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L’Algérie dans le Rap Français [DOSSIER]

L’Algérie dans le Rap Français [DOSSIER]

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Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et plus particulièrement depuis les années 60, la diaspora algérienne constitue l’une des plus importantes communautés ethniques de France, étalée sur trois, voire quatre générations. Si aucun chiffre fiable ne permet d’attester ce fait – car la loi française interdit tout type de statistique ethnique -, deux données importantes suffisent à se rendre compte de ce que représentent les algériens ou français d’origine algérienne sur notre territoire : premièrement, une étude du Conseil National de l’Ordre des Médecins publiée en 2014, dans laquelle on apprend qu’un médecin étranger sur quatre officiant en France est algérien; deuxièmement, un rapide coup d’oeil à la bibliothèque iTunes de n’importe quel auditeur de rap français, est obligatoirement composée d’une part conséquente de rappeurs d’origine algérienne.

Qu’ils soient fiers de leurs origines (comme tout DZ qui se respecte), amusés par le caractère ou les attitudes de leurs compatriotes, critiques envers le gouvernement algérien, ou concernés par les drames de la guerre d’Algérie, les rappeurs français ont en effet tissé une relation toute particulière avec ce pays grand comme quatre fois la France. De Rimk à Fianso, en passant par Médine, Lacrim et même Big Flo et Oli (ce n’est pas une vanne, leur mère est d’origine algérienne), retour sur tout ce que l’Algérie représente pour le rap français.

La fierté algérienne

L’une des grandes caractéristiques du peuple algérien, et particulièrement de sa diaspora, est la fierté exacerbée de ses origines, et ce nationalisme naturel qui semble inscrit dans son ADN. Une réalité rappelée par Fianso dans l’excellent DZ Mafia, extrait du projet #JesuispasséchezSo, en lançant un « je dors dans mon drapeau » qui aura forcément fait sourire tout membre de la communauté algérienne de France. Un titre qui fourmille de références à l’Algérie, de la banlieue de Baraki au cimetière des Chahid en passant par le fameux « croissant étoile à l’infini ». Rien d’étonnant pour un rappeur qui affirmait, en 2012, « j’ai pas choisi d’être algérien, frère, j’ai juste eu de la chance ».

Une phrase qui fait écho à celle que Hooss lancera quelques années plus tard avec la même modestie : « J’suis né algérien, mach’Allah les vrais hommes« . Un sentiment partagé par l’immense majorité des rappeurs français d’origine algérienne : de Lacrim qui mêle romantisme et nationalisme (« Quand j’te regarde j’vois les richesses de mon pays« ) à LIM qui scande de grands « One two three viva Algérie » en passant par le « DZ Power » de Rimk (encore lui) balancé à toutes les sauces, difficile de passer à côté de ces déclarations d’amour au drapeau vert-blanc-rouge.

La double-culture franco-algérienne

Français, algérien, français d’origine algérienne, algérien de France… Tout fils d’immigré s’est un jour confronté à des interrogations au sujet de son identité. Une question qui peut se révéler complexe, comme pour Rocé (« je ne peux séparer les cultures qui m’ont fait Un, m’en retirer une partie c’est ôter tout l’être humain »), mais qui semble pourtant très simple pour LIM, qui a « la France sur les fafes, l’Algérie dans le sang », ou pour Koma (Scred Connexion), qui se considère « français sur les papiers … mais algérien ». Pour certains, cette ambivalence culturelle peut même mener au rejet, comme pour Abis, qui n’y va pas par quatre chemins en déclarant : « j’suis algérien crétin, tu sais très bien ce que je pense de la France ».

En fait, la question de l’identité turlupine principalement ceux qui puisent leurs origines aussi bien en France qu’en Algérie. Medine par exemple se considère comme un « schizophrène de l’humanité » à la « double identité » franco-algérienne, dont « deux vieux ennemis cohabitent dans (le) code génétique ». Même problématique pour Sinik, qui connaît « autant d’mots rebeu que d’mots français », et qui se sent surtout « trop français pour le Maghreb, trop rebeu pour (ses) voisines ». Une situation pas vraiment pratique quand on est un rappeur reconverti dans les salons de tatouage, mais qui ne pose aucun souci quand on est multimillionnaire, champion du monde et Ballon d’Or, comme le rappelait – avec une syntaxe improbable – le non-algérien Lefa il y a quelques années : « Un monde dans lequel les gens prennent Zidane pour un Dieu, et malgré qu’il soit d’Algérie, les français le prennent pour l’un d’eux ».

