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L’Ordre du Périph’ débarque [PORTRAIT]

L’Ordre du Périph’ débarque [PORTRAIT]

L’Ordre du Périph c’est Assy, Youv Dee, Ars’n et Swan, et, depuis un an, ce crew envoie régulièrement des sons de qualité. Rencontre dans les locaux de leur distributeur, Modulor…

Ils se sont rencontrés au printemps 2016, à peine un mois avant de lâcher leur premier morceau, MTH , pour Missile Tête Homicide. Un track balistique qui va rapidement exploser les compteurs. Avec un clip amplifiant son énergie nerveuse, ce premier morceau du groupe est comme un avertissement, et signe une arrivée fracassante, avec des vues qui à ce jour, frôlent le million.

Le rap, ils ont tous baigné dedans pendant leur adolescence, avec les potes, voire même directement au sein du foyer parental, pour Youv Dee : « Moi j’ai toujours écouté du rap puisque mon daron il m’a buté au son cainri. Il écoutait 2Pac, Bone Thugs-N-Harmony, il saignait tout. Après en évoluant, y’a eu les Rick Ross, Lil Wayne, DJ Khaled. Avec le temps moi j’écoutais mes propres trucs, j’écoutais que du ricain, puis du français aussi ». Enfant d’internet, c’est avec un regard lointain que Youv Dee perçoit les générations rap précédentes : « Mon père, il me disait que c’était le bourbier à leur époque, pour avoir les sons, fallait écouter la radio à une certaine heure, la galère ».

On est la génération qui a eu Rap Contenders direct

Issus de différents secteurs de l’Ile-de-France, les quatre amis se sont rencontrés entre open-mic, amis communs et discussions sur Internet. Ils ont l’âge d’avoir été biberonné à des événements comme Rap Contenders pendant leur adolescence, comme l’explique Youv Dee : « On est la génération qui a eu Rap Contenders direct. Pour la plupart, on s’est tous pris L’entourage, et on a tous suivi comment ils ont fonctionné. C’est comme ça que beaucoup ont appris qu’il y avait des open-mic sur Paris. Et je pense que nous, on est vraiment les derniers de cette génération, vu qu’au final des open-mic j’en ai fait deux, et après c’était fini ». Une sorte d’école pour eux, qui les a poussés à travailler davantage leur technique, et leur manière de poser sur le beat.

Alors qu’elle était auparavant incontournable pour se faire un nom dans le rap, en 2018, la scène n’est plus nécessairement la première étape, comme le reconnaît Swan : « On est quand même dans un paradoxe, parce que lors de notre première scène à quatre, on avait déjà 100 000 vues sur Youtube ». Une pression supplémentaire ? Pas vraiment, plutôt un boost pour la confiance assurent les quatre amis.

La phase Beta

Sur Vogue Merry, Youv Dee rappe qu’ « ils ont bandé sur un projet bâclé ». Simple phase égotrip à l’arrogance classique ? Sûrement, mais aussi le reflet d’une créativité débridée, en phase avec leur époque : rapide. Le titre même de Beta test faisait office d’avertissement, et jusqu’à aujourd’hui, « c’est toujours de l’entraînement », nous dit Assy. Youv souligne cette espèce de période de croissance express, qui s’accommode mal des coups d’œil dans le rétroviseur : « A chaque fois qu’on termine un projet, vu qu’il faut 3-4 mois pour le livrer, et qu’on refait du son entre temps… On a toujours eu une forme de perfectionnisme. On est vite lassé, et quand on a drop Beta Test, avec Assy, on s’est dit « Heureusement qu’on le sort maintenant », parce qu’on le gardait deux semaines de plus, on annulait ».

Pour sortir un CD, il faut vraiment que le truc il soit abouti de A à Z

Alors que je leur demande si l’on peut trouver le projet en version physique, et ainsi mieux apprécier la belle pochette de Vogue Merry, réalisée par le beatmaker Senchiro, Assy répond par la négative. L’occasion de préciser leur vision des choses : « Pour moi, pour sortir un CD, il faut vraiment que le truc il soit abouti de A à Z », rappelant ainsi qu’on a pour l’instant affaire à des mixtapes, et que l’album viendra le moment venu. Tout s’est passé comme s’ils avaient été aspirés par une sorte de spirale du succès.

Outre-atlantique, Atlantic Records est actuellement au cœur d’une polémique, accusée d’avoir appelé abusivement des projets « mixtapes », afin de faire des économies sur la rétribution des beatmakers. Mais loin de ce genre de calcul, les membres d’ODP voient surtout l’aspect qualitatif de la notion d’album, citant comme références des albums récents accomplis sur des temporalités longues, comme l’album Feu de Nekfeu, ou encore le rythme de travail d’Orelsan.

« Gear 2 », une première escapade solo pour Youv Dee

Un mois s’est écoulé entre Vogue Merry et Gear 2, un premier projet solo pour Youv Dee. Avec des gimmicks inventifs, comme ce sample de Pokemon sur le son Opening, en ouverture du projet. D’autres bangers furieux comme Slay ou Berry sont parmi les tracks les plus convaincants du projet, tandis que sur d’autres sons, tels que Comme j’aime trop ça ou Supernana, il alterne entre cloud et sons happy à la Lil Yachty.

Qu’est-ce que tu veux que je dise d’autre à part ce que je fais ?

