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Jo Le Phéno : « Désormais je suis sage, mais j’ai toujours la rage »

Jo Le Phéno : « Désormais je suis sage, mais j’ai toujours la rage »

Pour la sortie de son album « 60 boulevard Ménilmontant », le rappeur Parisien se livre.

Crédits photos : Antoine Ott.

Jo le Phéno, c’est d’abord un C.V un peu particulier. Après avoir commencé le rap à seulement 13 ans, le bonhomme originaire de La Banane (20e arrondissement de paris) s’est fait remarquer avec un talent pour le kick, mis en évidence dans le projet Chakal Attitude (2013). Après ça, pas de nouvelles sur projet long, mais des démêlées avec la justice, la faute à morceau prémonitoire, Bavure, qui n’avait pas franchement plu aux forces de l’ordre. Aujourd’hui, c’est délesté de ces problèmes qu’il débarque avec un album. 60 Boulevard Ménilmontant, un disque qui illustre le parcours d’un artiste apaisé, mais qui poursuit le combat. Rencontre.

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Dans quel état d’esprit tu te sens aujourd’hui ?

J’étais impatient, pressé d’envoyer le truc, d’avoir les retours. J’avais qu’une envie, c’est envoyer du son à nouveau. Donc aujourd’hui, je me sens bien, heureux, satisfait.

Tu parais plus apaisé. Et même si t’as gardé ta rage, ton rap est livré de façon plus posée.

Je suis quelqu’un qui écrit avec le temps. Ce qui me pousse à écrire, c’est le temps qui passe, les situations qui changent… Mais même si je pose de manière moins violente, ma rage est toujours là. J’ai un tas de sons où j’ai encore plus de hargne qu’avant, mais rien n’est sorti. Dans ma vie, sur le plan personnel, beaucoup de choses ont évolué. C’est peut-être ce qui a fait que le projet est un peu plus conscient, plus réfléchi et moins violent.

Parler de ma vie personnelle, la rapper, c’est quelque chose dont je n’avais pas l’habitude

Le temps, c’est d’ailleurs le fil rouge de ton album.

Exactement. Il y a des morceaux que je n’aurais pas pu faire il y a cinq ou six ans. Je n’aurais pas pu écrire un titre comme 60 boulevard Ménilmontant. Je me livre dedans comme je ne l’ai jamais fait. Parler de ma vie personnelle, la rapper, c’est quelque chose dont je n’avais pas l’habitude. C’est assez nouveau pour moi. Cela peut remplacer les interviews (rires). C’est une manière aussi pour les gens de me connaître un peu plus.

Tu cherches justement à capter l’auditeur dès que tu écris ?

Cela dépend. Par exemple, si je fais dans le storytelling, je vais essayer de parler au plus grand nombre de personnes possible. J’ai le titre L’Hollandais, qui peut plaire aux grands, aux petits… A beaucoup en fait. Donc penser à l’auditeur, ce n’est pas une obligation lorsque j’écris, mais on peut y venir quand même. Quand je gratte mon texte, ça me vient comme ça. Quand je me force à écrire, mon texte me parle moins. Si c’est trop mécanique, je vais garder deux phases, pas plus. Je vais partir d’une discussion, d’un sujet, d’un mot. Mon rap, c’est comme une photo, il faut que l’image te vienne tout de suite en tête. J’ai une phase en tête qui illustre ça : « J’ai vu des mecs soudés, s’aimer et se bouder et quelques années après j’ai vu du sang couler ». C’est comme si c’était un devoir à rendre, il faut qu’une fois à l’école ta copie soit propre.

Faire preuve d’une plus grande ouverture musicale en misant moins sur le kick, c’était un souhait ?