Le caractère algérien

« Un putain d’Algérien, j’crois bien qu’dans mes choix ça ne m’aide pas », explique Lacrim dans le titre Emilio Gaviria. Assez simple de comprendre où le rappeur veut en venir : nerveux (« DZ sang chaud, on te laisse à l’agonie », Hooss), impulsif (« Je viens d’Algérie j’ai le sang chaud tah Boumediene », Lacrim), borné (« Algérien, j’suis rancunier bande de ptits enculés », Abis), orgueilleux (« Je suis un DZ, quand je suis dans la merde, j’ai pas besoin d’aide », LIM), fier (« Moi j’suis d’Algérie j’ai la fierté pour devise », Lacrim, encore), refusant de reconnaître sa défaite ou ses torts (« Algérien chaoui de hrenchla c’est pour ça que j’ai la tête dure d’origine », L’Algerino), le tempérament algérien n’est pas forcément toujours un très bon allié quand il s’agit de résoudre des problèmes dans la vie.

L’éducation algérienne

Aussi craint qu’aimé par ses enfants, le papa algérien est du genre à faire des câlins avec la boucle de sa ceinture, à dire « je t’aime mon fils » en transformant, par pudeur, le « je t’aime » en « passe-moi » et le « mon fils » en « la télécommande ». Eminem n’étant pas algérien, on ne trouve heureusement aucun rappeur capable de manquer de respect à ses géniteurs. Côté darons, la plupart souffrent visiblement de douleurs lombaires après de longues années à charbonner (« le daron s’est tué à l’usine », Hooss; « les darons se cassent le dos », Rimk) mais prodiguent tout de même d’excellents conseils (« J’ai demandé au daron « comment faire pour devenir un homme ? », il m’a dit « la fierté ne s’achète pas, au final te prends pas pour un autre », Hooss), tandis que côté mamans, il n’y a généralement pas grand chose d’autre à dire qu’énormément d’amour, résumable par cette vérité simple formulée par Lacrim : « Ma mère je l’aime plus que tout » (ok c’est la phrase la plus banale du monde, mais rien n’est réellement plus important).

Malgré tout, l’éducation à l’algérienne peut parfois s’avérer difficile à vivre pour des enfants grandissant en France sous le joug d’un paternel aux valeurs à l’ancienne venu du bled. Une situation superbement résumée par Freeman en 1999 avec le titre Le Voile du Silence, qui s’attaque au tabou de l’éducation à la dure pour les jeunes filles d’origine algérienne, en racontant le quotidien d’une adolescente enfermée chez elle, obligée de s’expliquer à chaque retard en rentrant de l’école, à chaque absence, poussée à tout faire en cachette (« cours de rattrapage pour un ciné, qu’elle signait sur le cahier, tout ça pour profiter de la moindre seconde d’une vie volée »), et réduite au silence dans sa chambre.

Les merveilles d’Algérie

Si l’amour des algériens pour leur pays peut s’expliquer en partie par leur caractère naturellement fier, l’explication se trouve également parmi les merveilles dont regorge leur pays, et dont tout ressortissant ne peut que s’enorgueillir. Des montagnes kabyles évoquées par Rimk (forcément) ou GLK à la fameuse corniche d’Alger citée par LIM et Lacrim, les références aux paysages et à la géographie algérienne sont innombrables dans les textes de nos rappeurs. Oran, Tizi-Ouzou, Setif, Alger, Bejaïa … trouver une grande ville algérienne qui n’ait jamais été mentionnée dans des lyrics est tout simplement mission impossible.

Mais au-delà de son simple territoire, l’Algérie possède tout un tas d’autres merveilles, d’une grande variété : les champs d’oliviers (… Rimk, encore et toujours), le fameux « zetla » (… vous avez deviné qui), les femmes (« rien ne vaut une DZ« , Hooss) … tout, absolument tout ce qui sort d’Algérie semble donc être un motif de fierté, y compris ce qu’il y a de plus improbable, comme chez Demon One : « J’viens de l’Algérie, là où on trouve les plus belles moustaches ».

On remercie Demon One pour ce grand moment de fierté nationale, et on passe malheureusement à une partie beaucoup moins burlesque de la grande relation entre rap français et Algérie.

La mémoire d’Octobre 1961

Tragédie absolue, le massacre du 17 Octobre 1961 voit des centaines d’algériens et franco-algériens massacrés par la Police à Paris, et pour certains, jetés dans la Seine, en marge d’une manifestation organisée par le FLN, qui réclame l’indépendance du pays après plus d’un siècle de colonisation française. Une date qui fait tâche dans l’histoire des relations entre les deux pays, et dont nos rappeurs tiennent évidemment à entretenir la mémoire. Médine, attaché à l’histoire des peuples oppressés, et particulièrement à celle du peuple algérien, est l’un de ceux qui évoquent le plus fréquemment ce terrible évènement.

