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Mouloud Mansouri, l’homme qui a amené le rap en prison [INTERVIEW]

Mouloud Mansouri, l’homme qui a amené le rap en prison [INTERVIEW]

Voilà dix ans que Fu-Jo oeuvre pour l’entrée de la culture en prison avec les concerts Hip Hop Convict. Mardi 20 février, un live anniversaire de la fameuse asso viendra enflammer la salle Pleyel. Un évènement organisé par un Mouloud Mansouri passionné.

Déjà dix ans que ça roule pour Mouloud Mansouri et son association FU-JO. Ancien détenu, le bonhomme originaire de Toulon fait tout pour ramener le hip hop et sa culture dans un autre monde. Après un drôle de parcours, il s’est armé de sa passion pour le rap qu’il a cassé les barreaux et les préjugés en organisant des concerts dans des centres pénitenciers. La prison, un univers qu’il connaît bien et qu’il décloisonne le temps d’évènements originaux en compagnie de nombreux artistes.

Aujourd’hui, l’heure est venu pour lui de faire face à un tout autre challenge, fêter l’anniversaire de FU-JO avec le concert Hip Hop Convict le mardi 20 février à Paris. Pour l’occasion, Nekfeu, le S-Crew, Cut Killer, Georgio, Dinos et LuXe feront entrer le rap dans les murs de la salle Pleyel. Une première inédite qui promet un superbe show, pour soutenir une association comme on n’en croise peu. Et c’est Mouloud Mansouri en personne qui a présenté son évènement à Booska-P, dans une interview entre anecdotes carcérales et souvenirs en compagnie de Cut Killer, Nekfeu, Kaaris et Niska.

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Tout d’abord, c’est quoi le Hip Hop Convict ?

Hip Hop Convict, c’est toujours de beaux plateaux, une belle réunion d’artistes au niveau. J’ai récemment organisé un concert de Nekfeu en prison, du coup je lui ai dit : « Je fais mes concerts de soutien bientôt, du coup, ça serait cool que tu en fasses partie ». Il m’a dit oui tout de suite et à partir de là, j’ai organisé le plateau autour de lui et de ses disponibilités. Le 15 janvier, on a fixé une date pour le 20 février, ça s’est fait super vite. On a monté le projet en une semaine, trouvé une salle, parlé avec Georgio et DJ Cut killer.

Pouvoir compter sur Cut Killer pour cet anniversaire, c’est une manière de boucler la boucle ?

C’est le tout premier artiste que j’ai appelé pour un concert en prison, avec Daddy Lord C. Il n’avait pas pu venir, mais il s’est bien rattrapé par la suite. Cut est venu jouer plusieurs fois en prison et il débarque aujourd’hui pour le Hip Hop Convict. C’est mon poto, il me suit quand j’ai des évènements. Il répond présent et à chaque fois qu’on organise quelque chose dans une prison, c’est le dernier à sortir. Une fois, on m’avait fait un festival avec Médine, Kery James, Niro, Némir et Cut. A la fin de la journée, tout le monde était sorti et il manquait un mec à l’appel, c’était lui, encore en prison avec les gars. Quand les artistes voient comment ça se passe en prison, ils ont envie de s’investir différemment et passent par le Hip Hop Convict. Ceux qui ont déjà connu la prison, en général, sont très faciles à convaincre.

D’ailleurs, la première fois que tu organises un évènement, t’es encore incarcéré…

J’ai toujours eu la dalle et ça a continué en prison. J’avais envie de faire bouger les choses autour de moi. Et là, j’étais détenu, je connaissais quelques mecs. J’avais donc des contacts et aussi les moyens de téléphoner. Je suis tombé sur un directeur de prison assez ouvert et qui m’a laissé organiser des concerts depuis la taule. Sur mes deux dernières années de prison entre 2006 et 2008, j’ai pu faire six lives avec L.I.M, Sefyu, Médine, etc. Une fois sorti, mes potes encore à l’intérieur me disaient que ce serait cool de continuer. J’ai alors rappelé tout le monde et lancé une tournée des prisons, puis un Hip Hop Convict pour engendrer de l’argent. On a continué comme ça et là, ça fait dix ans que ça dure. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ce projet obscur. C’est pour ça qu’on est là. Les artistes ont un boulot : chanter, rapper, faire de la musique, mixer. Nous, autour de ça, on a des idées et besoin des artistes pour les concrétiser. Si tu n’as pas les artistes avec toi, tu peux avoir le projet que tu veux, il n’existera pas. On est là grâce aux artistes, et vice-versa.

Si tu veux des blases, en ce moment, on me demande beaucoup Niska. Depuis dix ans Booba est très demandé, sans oublier Jul qui cartonne en prison

Est-ce qu’on te réclame des artistes en particulier ?

La prison c’est un baromètre de ce qui peut se passer dehors. Ce qui marche à l’extérieur, ça cartonne à l’intérieur. Si tu veux des blases, en ce moment, on me demande beaucoup Niska. Depuis dix ans Booba est très demandé, sans oublier Jul qui cartonne en prison. Les prisonniers connaissent mon projet depuis dix piges et savent que j’appelle les rappeurs. Et en général, quand ils ne les voient pas arriver, bizarrement, ils arrêtent de les écouter. Ils boycottent quand ils ne voient pas débarquer un mec, c’est assez marrant. On espère que tous les rappeurs viendront un jour, mais chacun a sa vie, ses problèmes, ses trucs, et ça t’empêche de pouvoir d’intégrer dans des projets.

Quelle est la différence entre un concert lambda et un concert en prison ?