C’était vraiment une volonté de ma part. Je me suis toujours dit que je devais m’adapter à tout. En fait, de base, mes proches aiment quand je kicke. Les gens m’ont connu comme ça, c’est de cette manière que j’ai débuté. Mais Jo Le Phéno, c’est aussi un rappeur qui veut progresser dans la musique. Moi, ça me dérangerait pas que des vieux m’écoutent ou des plus jeunes. Pour ça, il faut que mon message puisse toucher tout le monde. Je peux kicker, je continue à le faire d’ailleurs, mais il faut aussi savoir passer à autre chose. Déjà dix piges ou 60 boulevard Ménilmontant, ce sont des morceaux qui tu pourras réécouter dans dix piges, j’imagine. Il faut chercher à sortir des sons intemporels.

Je peux kicker, je continue à le faire d’ailleurs, mais il faut aussi savoir passer à autre chose

A quel point c’était important de nommer ton album « 60 boulevard Ménilmontant » ? C’est là où tu as grandi…

(il coupe) En réécoutant mon disque, je me suis dit que j’avais enfin réussi à déballer mon sac. Il y a beaucoup de titres dans lesquels je me livre. Il n’y a pas énormément de sons kickés, les autres, c’est comme si je parlais, je me racontais… J’arrive à poser des mots sur mon vécu, ce que j’entends, ce que je vois… Tout en fait. Le titre éponyme est particulièrement, j’étais obliger d’appeller mon album comme ça. Le 60 boulevard Ménilmontant, c’est mon adresse de jeunesse, ma vraie base, le démarrage. C’est ce qui m’a formé.

Dans ton parcours, il y a aussi « Bavure 1 » et « Bavure 2.0 ». Pour rappel, tu y condamnais les agissements des forces de l’ordre. Quel regard portes-tu sur tout ça aujourd’hui ?

J’ai toujours le même regard là-dessus. Je défends les miens, je combats. Je suis toujours dans une lutte, même si je n’ai pas enregistré de Bavure 3. Ecrire avec le temps, c’est ne pas se forcer à écrire un nouveau morceau dans le genre et surfer sur la polémique. De base, ces titres étaient là pour alerter, c’était un cri de détresse face aux affaires Adama Traoré, puis Théo. Je n’ai pas fait ça pour faire chier les gens, mais juste pour décrire une situation. Bavure 2.0 était moins brutal… Les policiers qui font de la merde, bafouent les droits de l’homme, il n’y aucune raison que certains continuent à bosser. Je ne vois pas pourquoi quelques flics auraient plus de droit que nous autres. Il faut se dire une chose, beaucoup de victimes des forces de l’ordre ne portent pas plainte.

Tu as même eu droit à un procès…

Ma musique n’était pas concentrée que sur la police. On m’a pris pour un rappeur anti-flics alors que je n’ai fait qu’un morceau dessus. Je suis quelqu’un de posé, je fais du rap pour porter un bon message. Ils n’ont pas pris la peine de regarder l’artiste que j’étais. Ma musique, elle transmet ce que je suis et je ne suis pas un meurtrier. Je peux aussi m’énerver, comme sur Bavure, mais les flics ont eu tout faux. Il y a quand même eu les polémiques, un passage au tribunal… Cette histoire est allée bien trop loin (rires).

Il n’y a pas que les jeunes de cité qui en ont marre, tout le monde pète les plombs et c’est bien normal

Aujourd’hui, comme tu nous le disais, ça va mieux… Quel message souhaites-tu faire passer maintenant ?

C’est l’âge qui fait ça. La maturité t’apporte une autre réflexion sur les choses. Mais je reste le même, si des choses me font chier, je vais les dire quand même. Dans mon projet, il y a des messages dans plein de titres. Si mes problèmes avec la justice sont aujourd’hui derrière moi, le combat continue. L’amende est bien passée, mais pas mon message. Il n’y a qu’à regarder : les violences sur les gilets jaunes, les mouvements sociaux qui se multiplient… Il n’y a pas que les jeunes de cité qui en ont marre, tout le monde pète les plombs et c’est bien normal. Quand je rencontre des auditeurs, cela me fait plaisir car ils viennent de partout, des mecs de cité et des gens d’ailleurs aussi. Je rappe pour moi, mes potes, mes proches, ma famille, mais aussi ceux qui peuvent se sentir concernés. Si ma musique peut faire du bien, c’est tant mieux.

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