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Keny Arkana : « Je n’ai jamais voulu me plier aux règles » [INTERVIEW]

Keny Arkana : « Je n’ai jamais voulu me plier aux règles » [INTERVIEW]

3 ans et demi après l’album « Tout tourne autour du soleil », Keny Arkana revient avec le EP « Etat d’Urgence. Entretien.

Nous nous étions vus la dernière fois à l’occasion de la sortie de de Tout tourne autour du soleil. Que s’est-il passé pour toi depuis tout ce temps ?

Tout tourne autour du soleil était sorti en décembre 2012. Durant toute l’année 2013, j’étais en tournée. Ensuite, je suis partie au Mexique pour un projet. Cela devait durer quelques semaines. Finalement, je suis restée un an dans ce pays. Je suis revenue en France fin 2014. Quelques problèmes personnels m’ont un peu retardée. Mais depuis cette période, je suis sur l’écriture de L’esquisse 3 et celle de mon prochain album. Suite aux tragiques événements de novembre dernier, j’ai décidé de faire une petite parenthèse, avec État d’Urgence. J’aurais aimé le sortir en février-mars, mais j’ai été retardée en raison de galères personnelles. C’est un projet vivant, pour lequel je vais rajouter des morceaux et faire des mises à jour. Pour l’instant, il y 6 titres dessus, mais cela va évoluer.

Tu sors le EP État d’Urgence en téléchargement sur le site internet www.etat-durgence-com. Ce titre fait directement référence à la mesure mise en place par le gouvernement après les attentats du 13 novembre et prolongé jusqu’à fin juillet…

Oui. Mais c’est aussi un état d’urgence de paix et d’humanité que je décrète. Les médias de masse et leur propagande de merde en prennent un peu pour leur grade. Depuis le 11 septembre 2001, c’est une propagande de guerre. Quand tu fais la guerre, c’est dans les 2 sens. Si je te fais la guerre, je m’attends à avoir des représailles en retour. Les attentats de novembre 2015 m’ont bouleversée, comme tout le monde. Dans ma vie, je me suis retrouvée plein de fois assise à des terrasses parisiennes, j’ai joué au Bataclan… Mais en même temps, on fait subir la guerre à d’autres depuis plus de 10 ans. Cela touche toujours des innocents, que ce soit nos victimes sur Paris ou toutes ces familles au Moyen-Orient. Ajoutons à cela tout ce communautarisme qui se développe… J’ai vraiment l’impression que le gouvernement fait tout pour nous pousser à la guerre civile. C’est maintenant qu’il faut se poser les vraies questions. Vers où va-ton avec cette politique qui nous divise et nous aveugle ? Ce projet, j’aurais pu l’appeler Hymne à la paix ou Effort de paix. Le fil conducteur, c’est la paix dans tous les sens. De la bienveillance jusqu’à la paix intérieure.

Des scratchs sont utilisés sur ce EP. Ce qui est de plus en plus rare dans le rap français…

C’est mon DJ, DJ DRK, qui s’en est occupé. J’aime bien les scratchs. Même sur mes précédents projets, il y en avait. C’est vrai qu’on en entend de moins en moins…

Je ne suis pas portée sur les nouvelles technologies

Sur le titre Ne t’inquiète pas, tu fais allusion aux nouvelles technologies. Quel est ton rapport à celles-ci ?

Je ne suis pas quelqu’un qui écrit ses textes sur son téléphone par exemple. Je suis très manuscrite. J’aime les trucs simples, je ne suis pas portée sur les nouvelles technologies. Parfois, je suis choquée quand je vois des gens regroupés au même endroit, tous scotchés sur leur téléphone. C’est glauque. Après, je ne juge pas pour autant.

Le matraquage, ce n’est pas mon délire

Les internautes sont libres d’apporter la contribution financière de leur choix. Pourquoi ne pas avoir fixé d’emblée un prix ou l’avoir donné gratuitement ?

Cette idée d’essayer le prix libre me trottait depuis un bout de temps dans la tête. Cela permet de voir si l’artiste peut sortir de l’industrie et vivre de sa musique directement grâce au public. Je trouvais que c’était le projet idéal pour la mettre en place. Je vais pouvoir mesurer le soutien et la confiance que le public peut avoir en moi. Après, je ne l’ai pas qualifié de « gratuit », car en France, l’idée selon laquelle la gratuité n’a pas de valeur est répandue. Dans l’inconscient de beaucoup d’auditeurs, quand tu sors quelque chose de gratuit, c’est que le produit est bâclé. Après, il faut laisser de côté son orgueil. Car, quand tu sors un tel projet, tu ne rentres pas dans les charts ou au Top Album. Mais en même temps, je n’en ai rien à foutre de cela…

Tu t’es fixée un objectif d’une somme d’argent à récupérer pour pouvoir enchaîner avec d’autres projets ?

