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Keny Arkana sur la route de l’exode

Keny Arkana sur la route de l’exode

Entrevue avec l’artiste marseillaise à l’occasion de la sortie de son projet « Avant l’exode ».

Crédits Photos : Antoine Ott

Après une apparition remarquée sur la compilation évènement 13 Organisé, Keny Arkana s’apprête à relancer sa carrière solo avec la sortie de son nouvel opus nommé Avant l’Exode. Un projet fignolé au cours d’une année de confinement passée auprès des siens dans son quartier de la plaine, l’occasion d’un retour aux sources opportun pour la rappeuse marseillaise.

Plus qu’un projet, Avant l’Exode est une saga poétique qui vient donner un peu de lumière à ces « invisibles », et clame son attachement à ce lieu particulier de la cité phocéenne. Voilà qui méritait bien une discussion en toute intimité dans nos locaux.

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Ta dernière fois chez Booska-P, c’était pour l’opus L’Esquisse 3 sorti en 2017. Aujourd’hui on se retrouve pour la sortie de ton tout nouveau projet Avant l’exode. Qu’est-ce qui s’est passé pour toi durant ces quatre dernières années ?

Tu sais dans L’Esquisse 3 j’annonçais déjà l’album L’Exode. Je n’aurais jamais pensé qu’il y aurait autant de temps qui serait passé depuis. Il s’est passé plein de trucs personnels aussi qui m’ont obligé à lever le pied de la musique pour gérer d’autres choses. Je me suis aussi équipé. Tu vois, depuis cette époque-là, j’enregistre tout chez moi, j’ai énormément produit, je dois même avoir des centaines de morceaux de côté. J’ai fait plein de textes, je me suis énormément amusé et puis il y a eu d’autres trucs qui m’ont demandé beaucoup de temps. Et l’été dernier il y a Jul qui m’a appelée pour 13’Organisé. En plus moi j’aime bien les trucs à l’ancienne où tout le monde se rassemble. L’air de rien avec ce projet il m’a mis un petit coup de pied au cul parce que quand il a lâché la tracklist et que je voyais le retour des gens ou en tout cas de mon public du style : « Wow, enfin elle revient ! », alors que je posais « juste » un huit mesures, ça m’a mis une petite pression. Avec tous les morceaux que j’avais déjà en stock, j’ai donc décidé de faire une petite sélection et d’en envoyer quelques-uns. Au début je voulais en balancer un toutes les trois semaines en cadeau, le temps de finir l’album. Et finalement, l’album est presque fini, mais toujours pas complètement. L’album L’Exode c’est vraiment une couleur particulière. Il y a vraiment toutes mes influences dedans. Ca ne ressemble à rien, à part à moi (rires), je ne sais pas comment te le dire, mais ça ne ressemble à rien qui a existé. Du coup, j’avais envie de revenir en premier lieu avec du kick et avec toute cette absence, de ne pas revenir avec l’album L’Exode qui est une vraie proposition artistique. Il fallait aussi que je reste en cohérence avec ma vie. Depuis deux ans et demi, je n’ai pas bougé de mon quartier. Quand il y a eu le premier confinement, je me suis confinée dehors, dans mon quartier. Et donc L’Exode, il y a un truc de cohérence où j’ai trouvé ça pertinent de faire un avant et en l’occurrence quelque chose de plus en résonance avec mon quartier. En plus c’est vrai que je n’ai jamais vraiment mis en avant mon quartier et là ça me tenait à coeur de faire plusieurs titres qui se suivent, dans lesquelles je rends hommage à chez moi, aux gens de chez moi qui m’ont toujours soutenu. Je trouve qu’il y a beaucoup de poésie dans mon quartier, que les gens sont beaux, il y a de belles choses même s’il y a d’autres aspects très durs et glauques mais je voulais leur rendre tout ce qu’ils m’ont donné pendant toutes ces années.

Au sujet du confinement, on sait que tu es une grande voyageuse et tu t’es retrouvée bloquée pendant deux ans et demi dans ton quartier.

