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Mais pourquoi tout le monde déteste Bigflo & Oli ?

Mais pourquoi tout le monde déteste Bigflo & Oli ?

« Les rappeurs détestés de ton rappeur préféré… »

Le triple-disque de platine de l’album La Vraie Vie en 2017, un nouvel album qui prend tout droit le même chemin en 2018, les concerts à guichets fermés, 500 millions de vues cumulées sur Youtube, une Victoire de la Musique obtenue grâce au vote du public… Dans les faits, le succès du duo Bigflo-Oli est spectaculaire, et ne souffre d’aucune contestation possible. Pourtant, cette réussite chiffrée est contrastée par une critique véhémente de la part d’une importante frange du public rap, mais aussi de certains représentants de la presse rap, pourtant très peu enclins, habituellement, à taper sur les têtes d’affiche.

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Entre scores monstrueux et critiques assassines

L’ambivalence de la réception du travail de Bigflo & Oli pourrait rappeler d’autres succès chiffrés spectaculaires du rap français, décriés par le milieu du rap, comme Manau à la fin des années 90, ou Kamini et Fatal Bazooka au milieu des années 2000 -en somme, des rappeurs qui touchent un public autre que le public rap. Le cas de Bigflo & Oli est cependant très éloigné, puisqu’un élément essentiel est à prendre en compte : là où Michael Youn et consorts étaient rejetés avec conviction par le milieu du rap, la fratrie toulousaine semble avoir gagné ses galons et imposé le respect, obtenant l’approbation et le soutien de pontes du milieu comme Fianso et MC Solaar, de rappeurs très éloignés de leur univers comme Kalash Criminel ou Guizmo, mais aussi de vieilles gloires comme Don Choa et Joeystarr.

Pour la part du public et du game qui les rejette, en revanche, rien à faire : moqués par OKLM Radio, taclés par des profils aussi variés que Lucio Bukowski, Alkpote ou Gringe, régulièrement la cible des réseaux sociaux, le positionnement, l’image, voire le comportement du duo semblent leur fermer une frange de leur auditorat potentiel. En cause, leurs prises de position parfois étranges, mais aussi une certaine propension à tellement donner à leur public ce qu’il veut entendre, que le reste des auditeurs se sent au mieux délaissé, au pire rejeté.

L’une des dernières interviews en date de Bigflo & Oli résume à elle seule toute la problématique. Le temps d’une vidéo d’un peu plus d’une minute chez Brut, les deux Toulousains évoquent la question de l’immigration, et leur histoire personnelle un peu particulière : un papa argentin, arrivé en France clandestinement, et une maman issue d’une famille algérienne, qui leur a donné le goût de l’écriture, de la poésie et de la langue française. Jusqu’ici, tout va bien. Quand Bigflo tente de justifier la raison pour laquelle leur côté argentin semble plus mis en avant que leur côté algérien, en revanche, une partie des commentateurs se ferment. Si l’explication se base bien sur des faits indéniables -la réaction moyenne en France face à un fils d’immigré argentin est généralement plus positive que face à un fils d’immigré algérien- la mentalité que le rappeur met en avant fait grincer des dents : « sans réfléchir, on a plus mis en valeur le côté argentin, parce qu’on voyait bien que les gens, ça les faisait kiffer plus que l’autre ». Un bout de phrase que certains commentateurs ont interprété comme un rejet d’une partie de leurs origines, qui aurait notamment permis de toucher la frange du public la plus hostile aux représentants du Maghreb.

Des attaques gratuites ?

Pour Kalash Criminel, l’un de leurs soutiens publics les plus fameux, mais aussi les plus étonnants, étant donnée la disparité de leurs univers respectifs, la situation est cependant plus complexe, et la majorité des critiques adressées à Bigflo & Oli ne tient pas : « Franchement, je trouve que les gens abusent. Ils voient que les mecs sont super gentils, qu’ils n’ont pas forcément de répondant, donc ils se disent qu’ils peuvent se lâcher. C’est un peu comme à l’école, quand on sait qu’un mec est inoffensif, ça peut vite finir en hagra. C’est des cibles faciles ». Pour le rappeur sevranais, la critique adressée aux deux frères se rapproche de celle faite à Jul à ses débuts : « Il avait l’image du mec super gentil, du coup tout le monde le bombardait. C’est bête et méchant, ça va attaquer le physique alors qu’on parle de rap, c’est complètement gratuit » !

L’image, c’est justement le point névralgique des difficultés qu’éprouvent Bigflo & Oli face à leurs réfractaires. Là où des parents apprécieront de voir leurs enfants écouter deux rappeurs gentils et inoffensifs, des auditeurs plus avertis ne verront que mièvrerie et niaiserie dans leur discours. « Quand je les vois kicker dans le Cercle et mettre tout le monde à l’amende, je ne vois pas en quoi c’est du rap gentil, tempère Kalash Criminel. Ils ont débité, ils ont détruit tout le monde ! C’était un vrai cours de rap, laisse tomber ». Si l’on peut toujours débattre sur le niveau de leur passage dans le programme de Fianso et Dailymotion, difficile de nier, en effet, que les deux frères sont reconnus par leurs pairs comme des rappeurs d’un certain niveau en freestyle, une maîtrise de l’exercice qui leur a valu de partager le micro avec Aelpeacha, Don Choa, MC Solaar, Kacem Wapalek, Dadoo, pas franchement des branques dans ce genre de discipline.