Le titre 17 Octobre, extrait du projet Table d’Écoute, y est entièrement consacré, et son texte a même été repris par l’éditeur Nathan pour figurer dans la partie « histoire de l’art » des manuels scolaires de terminale générale. Hamé (La Rumeur), au moins aussi engagé que Médine, évoque lui aussi les crimes de « ce 17 octobre 61 qui croupit au fond de la Seine », rappelant les « pogromes en plein Paris » et les « martyrs étouffés ». Mais ce devoir de mémoire n’appartient pas qu’aux fils d’immigrés algériens, et l’une des phrases les plus marquantes au sujet de ce drame reste le célèbre « J’ai bu la Seine et tous ses cadavres » du Booba époque Temps Mort, la preuve que l’on peut agiter les consciences tout en restant dans l’égotrip sombre.

La guerre d’Algérie

L’une des périodes les plus noires de l’histoire française récente a duré huit ans, provoqué au moins 400.000 morts, et laissé derrière elle des témoignages terribles concernant tortures, enlèvements et massacres. Une plaie qui ne sera jamais réellement fermée, et qui a laissé des traces indélébiles dans la mémoire de familles entières, meurtries directement ou indirectement. Encore une fois, l’un des rappeurs les plus attachés à ces évènements malheureux est Médine, qui a consacré plusieurs titres à la Guerre d’Algérie et à la libération. La torture, symbolisée par ses références au général Massu, à la villa Sesini ou à « l’oeil d’Aussaresses », ce général français borgne connu pour ses méthodes de supplices, mais aussi les viols (« les sexes non-circoncis dans les ventres de nos filles »), les exécutions sommaires (les fameuses « corvées de bois ») ou encore les exactions commises par l’armée de Terre au moyen de chiens de guerre (le tristement célèbre « peloton cynophile »).

Tout comme le drame du 17 Octobre 1961, auquelle elle est liée, la Guerre d’Algérie apparaît dans les textes des rappeurs français aussi bien pour dénoncer des faits très concrets, comme quand Hugo TSR évoque la participation active de Jean-Marie Le Pen à ce conflit, ou pour appuyer des images dures lors d’égotrips, comme chez Kekra (« j’suis là, comme la France pendant la guerre d’Algérie ») ou Kamelancien (« j’viens tout niquer, comme les Généraux en Algérie »).

Les assassinats et les massacres post-guerre d’Algérie

Malheureusement, l’histoire tourmentée du peuple algérien ne s’arrête pas à la fin de la Guerre d’Algérie en 1962. Révolte kabyle, guerre ouverte avec le Maroc, coup d’Etat des militaires, crise économique, émeutes puis répression, guerre civile, puis la fameuse « décennie noire » : le conflit entre militaires au pouvoir, indépendantistes, et mouvances islamistes aboutit sur des centaines de milliers de morts et de disparus au cours d’attentats, d’opérations de contre-insurrection ou encore d’enlèvements. Des personnalités publiques, artistes, journalistes, sont également victimes de cette période noire.

Rimk dédie ainsi le titre Rabzouz « à tous les gens blessés par la mort de Hasni ou Matoub Lounès », deux chanteurs assassinés respectivement en 1994 et 1998, dans des circonstances qui n’ont toujours pas été élucidées officiellement – on peut aussi bien accuser les groupes islamistes que le pouvoir en place à l’époque, ce qui semble finalement arranger tout le monde, car quand tout le monde est potentiellement coupable, tout le monde est aussi potentiellement innocent. On peut également citer le rappeur Mektoub Lounes, dont le pseudonyme est un hommage direct au regretté Matoub.

Prenons tout de même le temps de terminer sur une note un peu plus joyeuse, avec celui qui est certainement le rappeur le plus cité dans cet article :

Les vacances au Bled

L’un des morceaux, si ce n’est LE morceau le plus représentatif de la relation qu’entretiennent les fils d’immigrés algériens avec leur pays d’origine. Solo de Rimk, Tonton du Bled est le titre qui mène le 113 sur les sentiers de la gloire en 1999-2000. La grande force de ce morceau réside dans le nombre incalculable de petites références pour tout gamin de cité ayant déjà passé au moins un été au bled : la 504 break, la malle bleue qui contient toute la maison, l’huile d’olive pour bronzer, le selecto, les blédards qui parlent trop vite et en argot … Finalement, tout est si bien décrit que même un breton ou un cambodgien, sans jamais avoir posé le pied à Alger ou Béjaïa, pourrait parfaitement s’imaginer en abaya en train de discuter de Nike Air, de visas, et du dernier son de Zahouania.

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