Déjà, nous les artistes on a l’habitude de se confiner pour créer ou pour enregistrer. Bizarrement quand il y a eu le confinement, je n’avais pas du tout envie de me confiner ni trop envie de créer. Du coup, j’étais beaucoup dehors avec les gens du quartier. Tu sais, je viens du centre-ville, là où se concentrent les locaux, les autochtones, les personnes du quartier et beaucoup de gens qui sont venus de Paris ou d’ailleurs ces dernières années. Des gens que l’on surnomme gentiment « les bobos ». Et là ça faisait du bien de se retrouver finalement entre nous. Ca faisait longtemps que je n’avais pas passé autant de temps auprès des miens.

Tu n’as jamais été stressée ou influencée par cette nouvelle loi dictée par le streaming qui oblige les artistes à être plus productifs que par le passé ?

Tu sais quand j’ai sorti mon premier album, c’est lorsqu’il y avait du piratage à fond, une période durant laquelle les maisons de disque se bouffaient entre elles, où on disait que c’était la fin de la musique en France. Et pourtant, je ne stressais pas pour autant, pour la sortie de ce projet j’avais même annulé ma tournée pour faire des assemblées populaires, donc c’est un truc que je n’ai jamais trop calculé. Je n’ai jamais fait de la musique pour matraquer les gens ou pour vendre du disque. J’ai toujours fait des propositions. Si ces dernières parlent aux gens, ils les porteront d’eux-mêmes et les feront suivre. Si j’ai un seul stress, c’est peut-être uniquement la page blanche puisque le résultat ne nous appartient jamais vraiment. Quoi que tu fasses dans la vie, pour moi c’est important de faire les choses pour les choses, par plaisir de les faire, le reste c’est du bonus. J’ai toujours eu un peu cette philosophie-là. Quand j’ai sorti des disques, ça n’a jamais été le bon moment. Quand je suis arrivée, j’ai quand même été la première à refuser de faire un Planète Rap à une époque où les gens te disaient que tu ne pouvais pas vendre de la musique rap sans faire un Planète Rap. J’ai toujours fonctionné à la vibe. Moi ce qui m’importe c’est d’essayer de faire les choses vraiment avec le coeur, que ça me ressemble et que je puisse partager ce que j’ai envie de partager.

Tu relances officiellement ta carrière solo avec J’sais pas faire autrement, ton nouveau single sur une instru drill.

Si tu écoutes mes projets depuis le début de ma carrière, j’ai toujours été une aventurière des beats bizarres. Si tu écoutes L’Esquisse 2, il y a énormément de morceaux dirty south, de titres à 120, 130 ou 140 BMP, à l’époque ça ne se faisait pas trop. Après je garde mon style dessus, je n’essaye pas de rapper comme un tel ou un tel mais j’ai toujours aimé les petits pièges dans les beats originaux. Alors quand il y a de nouvelles vagues qui viennent, spontanément, s’il y a une instru qui me plaît, peu importe le style, je vais kicker dessus. Mais je ne suis pas une défenseuse du boom-bap comme certains ont voulu m’étiqueter. Quand tu regardes mes projets depuis le début, il y a toujours eu plus que du boom-bap et même des fois autre chose que du rap.

Ça te dérange toujours qu’on te catégorise comme une artiste militante ?

Oui parce que ce n’est qu’une seule de mes facettes. Si tu écoutes mes projets, il y a plus de morceaux liés à mon vécu que de titres militants. J’ai beaucoup parlé de choses personnelles dans mes chansons et j’ai aussi parlé de spiritualité. C’est pour ça que je trouve que de juste me cataloguer militante, c’est passé à côté de beaucoup de choses de mon oeuvre. C’est pas faux, mais c’est réducteur. Même si je prends position sur des trucs, je reste une MC, j’aime le rap. Tu regardes les gens de ma génération : Médine, Despo Rutti, Youssoupha, Sefyu. Tu sens qu’on s’est pris le rap à la même époque dans la gueule. Tous ces artistes-là, on a tous perçu le rap comme un moyen de prendre position.

