dre, Flying Lotus, puis J Dilla. Dilla mon pote il m’a fait écouter, et j’ai fait : « c’est de la merde mec. Je comprends rien, y a pas de structures, c’est bizarre ». Après je vois qu’on en parle comme une référence, et là je réécoute le morceau qu’il m’avait fait écouter, et je fais « putain, c’est le meilleur morceau que j’ai jamais écouté ». C’est bizarre le cerveau quand même. Je ne comprenais rien la première fois ». J Dilla, une référence à la carrière fulgurante, ce rejeton de la motor city étant décédé en 2006 à l’âge de trente-deux ans, des suites d’une maladie rare.

« J’ai redécouvert et là, j’ai fumé toute sa discographie, c’est du génie. Il faisait des trucs plus boom bap aussi, mais sur ses trucs solo, instrumentaux, expérimentaux, il m’a guidé vers ça. Flying Lotus et lui, c’est eux qui m’ont fait me dire : « mais j’ai pas besoin de rappeurs ». Pour moi c’était une autre catégorie, expérimentale, j’appelle même plus ça du rap, c’était classé expérimental et électronique ». Pour le beatmaker vendéen, plus rien ne sera comme avant, à tel point qu’il va y trouver l’inspiration de son nom, dérivé du morceau Mythsysizer. De quoi être ému à la vue d’une fameuse vidéo du dernier concert de sa vie, à Paris au Nouveau Casino : « même là en en parlant je suis ému. Je te jure c’est tellement touchant, je sentais qu’il était là pour de vrai. »

A la recherche d’émotions perdues

« Les étapes dans la vie c’est comme ça. Quand tu découvres un nouveau film qui existe depuis longtemps, la découverte c’est ce qu’il y a de mieux dans la vie. » Il égrène quelques noms de projets qui ont déclenché chez lui une émotion comparable à celle ressentie au contact du travail de Jay Dee : Get rich or die, Tryin’ de 50 Cent, ou encore The Documentary de The Game.

Il me confie néanmoins que, depuis quelques années, il n’a pas ressenti cette émotion de la découverte d’un son innovant. Mais n’est-ce pas là le lot de tout artiste déterminé, repoussant toujours un peu plus loin le seuil de ses exigences ? « Y’a deux côtés : je pense que mon oreille s’est un peu plus développée, et y’a aussi le fait qu’on est moins novateur qu’à l’époque. Tout ce qu’on écoute aujourd’hui, ça sonne pareil. Ce qu’on peut retrouver dans des albums de rap aujourd’hui, ça va être des détails, On innove beaucoup moins qu’avant. C’est plus des trucs où tu te prends dans la gueule les changements, ça va être des détails. Migos par exemple, tu les différencies de Future, mais c’est surtout par rapport à la voix. » Quand je l’interroge sur les morceaux de rap parlant d’amour, il me livre sa vision des choses : « y’a trop d’ego dans le rap, c’est que des burnes sur des tables, c’est chiant mec. Ce n’est pas ça la vraie vie. »

Seule la dernière piste avec Roméo Elvis propose un morceau pleinement rap, qui laisse présager que Bisous pourrait bien être suivi par un petit frère, dans un tout autre registre. Il s’explique : « je peux dire qu’il y a une certaine schizophrénie dans ma musique. Faire un album comme ça avec une rose en cover, et chanter pour les meufs, jamais j’aurais pensé ça de moi, et je l’ai fait parce que j’avais envie de le faire ». Au final, on ne peut que reconnaître que le pari de rapprocher le rap/R’n’B et la pop de qualité est largement gagné. Il suffisait de le faire, aurait pu dire son gars Ichon.

Crédit photo : Antoine Ott

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