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Gros Mo vise les étoiles [PORTRAIT]

Gros Mo vise les étoiles [PORTRAIT]

Rencontre avec le rappeur de Perpignan, à l’occasion de la sortie de son album « Les étoiles ».

Crédits photos : Antoine Ott.

Après Fils de pute en 2014 et les # de Gros Mo en 2016, le Perpignanais vient de sortir son premier album, nommé Les Etoiles. Sur les productions millimétrées de En’Zoo, Gros Mo a clairement pris de l’ampleur, déballant un univers redoutablement cohérent. Rencontre.

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Un rap sous influences

Après avoir usé ses baskets dans l’apprentissage de la danse hip-hop, Gros Mo commence à prendre le micro à l’adolescence, faisant ses premières armes grâce à l’association La Casa Musicale, à Perpignan : « Une structure très grande, tu payes 20 euros pour l’année et t’as accès à des studios d’enregistrement, à des salles de répét’, tu peux bloquer une résidence une semaine. Et au bout d’un moment, on s’inscrivait plus, on y allait tous les jours, c’est devenu une famille. Aujourd’hui c’est eux qui me produisent. » C’est là qu’il rencontre Nemir (dont il deviendra le backeur), ou encore les beatmakers En’zoo et Everydayz.

De par sa musicalité capable d’accélérer le bpm comme d’étirer les dernières syllabes avec un grand sens mélodique, on aurait pu se douter que le son de Gros Mo ne s’abreuvait pas que de rap : « Vaut mieux chercher le petit truc qui va te démarquer, dans ton vécu, tes origines. Moi, je suis allé puiser un peu partout, je n’écoute pas que du peura. Autant, je peux écouter des trucs cubains, des trucs du bled, que du rap. »

Le raï, je trouve que c’est de la tuerie. Parce que c’est vraiment ce qu’on aime nous, faire des chansons d’amour ou de désespoir

Fumeur quotidien par habitude, Gros Mo se livre franchement sur le sujet, dans ses textes comme en interview. Le spliff, qui avait donné son nom à un des gros titres des #, il en revient : « Les plus jeunes voient ces clips avec tous ces rappeurs qui fument des gros blunt de weed pure. Frère, la verdure, c’est de la drogue dure. Ça te tue le cerveau, ça te rend accro, ce n’est pas un truc à défendre. » Un vécu qui inspire certaines phases, parmi lesquelles les paroles de Désolé : « J’essaie de commencer déjà par arrêter la Marie-Jeanne / Chérie j’fais comment quand j’ai mal. »

Attaché à Marie-Jeanne tel un Rick James mélancolique, il confronte cette sale manie à son amour pour une femme. Car au-delà des péripéties d’un certain mode de vie, c’est le thème des relations homme-femme qui apparaît comme le vrai fil conducteur de l’album. Un reflet de son expérience, ainsi que de certaines de ses influences musicales, puisant dans le raï, de Cheb Khaled à Cheb Hasni. Sorti il y a déjà un an, le langoureux Cousine avait annoncé la couleur, avec une lyrics vidéo envoyant un clin d’œil appuyé à Khaled. Une référence qui ne devait rien au hasard : « Le raï, je trouve que c’est de la tuerie. Parce que c’est vraiment ce qu’on aime nous, faire des chansons d’amour ou de désespoir. Les sujets, ils ne sont pas très ensoleillés, pourtant la musique elle l’est vachement. Ce sont des écorchés vifs, la plupart sont alcooliques, ils sont dans la drogue, ils sont complètement fous amoureux d’une femme qui les fait souffrir. J’adore ce côté-là, pour moi ça représente trop bien la vie d’artiste. »

Des inspirations orientales qu’on peut retrouver dans les sonorités de plusieurs titres, parfois mêlées à des rythmiques plus sombres, comme sur Dans un délire, parfaite succession de rimes kickées et d’une mélopée entêtante. Les textes, eux, oscillent entre moments légers et récits intimistes : « C’est mon quotidien, ça va faire sept-huit ans que je suis avec ma meuf, on est mariés, on a trois enfants. Et crois-moi, c’est une grosse partie de ma vie. Même En’Zoo des fois, il pète les plombs, il me dit «  c’est bon les chansons d’amour, envoie du peura«  ».

La vie d’artiste

L’amour et la vie d’artiste, cocktail principal d’un récit sans fard, livré sur des beats vitaminés, comme sur la grosse frappe qu’est LVEB. Le Perpignanais y conte les soubresauts de sa relation amoureuse, avant que son compère Nemir ne vienne dynamiter le refrain : « Avec ma femme, à chaque fois que je bosse, ça ne va pas, elle voudrait que je sois à la maison. Et en même temps elle ne veut pas que je sois à la maison. C’est ça qui est vicieux, elle veut que je parte, mais elle veut m’en vouloir en fait. J’ai l’impression que les femmes elles aiment bien en vouloir à leurs mecs. Quand t’es irréprochable, tu ne leur vends aucun jeu, elles ne te calculent même pas. Les femmes, c’est très complexe. »

Des thèmes qui tiennent l’album tel un fil rouge, montrant un Gros Mo épris, mais lucide sur la complexité des rapports hommes-femmes, comme sur Cousine, où il déclame son amour des « crises de jalousie ».

je n’ai jamais été contre des caricatures quelconques, je suis pour, au contraire. Ceux que j’avais envie de déranger moi, c’est les mecs issus de quartier comme moi

Deux ans se sont écoulés depuis Les #, le emcee ayant pris son temps, à l’instar de son acolyte Nemir, qui a enregistré « l’équivalent de trois albums » non sortis, et pour qui il a récemment écrit Des heures puis Ca sert. Gros Mo semble néanmoins un peu moins control freak que son ami, sortant tous ses sons, avec des envies d’augmenter la cadence. Il. Les deux sudistes ont l’habitude d’échanger leurs textes, comme cela avait été le cas pour le titre Des culs, recueilli sur Les #, pour cause de lyrics trash, plus conformes au mood de Gros Mo. Et quand on entend les deux compères faire des merveilles sur les sons LVEB et Yemma, on se dit qu’un projet commun serait plus que bienvenu. Ce qui finira sûrement par se faire, d’après l’aveu de Gros Mo.

Un artiste qui se veut plus mature, désormais moins partisan de certaines provocations potaches, risquant de tomber à côté de la cible, un peu comme un éditorialiste made in BFM dans un débat entre journalistes musicaux compétents. Alors tant pis s’il modère désormais certaines punchlines à l’humour sale, celles-ci n’ayant peut-être plus leur place dans une époque crispée par les polémiques dopées au RT : « Moi, je n’ai jamais été contre des caricatures quelconques, je suis pour, au contraire. Ceux que j’avais envie de déranger moi, c’est les mecs issus de quartier comme moi. Je dérange pas mal chez les rebeus et j’aime bien les titiller. C’est pour ça que j’ai développé ce personnage. Quand je fais des morceaux comme Malsain, c’est pour eux. »

Si le Gros Mo nouveau met moins de poil à gratter dans ses textes, il gagne en densité et fait grandir son personnage. Avant, peut-être, que le nombre de ses auditeurs suive la même courbe, ce que la qualité de son travail mérite amplement.

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