Ce n’est pas comme s’il y avait une programmation, avec des fans qui prennent leurs places pour voir des artistes en particulier. Il faut aller chercher le public, mais c’est un job, celui de l’artiste. C’est comme quand un rappeur est face à un public rock. A l’époque, NTM était programmé dans des festivals de rock et arrivait à retourner le public car il avait une énergie et une grosse force de persuasion. Aujourd’hui, je peux te dire que quand je les vois jouer en prison et qu’ils arrivent à bouger des mecs qui ont une tonne de soucis sur les épaules, je me dis que les artistes font le boulot ! C’est bien d’aller dans un truc comme ça, où tu n’es pas dans ton confort habituel. Un concert à l’intérieur ou à l’extérieur, ce n’est pas la même chose, mais ça se passe toujours bien. Les rappeurs ont des retours positifs sur ce genre d’actions.

Justement, t’as quel genre de retours de la part de détenus ?

Je vais te donner un exemple. Niska était programmé, mais il y a eu la grève des surveillants. On était sur la fin de leur période de grève, tout était calé avec la ministre. Le directeur de la prison a voulu annuler le concert, puis a maintenu l’évènement. Finalement, on est arrivé devant la prison avec Niska et les surveillant n’ont pas voulu nous laisser rentrer, pour prendre le live en otage, car les mecs nous attendaient de ouf. Ils étaient ultra déçus, car tu peux être sûr qu’ils se tiennent à carreau en attendant les concerts. Le jour J, tout le monde kiffe.

Tu parlais de la prison comme d’un baromètre, t’as vu aussi le public rap évoluer ?

Oui (rires) ! Ils ont tous des cheveux, je ne sais même pas comment ils font pour les lisser. Sur les looks, on est à la pointe de ce qui peut se passer à l’extérieur. Depuis toujours, le monde du rap est influencé par le style des mecs de la rue et de ceux qui sont en taule. La mode des Asics, ça vient de là, c’est la basket du taulard. Les survêtements aussi. Aujourd’hui, niveau musique, c’est différent, ils écoutent beaucoup la radio. Tous les gros tubes fonctionnent à fond, mais des clefs USB rentrent, donc ils arrivent à écouter autre chose que ce qui passe sur Skyrock. Si tu n’arrives pas à faire rentrer des clefs, tu cantines tes albums et tu achètes un poste. Dans les prisons de France, on est complètement à l’ancienne, t’as pas d’atelier internet ou autre. Faut rappeler que lorsqu’on est incarcéré, on en censé être coupé du monde extérieur. Mais bon, comme on est dans le turfu, des mecs arrivent à se connecter… Moi à l’époque, j’avais la chance d’avoir encore des émissions comme Bumrush ou Sky B.O.S.S. Je n’ai jamais perdu l’oreille, car Joey, DJ Spank et Cut Killer passaient du son mortel. Je défonçais les émissions de la nuit et j’étais toujours à l’heure.

T’es pas obligé d’avoir fait de la taule pour en parler. Il y a plein de rappeurs qui le font très bien. Le seul truc que je trouve dommage, c’est que tu n’ailles pas jouer en prison au moins une fois

Ce n’était pas le même accès au son. Difficile de dire si c’était mieux avant ou pas…

Aujourd’hui, c’est différent, tu cliques sur Booska-P, bim boum t’as les actus. T’as l’accès à plus de choses et tu peux vite t’improviser DJ. Quand j’étais plus jeune, je partais à New-York chercher mes vinyles, j’aillais trainer dans certains endroits pour trouver les sons que l’autre DJ n’aura pas. Désormais, tu prends trois DJs, les trois vont faire le même set. Moi j’ai commencé comme ça, je faisais mes trucs et j’organisais des soirées. J’ai pu faire mon carnet d’adresses, car à l’époque on n’était pas 150 personnes à faire ça.

Quand les rappeurs abordent la prison sans y avoir mis les pieds, ça te gêne ?

Il y a des rappeurs qui sont là pour raconter une histoire, comme au cinéma. Tu peux aller voir un film sur la prison avec Robert De Niro, ça ne va pas te gêner, le mec joue bien. T’es pas obligé d’avoir fait de la taule pour en parler. Il y a plein de rappeurs qui le font très bien. Le seul truc que je trouve dommage, c’est que tu n’ailles pas jouer en prison au moins une fois. Que tu fasses du placard ou pas, on s’en fout, ce n’est pas glorifiant de se manger une peine. J’aurais préféré faire ce taf sans avoir un passé de détenu. Ce qui est gênant, c’est de voir des rappeurs qui en parlent, qui dédicacent, qui en font des clips et qui ne viennent pas y jouer. Tous les artistes savent qu’on existe et nous connaissent, s’ils ont envie de venir partager un moment avec les détenus, ils peuvent le faire. Kaaris par exemple, c’est lui qui m’a appelé, il voulait jouer pour les prisonniers. On n’a fait aucun tapage médiatique autour de ça. Pareil pour Nekfeu qui a joué avec nous hier (jeudi 15 février).

Dans les médias, on présente la prison comme un univers super cloisonné, en proie au communautarisme. Tes évènements permettent de rassembler ?

Quand j’y étais, ça n’étais pas comme ça. J’ai traîné avec des blancs, des blacks, des corses, des gitans, des chinois. Personne ne restait renfermé. Si ça arrive, c’est qu’il n’y a pas les moyens pour éviter les regroupements. Dans les concerts tout le monde se mélange. Rien n’est cloisonné à ce niveau-là, c’est comme à l’extérieur et il faut que ça le reste.

Crédits Photos : Antoine Ott

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