Trop d’entertainment tue l’entertainment

« Je suis désolé, mais les mecs qui font Rap Contenders, crois-moi qu’ils sont prêts. Y’a rien de gentil. Ca vanne à tout-va, ça attaque les mères, le physique, si t’es trop gentil, tu ne sors pas de ça. En plus, c’est quoi le rap gentil ? Black M ou Soprano aussi font du rap gentil. Ca n’a pas de sens ». En fait si, puisque Black M et Soprano ne passent pas leur temps à cracher sur le rap hardcore pour faire valoir leur mentalité à eux, mais on ne va pas se mentir : quand Kalash Criminel dit quelque chose sur ce ton, on n’a pas tellement envie de le contredire, d’autant qu’il a des arguments sur absolument tous les points que l’on tente d’aborder avec lui. Les concerts avec Kev Adams et Gad Elmaleh en guest ? « C’est plus de l’entertainment qu’autre chose. Aux States, ça se fait sans problèmes. Moi aussi, je peux ramener un comédien sur scène, il est où le problème ? Si demain je ramène Thomas N’gijol, qui va me dire quelque chose ? Ca ramène du jeu justement, ça amène quelque chose en plus sur scène ». Les featurings avec leur père, qui vient parfois les rejoindre sur scène avec un instrument ? « C’est lourd, parce que leur daron, il est dans la musique, ce n’est pas comme s’il était agriculteur et qu’il se mettait à rapper du jour au lendemain. Ils rendent hommage à leur daron, si ça se trouve, c’est lui qui les a motivé à faire de la musique, tu vois ? Peut-être que moi aussi, si mon père faisait de la musique, j’aurais fait un feat avec lui. Et celui qui aurait dit quelque chose, je lui aurais niqué sa mère ».

Evidemment, tout le monde ne voit pas les choses de la même façon, et les accumulations de collaborations inhabituelles dans le monde du rap (youtubeurs, humoristes, papa), les featurings improbables (Tryo, Jean Dujardin), ou la surexposition (publicités pour Axe, visages sur les canettes de Red Bull) n’ont fait que tanner ultérieurement l’image des deux garçons, devenus le symbole des dérives potentielles de l’entertainment à outrance. Là où des cas comme Soprano ou Black M, représentants d’une frange du rap orientée vers le public le plus jeune, ont su conserver une image suffisamment neutre pour ne pas heurter le public rap plus averti, Bigflo et Oli cristallisent tout ce qui ulcère l’auditeur lambda.

Des maladresses, voire un peu plus …

La faute à bon nombre de textes, de morceaux ou de prises de position au mieux maladroits, au pire scandalisants. On peut par exemple rappeler la polémique autour du titre autour du titre Le Cordon, sorti en 2015, et dans lequel le groupe évoquait la question de l’avortement, en se plaçant tour à tour dans le rôle du foetus puis dans celui de la mère : que le message ait été bien compris ou mal interprété, on en retient surtout une levée de boucliers de la part de la presse et du public, scandalisés par le texte. Personne avant eux n’avait osé en faire un morceau entier, sur un ton aussi premier degré, et avec un tel niveau d’exposition. Ce qui serait passé inaperçu chez d’autres rappeurs, a abouti en polémique logique chez Bigflo & Oli. C’est en tout cas ce qu’en pense Kalash Criminel : « Moi, j’ai dit ouvertement dans le morceau Shottas : « assume ton gosse au lieu de parler d’avortement. » C’est passé, personne m’est tombé dessus. Eux, ils ont plus d’exposition, et ils ont pas le même public que moi ». Moins grave, mais tout aussi maladroit, certains sujets, comme l’absence de père, sont évoqués avec une légèreté qui peut offenser certains auditeurs victimes de ce type de problème dans leur vie, et choqués de voir deux grands garçons tous sourires avec leur papa sur scène leur expliquer que ne pas avoir de père, ce n’est pas si grave parce que ça évite les engueulades pour du dentifrice.

Le bashing permanent dont sont victimes Bigflo et Oli sur les réseaux sociaux et ailleurs découle finalement d’une double problématique : d’une part, à l’heure où une frange du rap est stigmatisée dans la catégorie fantasmée du « rap de iencli », les deux Toulousains sont une cible parfaite, car inoffensive, et on fait donc d’eux les souffre-douleurs du moment ; d’autre part, le duo ne fait rien pour inverser la donne, et a une fâcheuse tendance à donner le bâton pour se faire battre, entre prises de position étranges, polémiques évitables, et surexposition aux effets contrastés. Un véritable cercle vicieux, qui peut aboutir sur deux types de finalités opposés : un hypothétique effet Jul, où Bigflo et Oli finiraient par convaincre tout le monde, à force de scores faramineux, ce qui reste tout de même assez peu probable, étant donné que la principale force du marseillais réside dans sa personnalité, précisément ce qui semble poser souci chez les Toulousains ; ou au contraire, une accentuation de la fracture entre auditeurs, avec Bigflo et Oli surfant toujours plus sur leur public à eux, et se fermant totalement au reste de l’auditorat. Comme souvent, la réalité devrait se fixer à mi-chemin entre ces deux probabilités. Dans le pire des cas, on pourra toujours compter sur Kalash Criminel pour convaincre les plus réfractaires.

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