Non, je ne m’attendais à rien. D’ailleurs, j’ai été agréablement surprise par les contreparties financières apportées par le public. De toute manière, c’est moi qui ai tout produit. Si quelqu’un devait perdre de l’argent sur un tel projet, c’est bien moi. Même si je suis signée en artiste, je conserve un fonctionnement d’indépendant.

Tant que j’ai de l’inspiration et des choses à dire…

Tu as aujourd’hui 33 ans. Pendant encore combien d’années te vois-tu faire de la musique ?

Après chaque projet, j’arrête un peu. J’ai donc une relation un peu bizarre à la musique, contrairement à la plupart des rappeurs, qui enchaînent immédiatement sur d’autres projets. Tant que j’ai de l’inspiration et des choses à dire, je continue. Après, je t’avoue que je ne compte pas faire ça toute ma vie non plus. Je rêve d’une vie un peu plus calme et épanouissante que celle liée à l’industrie du disque. Je passe presque plus de temps à me « fighter » qu’à écrire et faire de la musique.

Pour reprendre ton expression, à quel niveau tu te « fightes » ?

Au niveau business et mercantile. Je perds beaucoup d’énergie en faisant ça. Par le passé, on m’a souvent dit : « Maintenant que Diam’s n’est plus là, il y a une autoroute devant toi ». Mais je ne suis tellement pas dans ce délire là… On m’a souvent demandé de la clasher. Mais pourquoi je l’aurai fait ? Que m’a-t-elle fait ? Bien que je sois dans un gros label (Because Music, Ndlr), je n’ai jamais voulu me plier aux règles de l’industrie. Je n’ai jamais voulu faire de télé, de radio. Le matraquage, ce n’est pas mon délire. Maintenant, je sais que nous sommes peu à avoir le droit à la parole. Quand j’étais enfant, je faisais partie de ces paumés sans repères, sans adultes derrière. Le rap a eu une influence positive sur moi.

On m’a proposé beaucoup de premiers rôles

En 2012, tu m’avais dit : « J’ai voté un peu par hasard ». Que comptes-tu faire pour les élections présidentielles de 2017 ?

Je suis quelqu’un qui n’a jamais vraiment cru qu’on allait changer les choses grâce au vote. Comme disait Coluche : « Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit ». Après, je sais que des gens se sont battus pour obtenir ce droit, que les meufs ne peuvent voter que depuis 1945. Au nom de toutes ces luttes là, je suis allée mettre mon bulletin dans l’urne. Mais à l’époque, ces gens croyaient vraiment en la démocratie. Pour moi, on ne changera jamais les choses par la politique. Aujourd’hui, il n’y a plus de pouvoir national. Choisir entre la peste et le choléra, c’est fatiguant. Je ne sais pas encore si j’irai voter l’année prochaine…

Ecoutes-tu encore beaucoup de rap français ?

A la base, je suis une passionnée de Hip-Hop. Donc je me tiens au courant. Même si le Hip-Hop n’existe plus… Mais c’est vrai que ça fait longtemps que je n’ai plus ressenti de frissons. J’adore un groupe comme la MZ. J’espère que ce trio va aller loin car il le mérite. J’aime bien PNL également. Les gars sont restés proches de leur quartier. Moi je suis encore dans l’état d’esprit des années 90 où conserver l’authenticité était important. Quand j’ai refusé de faire « Planète Rap », tout le monde était choqué.

Qu’as-tu pensé de Max et Lenny, film pour lequel le réalisateur Fred Nicolas s’était inspiré de ton histoire ?

Mais ça n’a rien à voir avec ma vie ! Je n’ai pas vu le film mais j’ai un peu mal pris ce délire. Je n’ai rien contre Pand’Or, mais j’ai le seum contre le réalisateur. Il m’a couru après pour que je joue dans son film. Il a écrit le scénario en écoutant ma musique. Je n’étais pas intéressée, même si j’étais prête à l’aider sur certains trucs au départ. Il m’a tellement soûlée pour que j’incarne le rôle principal que je lui ai demandé de me zapper.

Faire du cinéma à l’avenir, ça pourrait tout de même t’intéresser ?

On m’a proposé beaucoup de premiers rôles. Pour l’instant, j’ai toujours décliné les propositions. Je ne comprends pas qu’on puisse donner des premiers rôles à des gens qui ne sont pas acteurs. Ce n’est pas parce que je fais du rap et de la scène que je suis forcément une bonne actrice. Même si je sais que je peux l’être, tellement j’ai réussi à embobiner de flics de de contrôleurs dans ma vie ! (rires)

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