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L’Allemand : « Si tu n’oses pas, personne ne t’écoutera » [INTERVIEW]

L’Allemand : « Si tu n’oses pas, personne ne t’écoutera » [INTERVIEW]

L’un des représentants de Lyon se fait entendre…

Sur la carte du rap français, Lyon est une place particulière. Parfois trop renfermée sur elle-même, la capitale des Gaules peut souffrir d’un manque d’exposition. Pourtant, une nouvelle génération de rappeurs a décidé d’exploser les idées reçues. Avec le soutien des Minguettes en bandoulière, L’Allemand fait partie de ceux-là. Avec un premier projet éponyme disponible le vendredi 26 avril, le jeune artiste compte bien se faire un nom. Naturel, travailleur et fidèle à son quartier, c’est avec un sourire à toute épreuve qu’il s’est ramené dans les locaux de Booska-P.

Pour commencer, d’où te vient ce blase ?

Plus jeune, j’étais vraiment blond aux yeux bleus, rien à voir avec mes frères et mes soeurs ! Un mec du quartier est a décidé de m’appeler l’Allemand et depuis c’est resté ! Lorsque j’ai enregistré mon premier son en studio, je ne savais même pas comment m’appeler… Au final, je ne me suis pas inventé une vie, je ne me suis pas nommé « Tueur à gages » ou je ne sais pas quoi. Tout le monde me surnommait l’Allemand alors j’ai continué comme ça. Pourtant, je suis 100 % Algérien, mais certains pensent que je suis réellement Allemand, Albanais ou Turc (rires).

Je suis 100 % Algérien, mais certains pensent que je suis réellement Allemand, Albanais ou Turc

Peux-tu nous en dire plus sur tes débuts ?

J’ai toujours été attiré par la musique. J’ai toujours, entre guillemets, « connu la musique« . Ca s’est fait sur un coup de tête. A la base, j’avais écrit un son et je n’osais pas aller en studio ou même le poser devant des gens. J’étais tellement timide que c’était impossible pour moi de m’imaginer tout ça. Impossible ! Au final, j’ai lâché ça dans la voiture d’un ami, je ne sais même pas comment j’ai eu le courage de le faire. Plusieurs amis ont validé et ensuite, je suis parti un peu de temps en Algérie. De là, on m’a appelé et on m’a poussé à aller au studio. On a commencé ça à mon retour. Mon quartier m’a soutenu et voilà où j’en suis aujourd’hui.

Tes premiers pas en studio, c’était comment ?

C’était une pression de ouf ! Les backs, les ambiances… Je ne savais même pas ce que c’était (rires) ! Une fois que j’avais posé mon morceau, je pensais que c’était terminé, mais l’ingénieur du son m’a dit : « T’es fou frère, il te reste encore les backs et les ambiances à faire ! » Après, tu découvres tout cet univers et tu te construis pas à pas.

Tu te mets au rap en 2016 et tu balances ton premier projet en 2019, c’est un début express !

C’est allé très vite, même s’il y a quand même eu un arrêt de six mois dû à mon passage en prison. Cela fait depuis pas très longtemps que je commence à prendre conscience que la musique, c’est du sérieux. Il y a les attachés de presse, les interviews, le passage par chez vous… Vivre ça, c’est enrichissant. Là, j’ai hâte que le projet sorte, que tout le monde puisse l’écouter. Je suis content de ce que j’ai réalisé, j’espère juste un peu de reconnaissance. Je n’ai pas d’objectifs de ventes, je ne cherche pas à me comparer à un tel ou un tel. Je suis un petit encore, un gamin, je ne suis pas connu. J’attends des critiques, des compliments, de la reconnaissance, tout simplement. Personne n’aime les critiques, mais ça aide à apprendre.

Cela fait depuis pas très longtemps que je commence à prendre conscience que la musique, c’est du sérieux

Comment tu bosses tes morceaux en général ?

Franchement, je prends les instrus comme elles me viennent. Je suis assez ouvert, je fouine tous le temps dans ce que m’envoient les beatmakers ou même sur YouTube. J’essaye de les prendre naturellement, sans me prendre la tête. Après, au niveau des textes, je raconte tout simplement mon vécu. Mes sons, c’est ce que je vis, ce que je vois, mes potes, ce que j’entends un peu partout… C’est sincère, je ne cherche pas à m’inventer une vie.

Et pour l’écriture ?

J’écris tout le temps. Tous les jours, tous les jours, tous les jours. Depuis que j’ai commencé, je suis tout le temps sur mon portable à écrire quelque chose et à chantonner des airs. Des fois, j’ai même mes potes qui me disent que je suis fou et qu’il faut que j’arrête avec mes délires (rires) ! Mais c’est impossible de m’arrêter. Je n’ai pas changé, je suis toujours resté simple et travailleur. Il n’y a pas de secret, il faut toujours travailler pour s’en sortir.

Avec 22 titres sur ton projet, on peut dire que tu es productif !

A la rentrée 2018, je passais toutes mes nuits en studio. Je n’arrêtais pas de répeter à l’ingé-son qu’il n’y avait pas d’heure précise pour finir. On pouvait terminer nos sessions vers 8 heures ou 9 heures du matin. J’enregistrais trois ou quatre sons à chaque fois et ensuite, je faisais ma sélection. On a fonctionné comme ça pour le projet. Tout s’est fait naturellement du début à la fin, je ne me prends pas pour quelqu’un d’autre à rentrer dans un délire bizarre.

Je n’ai pas changé, je suis toujours resté simple et travailleur. Il n’y a pas de secret, il faut toujours travailler pour s’en sortir

On remarque que tu as un style qui fait penser au rap du sud. Ce côté dansant, ça vient de l’amour de Lyon pour tout ce qui vient du funk ?

