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Freez, à l’épreuve du temps [PORTRAIT]

Freez, à l’épreuve du temps [PORTRAIT]

Après avoir oeuvré avec Stamina, Freez poursuit sa route en solo. Le 17 novembre, il a sorti « Les minutes vides », un EP produit par le beatmaker Chilea’s. Récit du parcours d’un artiste en plein renouvellement…

Alors qu’on vient de poser une mixtape sur la table (de l’époque où les tapes étaient vraiment des cassettes), sur laquelle Freez posait avec son crew à la fin des 90’s, la discussion s’ouvre sur un retour en 1995, année d’ébullition dans le rap français – c’est bien l’année qui a donné son nom au groupe, et non l’inverse. L’année où dans sa bande de potes, à Orléans, chacun commence à écrire des phases dans son coin : « Tous les jours, on parle que de mixtapes, de sons, et on se dit ‘Vas-y, toi je suis sûr que tu pourrais pas lâcher une rime’, et l’autre qui répond : ‘Demain je viens avec un texte mon gars' ».

Une histoire somme toute classique, d’adolescents succombant au virus du rap, six amis qui sont « Juste des mecs en survêtement qui kickent », et créent le groupe La Baraka. Le décor est planté : dès le début, Freez a un goût prononcé pour la performance et les ambiances open-mic, peut-être une piste pour expliquer la longévité de Freez, et la fraîcheur qu’il semble avoir gardée intacte au moment de prendre le micro.

On pouvait kicker là-dedans, se poser tout le samedi, ramener les pilons, et surtout rapper

Les débuts

Après une enfance en banlieue parisienne, Freez a emménagé chez son père à Orléans, à l’âge de 12 ans. Dans le quartier de La Source, lui et son groupe se retrouvent tous les week-ends chez leur DJ, Dee Jekyll, qui habite un pavillon : « Il avait une énorme salle, on aurait dit un gymnase mon frère. Et on pouvait kicker là-dedans, se poser tout le samedi, ramener les pilons, et surtout rapper. Et c’est là qu’on décide de créer le groupe Baraka ». Freez commence tout doucement à plonger dans le rap, avec ses potes de lycée. Par son activisme, le groupe s’assure une certaine visibilité, talonnant l’autre tête d’affiche locale, le groupe La Riposte. De plan en plan, ils sont même invités à se produire en concert jusqu’à Milan ou Berlin.

Une époque où Paris regarde encore un peu de haut la province, avant l’ère d’internet. Le groupe enchaîne les allers-retours Paris-Orléans, et fait des rencontres plus ou moins constructives : « On avait rencontré une dame responsable d’un label, on arrive dans ses locaux à Châtelet, elle produisait un groupe qui s’appelait Poussin Choc, ils avaient tous des crêtes jaunes. On s’est dit ‘Je sais pas si on va arriver à quelque chose avec elle’ », s’amuse Freez, avec le ton de celui à qui on ne la fait plus. En 2000, La Baraka sort un premier album intitulé A suivre, totalement autoproduit et qui connaît un succès d’estime, auprès des titres phares de la presse rap de l’époque, Radikal, RER ou L’Affiche.

Il retourne ensuite vivre chez sa mère à Colombes, et se voit comme en bonne position stratégique pour relayer la communication autour de son groupe. Il développe alors certaines connexions, se rapprochant par exemple de Brasco. Dans les années qui suivent, il ressent un bouillonnement dans l’underground parisien : des open-mic sont organisés plus fréquemment, tels les soirées 12 inch all star : « A ce moment-là y avait une énergie que je me suis pris en pleine gueule, je kiffe de ouf ».

Pendant les week-ends passés à Orléans, où il retrouve son groupe, il retrouve une autre ambiance, davantage portée sur la gamberge collective autour de la manière dont doit évoluer le groupe : « On passe notre temps à discuter, on rappe plus, et moi ça me gonfle, j’ai envie de kicker ». Ses amis, de plus en plus branchés par la lecture d’auteurs critiques comme Guy Debord ou Pierre Bourdieu, vont y puiser l’inspiration d’un deuxième album, livré en 2010. Sans Freez, qui a quitté l’aventure, trouvant ce cadre un peu trop étroit pour son rap.

Le groupe Stamina

C’est dans cette période qu’il rencontre Emoaine, lors d’un open-mic. Encouragés par leur entourage qui remarque leur complémentarité, ils donnent naissance au groupe Stamina. Après quelques apparitions remarquées, comme leur participation à la compilation Appelle moi MC de DJ Blaiz, ils vont se lancer dans la réalisation de leur premier album, les Règles de l’art, qui sort en 2011. Grâce à un ami bien placé, ils parviennent à tourner un clip dans les sous-sols du Musée Grévin, décor idéal pour donner corps à leurs idées.

Un titre et une image qui tendent à les définir comme des puristes. Si Freez définit leur identité d’alors comme telle, il a toujours été conscient des limites de ce genre d’approche : « C’est à la fois positif et débile, cette position de gardien du temple : « Ouais nous on n’évolue pas ». Alors que c’est beaucoup plus simple que ça, il y a de la bonne musique partout, on l’a toujours pensé. Mais je pense qu’on devait avoir un truc sur la validation des pairs, on voulait faire partie du jeu, et ça nous a un peu niqué à mon avis ».

Plutôt que de rester retranché dans les sons à l’ancienne, Freez reste à l’écoute des évolutions du rap français, même s’il a parfois eu plus de mal à se retrouver dans certaines tendances, telle « Cette sombre période du dirty south français, une période un peu compliquée. » Au niveau musical, Stamina rappe sur des rythmiques boom bap, avec un réel souci pour les mélodies : « On a toujours beaucoup écouté Madlib, Alchemist, des choses comme ça, donc on cherchait des prod’ qui avaient ce groove, et de pas rester juste violon piano, basse, à chialer sur comment la vie est dure ».