Dans les lyrics de Youv Dee, une formule revient, comme une précision particulièrement importante : « Je raconte ma vie, aucun message dans mes propos ». Il s’explique : « C’était vraiment pour qu’ils comprennent. Parce que dès fois, t’entends des gens qui ont un point de vue critique, mais qui va pas au-delà de « Mais il est où ton message ? » Mais on est en 2017, ça fait quinze ans que les gens ont bouffé du message. C’est tellement pas les mêmes époques, c’était pas les mêmes problèmes. Nous on a été posés ici, pour la plupart, chacun son parcours. Mais ok viens, nous on a eu une vie compliquée, toi t’es notre enfant, va à l’école, fais du sport, fais des études, et réussis ta vie quoi. Dans les bases, ça va pas plus loin que ça, qu’est-ce que tu veux que je dise d’autre à part ce que je fais ? ».

Il parle évidemment pour lui-même, et Swan précise leur manière de penser : « On n’a rien contre le rap à message. C’est plus le fait d’imposer le message au rap, c’est absurde, alors qu’on a vingt piges, frère. » Ils racontent leur vie, sans prétention, l’histoire de potes en coloc’, qui vivent pleinement leur délire musical, en proximité avec leurs potes de Baïsela prod, qui réalisent leurs clips survoltés : « On est toujours tous en équipe, on parle son, on écoute du son, on prévoit l’avenir, on fume des joints, on prévoit l’avenir, et on joue à la play. On dit ce qu’on fait, voilà ».

Une culture geek assumée

Les influences majeures de l’ODP se trouvent dans une culture geek qu’ils assument pleinement : mangas, Star Wars, ou encore le Seigneur des anneaux. Le nom du groupe est lui-même inspiré d’une organisation secrète bien connue des fans d’Harry Potter. Une sorte de remix précisant au passage leur origine banlieusarde ; Ars’n et Youv Dee venant du 95, tandis que Swan vient du 91 et Assy du 78. Le titre de Vogue Merry est quant à lui tiré du manga One Piece, qu’ils ont saigné.

Tout cela donne des textes spontanés, dont ils comptent bien garder l’énergie intacte, tirant la leçon de ce qu’ils identifient comme un mauvais cycle, dans la déjà longue histoire du rap français : « Y’a eu une période y’a des albums, les mecs ils faisaient exprès de faire un morceau triste, un morceau pour la radio, c’était formaté » explique Swan. La base de leur méthode de travail ? S’ambiancer eux-mêmes, pour ensuite aller naturellement vers le public, dans un second temps. Pour Assy, leur premier projet, Vogue Merry, « Ce n’est que le début de ce qui doit être une progression constante ». Et à en croire Ars’n, ils peuvent compter sur leur entourage: « On a des potes avec qui on est tout le temps qui écoutent ». Assy renchérit pour dire l’importance de la sincérité des potes dans leur critique.

Dans l’entourage proche, il y a la 75ème session, c’est la famille. Ainsi, on retrouve Sopico sur un morceau du projet Beta test, l’excellent High. Il faut dire que Beta test et Vogue Merry ont été enregistrés au Dojo, le repaire de ce crew, où officie notamment Sheldon, qui était un peu leur merlin. Sur Beta test, il a produit Glitch, Dans l’sas, et Viseur. Sur Vogue Merry, il n’a rien produit, mais au-delà de la gestion de l’enregistrement, il a néanmoins ramené sa touche en jouant de la guitare sur l’excellent Breunoir.

L’ODP semble en période d’expérimentation, avec une formule déjà bien prenante : « Ce sera toujours du ODP au final. Mais comme on a montré, on veut pas faire que du son de concert. On est ouvert à plein de trucs, autant très calmes que des trucs très rock ou plus sombres » explique Youv Dee. Ainsi, après leur phase Beta, ils se sont essayés pour une première fois à l’auto-tune, et y ont visiblement pris goût avec réussite, à l’écoute de Vogue Merry.

Pourquoi attendre que les ricains aient fait ça depuis deux-trois ans, pour soi-même se le permettre ?

Avançant au feeling, ils préfèrent surprendre, quitte à décevoir ceux qui espèrent entendre uniquement des bangers faits pour les concerts. Parmi les premiers à affirmer si clairement un son turn up en France, ils font directement le lien entre ce qu’ils écoutent et ce qu’ils ont envie de composer : « Pourquoi attendre que les ricains aient fait ça depuis deux-trois ans, pour soi-même se le permettre ? Y a plus ce retard d’époque, on a tous les mêmes réseaux, on voit les mêmes trucs en même temps » explique Youv Dee. Pour appuyer leur rap, ils peuvent compter sur les prods efficaces de Senchiro, ou encore celles de Skuna, Yungcoeur ou Wizman.

En ce qui concerne la scène, ils viennent de signer avec le tourneur Auguri, ce qui les a amenés à faire une première date en province, à Grenoble, et tout s’est passé au mieux : « Y’a un côté plus accueillant, vu que c’est vraiment une occasion, à Paris on est bookés plus souvent ». Mais ce fut aussi la confrontation à un public nouveau, comme explique Assy : « Faut les attraper un peu plus. A Grenoble on faisait la première partie de Deen Burbigo, y’a des têtes qui nous connaissaient pas. Et on a été habitués à ce que dès le premier son, ce soit turn up à Paname. Là on est arrivé, y’avait des petits groupes où ça faisait pogo un peu, mais y’avait pas tout le monde. En plus c’est nos premières scènes, faut qu’on apprenne à les attraper, mais avec notre énergie, on fait tout pour ».

Ils ont l’habitude de débriefer après les concerts, avec l’ensemble de leurs proches. Si son nom ne leur était pas forcément très familier, au point de m’en parler distraitement en fin d’interview, avoir Vicelow comme coach scénique est un atout non négligeable, au moment de parfaire sa prestation live. Rappelons que le Saïan Supa Crew a sûrement été un des groupes les plus impressionnants du rap français en concert. Avec de tels soutiens et un tel démarrage en trombe dans ce rap jeu, on peut espérer voir l’Ordre du Périph’ voguer encore loin.

Crédits photos : Antoine Ott

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