On me le dit souvent et c’est vrai que chez nous, on aime bien le sud aussi. C’est la musique d’aujourd’hui, les jeunes aiment s’ambiancer et danser sur des sons rap. Pour ce qui est de la funk, je déteste ce style. Même si à Lyon, ça fait partie des codes de la ville, je n’ai jamais été dans le délire funky. La funk, ce n’est clairement pas mon style, même si j’aime faire des sons dansants. A la base, lorsque j’ai fait mon premier son, je voulais juste plaire à mon quartier. Quand j’ai vu que c’était validé par les miens, j’ai évolué. Aujourd’hui, dès que tu essayes de changer un peu de style, tu captes tout de suite les commentaires sur YouTube qui te demandent de revenir en arrière. Mais j’aime me lancer dans plusieurs délires, ça se voit dans le projet. Je peux même m’essayer à la trap si l’envie me vient, les auditeurs découvriront ça. Des morceaux plus posés, d’autres qui bougent, d’autres qui font réfléchir…

Dans ton projet, on retrouve Biwai, Big Ben, La Famax…

Tout ça s’est fait très naturellement ! Big Ben, c’est le poto de Lyon. La Famax aussi, on a déjà fait quatre sons ensemble et il habite pas loin de chez moi. Pour ce qui est de Biwai, on a des gens en commun et c’est devenu un frérot aussi. On a déjà travaillé sur trois morceaux. A la base, je suis quelqu’un qui n’aime pas trop se mélanger. Aller à droite et à gauche sur des terrains que je ne connais pas, c’est pas mon truc. Donc là, on est restés en famille, c’est plus facile.

A Lyon vous avez ce côté famille, mais il y aussi une sorte de manque d’exposition…

A Lyon, on a une mentalité assez renfermée. On n’ose pas trop s’exposer et aller vers des milieux qu’on ne connaît pas. Se lancer dans la musique, ce n’est pas quelque chose de naturel chez nous. Par exemple, une fois que je me suis lancé, il y a plus de jeunes qui s’y sont mis. Au studio, je n’avais même plus de place pour venir poser (rires) ! Dans mon quartier, il fallait peut-être que quelqu’un se lance pour que les autres s’y mettent. A Lyon, on a toujours peur de se ridiculiser. Mais si tu restes dans cette optique, tu ne fais vraiment rien de ta vie… Là c’est sûr, personne ne se moquera de toi ! Moi, j’ai préféré oser.

Si ma musique ne plaît pas à mon quartier, je vais me sentir mal. Je suis porté par mon quartier, ça me fait plaisir, j’en suis fier

Certains de tes clips chiffrent aujourd’hui plusieurs millions de vues, ça te fait quoi ?

Je ne vais pas mentir, je suis heureux quand je vois qu’il y a des vues, mais je ne vais pas sauter au plafond non plus. A Lyon, nous sommes pas beaucoup de rappeurs à faire des millions de vues, forcément ça fait plaisir, mais pour moi, ce n’est pas le plus important. Je ne suis pas le plus heureux du monde parce qu’un de mes clips passe le cap des deux millions de vues. Il y a moins bien et il y a mieux aussi, ce n’est pas une fin en soi.

Comment tu envisages la suite ?

J’ai une matrice au studio, écrire et poser. Ecrire et poser, écrire et poser… Je ne vais pas lâcher le travail. L’objectif, c’est de continuer à tourner des clips, de faire en sorte de dévoiler des nouveautés. Jamais rien n’est acquis dans la vie, il faut bosser pour accéder à de nouvelles étapes.

Quand tu abordes la question des étapes, tu parles notamment de la scène et des showcases ?

Les showcases, j’en fais depuis pas mal de temps maintenant, mais à ma manière (rires) ! C’est toujours prévu au dernier moment, on m’appelle et hop, je réponds présent. Je ne prévois rien, c’est tout au feeling et au final, je suis toujours impressionné. Comme je l’ai dit juste avant, ça ne fait pas longtemps que c’est vraiment du sérieux pour moi. Ca m’aide à prendre tout du bon côté. A chaque fois, il faut voir le bon côté des choses, je reste tout le temps positif ! Pourtant, ça va à l’inverse de notre mentalité de Lyonnais. Nous on naît négatifs, alors depuis que je rappe, j’essayer d’être dans le positif (rires).

Autre élément important de ta musique : Les Minguettes. On voit que t’es très identifié à ton quartier.

Mon quartier, c’est la base. J’y suis tous les jours, je vois les mêmes têtes, les mêmes scènes… Si ma musique ne plaît pas à mon quartier, je vais me sentir mal. Je suis porté par mon quartier, ça me fait plaisir, j’en suis fier. C’est ma vie, point. Si je réussis, je chercherais à donner de la force à tout le monde. Chacun sa chance, chacun son destin, chacun son histoire à écrire.

Pour terminer, tu te livrais plus tôt sur ton passage en prison. Cela a joué un rôle de déclic chez toi ?

Ce passage en prison m’a motivé, m’a donné de la force. C’est là que j’ai senti le soutien des gens, même les surveillants connaissaient ma musique. C’est pour ça qu’une fois sorti, je suis directement allé en studio. Mais il faut dire une chose, c’est que la prison, c’est un vrai mal. Je ne le souhaite à personne. Ceux qui voient la prison comme une fierté n’ont pas de cerveau. T’as deux choix avec la prison, soit ça te rend plus fort, soit tu sors comme un légume. Nous, on restera des hommes partout où on passera.

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