Après le succès d’estime de leur premier essai, ils réalisent un deuxième album, Prison(s) de verre, avec des textes qui se veulent davantage tournés vers la société et sa critique, à partir du concept des « Prisons mentales qui constituent la grande prison de verre dans laquelle on vit ». Après leur séparation du label Ugop, le second album de Stamina sort en 2014, mais faute de moyens de promotion, il connaît une faible visibilité. Pendant la période qui suit, Freez met un peu le rap de côté, répondant à l’occasion à des invitations de potes, tandis que son acolyte se tourne vers une activité dans le cinéma.

Prisons mentales qui constituent la grande prison de verre dans laquelle on vit

A la recherche du bon son

Chilea’s est un beatmaker qui vient également d’Orléans, et a fourni un bon lot de beats efficaces pour Espiiem, A2H ou encore L’Entourage. Quand il arrive dans la capitale, c’est d’ailleurs Freez qui le présente à Deen Burbigo. Alors que Freez commence à se poser la question d’un projet solo, la production des Minutes vides va agir comme un déclencheur. Et c’est après quelques morceaux réalisés ensemble que Freez décide de lui confier la production de l’ensemble du EP. Il le voit comme un moyen d’aider à la cohérence du projet, mais aussi comme un stimulant : « Comme j’ai toujours été un mec d’équipe, ça me relance d’avoir un compagnon de travail dans ma recherche ».

Ils passent beaucoup de temps dans le home studio de Chilea’s à Orléans, qui assure un véritable rôle de réalisateur. Dans ces sessions, Freez se laisser aller à expérimenter, comme dans un laboratoire : « Comme c’est du home studio, le compteur tourne pas, on a vraiment le temps de bosser les trucs. On fait des séances nocturnes… un travail de recherche, quoi ». C’est dans cette bulle créative que Freez va faire évoluer son identité vocale, vers des phases chantées, qui se fondent parfaitement dans les orchestrations, notamment au moment du refrain. Pour arriver à ce résultat, Chilea’s joue le rôle de coach bienveillant : « Le premier truc où je chante, il me dit : « Essaye de pousser gros, essaye de trouver des notes » ». Du haut de ses 29 ans, le beatmaker amène une vibe nouvelle pour Freez, qui lui va comme un gant.

Blues du nord

Dans les textes, Freez a été vers un contenu où il puise davantage dans son expérience personnelle, qui inspire la plupart des textes : « Les minutes vides, ça fait un peu référence à une période que j’ai vécue entre 2011 et 2015, vraiment de ride nocturne, et qui a provoqué des morceaux comme Elle ne t’aime plus. J’étais tout le temps dehors, à gauche à droite. Et j’ai un paquet de potes dans cette errance un peu nocturne, un peu parisienne. » Une période dans laquelle il tente de chasser son blues par la fête, dans des moments où le rap, son boulot ou sa vie sentimentale ne sont pas forcément au beau fixe.

Mais les rimes de Freez évoquent aussi un contexte plus large, par exemple quand sur Blues du nord il évoque le sort des migrants en difficulté, qu’il croise près de chez lui, à Stalingrad : « Tu sors de chez toi le matin, t’es confronté à cette réalité qui te rattrape, cette réalité du tiers-monde qui vient frapper à ta porte. Les attentats c’est la même chose, ça te rappelle que c’est un monde en interconnexion ».

La salle du temps

Si ses lyrics sont parsemés d’images sombres, les sonorités de Chilea’s allègent l’ensemble, diffusant une énergie aérienne qui tempère efficacement le spleen ambiant. En bon hip-hop addict, Freez a toujours gardé les oreilles ouvertes, se tenant à l’affût des nouveautés : « Je suis réconcilié avec le rap français depuis 2010-2011, et le retour de mecs qui kickent, des mecs comme L’Entourage. J’ai kiffé leur côté technicien. » Sur le projet, seulement trois featurings, mais pas des moindres : Neha aux chœurs des Minutes vides, et surtout deux old timers prestigieux : Hi-Fi (issu de Time Bomb et proche des X-Men dont il fait partie dans leur première formation) et Jp Manova.

Freez a aussi eu la chance d’avoir la participation d’un beatmaker ayant placé un beat chez un certain Kendrick Lamar : Astronote, autre transfuge orléanais de talent – et appartenant au même crew de son que Chilea’s, The Forty Fivers. Un beatmaker, qui entre autres faits d’armes, a placé un beat sur le Untitled.Unmastered de Kendrick Lamar : un rappeur de référence pour Freez, un des seuls dont il n’arrive « Pas à décoder le logiciel ». Le temps d’un travail improvisé, Astronote a concocté avec Chilea’s un interlude : « Niak à la bouche, ils se parlaient en langage de beatmaker », intraduisible pour le commun des auditeurs. Le résultat est une forme de respiration, un break en plein milieu du EP.

Un peu comme la balance entre le positif et le négatif auxquels se confronte Freez dans ses minutes vides : « Je trouve que dans la façon dont ils ont construit le truc, y a un côté un peu « salle du temps », l’interlude, on aurait pu l’appeler « point de suspension ». Gros, tu vas t’en sortir ou pas ? c’est un peu la question primordiale du projet ». Quand Freez rappe que « fils d’immigré, il a de l’endurance dans l’ADN », on n’est pas obligé de le croire sur parole. Mais ce qui est sûr, c’est que sur les neuf titres des Minutes vides, il démontre qu’il a su faire du temps son allié, pour proposer un rap de qualité.

Crédits photos : Antoine Ott

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