Depuis quelques années, on assiste à un essor du rap marseillais. Comment as-tu vécu ce retour au premier plan de la scène phocéenne ?

C’est cool. Après bon, que ça soit de Marseille ou d’ailleurs, quand il y a des bons artistes, ça fait plaisir quand ils s’en sortent. Après pour zoomer sur Jul, je trouve ça beau. Qu’on aime ou pas le style, il a apporté quelque chose de sincère et c’est ça aussi qui a touché les gens. Il y aura toujours un public pour les gens qui sont sincères, peu importe ton style de musique, peu importe ce que tu proposes. Quand Jul est arrivé, ça faisait du bien d’entendre un mec qui parle avec le coeur.

Quand Jul est arrivé, ça faisait du bien d’entendre un mec qui parle avec le coeur

Cet essor du rap marseillais s’est quelque peu modélisé avec le projet 13’Organisé. Un projet dans lequel on peut te retrouver sur le morceau Heat. Comment tu as été amenée à figurer dans la compilation ?

Et bien tout simplement. Jul m’a appelée, il m’a dit : « je fais ça » et je lui ai répondu : « trop bien » (rires). Quand je faisais des morceaux comme Opéra à la Plaine où j’invite tout mon quartier, j’entendais les gens me critiquaient à base de : « Ouais, mais il y a des mecs de danse, ça parle de crime, ça utilise du vocoder ». Moi je suis pour la liberté de chacun, que chacun arrive avec son style et que ce ne soit pas à moi de décider pour les autres. Pour moi, c’est un peu pareil 13’Organisé, c’est rassembler plein de gens qui ont un style différent et chacun respecte le style de l’autre. En plus je viens de l’ancienne école où on aimait bien quand ça freestylait à plusieurs, quand il y a différentes couleurs qu’on ne s’attend pas à voir ensemble et qui donnent un beau mélange.

D’ailleurs, Opéra à la Plaine c’est un peu un Bande organisée avant l’heure.

On peut le voir comme ça, après je n’ai pas inventé le concept non plus. Mais à l’époque ça me tenait à coeur de faire une espèce de photo de famille du quartier.

En dehors du rap marseillais, qui est-ce que tu apprécies dans la nouvelle génération ?

C’est comme toutes les générations, il y a des gens que j’aime bien, des gens que j’aime moins. Alors, j’aime qui… (rires). Je vais te sortir des noms classiques, dans les petits j’aime bien Ninho, j’aime bien PLK. C’est dur, mais y en a plein. J’aime les gens sincères et qui rappent bien.

En 2017, tu disais : « le système français et les médias ont peur du rap ». On en est au même point aujourd’hui selon toi ?

Ouais, « peur » je ne sais pas si c’est vraiment le terme, mais ils nous dénigrent hein. Ils dénigrent le rap et toute la culture populaire des quartiers, tout ce qui ne sort pas du conservatoire en fait. Je pense que ça s’est même encore plus creusé au niveau de la société par rapport aux années 90. Je trouve qu’il y a encore plus de fractures, aujourd’hui et depuis quelques années il y a un vrai racisme décomplexé. Dans les années 90, il y en avait des racistes, mais ils étaient complexés, ils ne le disaient pas, c’était la honte atomique. Aujourd’hui, c’est normal. Je trouve qu’il y a beaucoup plus d’intolérance qu’il y a pu en avoir il y a une quinzaine années.

Tu t’apprêtes à sortir le projet Avant l’exode, mais quels sont tes projets pour l’avenir ?

Finir l’album L’Exode déjà. J’ai beaucoup de morceaux, mais j’ai encore envie de bosser dessus. Et après accomplir mon véritable exode.

Qui est ?

Je ne peux pas trop t’en dire, mais je ne pense pas rester en France encore très longtemps. Après s’il y a une vraie résistance qui se crée en France par rapport à tout ce qui arrive, je resterai. Mais quand je vois que même les rebelles d’hier retournent leur veste, je me dis que je n’ai plus ma place ici.

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