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Flynt, la nouvelle ancienne génération

Flynt, la nouvelle ancienne génération

Focus sur la carrière du rappeur à l’occasion de la sortie de son album « ça va bien se passer ».

Crédits Photos : Antoine Ott.

Le foisonnement médiatique qui entoure chacune des rares sorties de Flynt a tendance à intriguer la plus jeune génération, qui ne comprend pas toujours comment ce rappeur dont elle n’a pas forcément entendu parler auparavant peut trouver une aussi bonne presse auprès de médias généralistes comme Le Parisien, le Nouvel Obs et même le JT de TF1, mais aussi du côté d’une presse rap spécialisée, voire très spécialisée, avec ce même sentiment d’unanimité.

Le rappeur originaire du XVIIIème fait en effet partie de cette catégorie d’artistes qui semblent mettre tout le monde d’accord, et concilier des profils d’auditeurs et de diffuseurs particulièrement variés. Il fait aussi partie de la catégorie des rappeurs dont la notoriété et la popularité sont difficiles à quantifier et même à appréhender un tant soit peu concrètement. Ni tête d’affiche, ni rappeur obscur, il a finalement plutôt bien défini son statut particulier d’incontournable sur Joga Bonito, premier extrait de son nouvel album : « celui qu’il faut connaître si tu prétends t’y connaître ».

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Une mise à jour salutaire

Balancé sur la toile sans véritable teasing, ce titre a provoqué quelques secousses parmi la fan-base du rappeur : orienté trap, avec un bpm ralenti et des mesures espacées, il aurait pu laisser craindre un excès de jeunisme de la part du quarantenaire. Le reste de l’album donne une meilleure perspective à la direction empruntée par Flynt en 2018 : plus qu’une tentative de se raccrocher à des codes modernes, Ca va bien s’passer constitue plutôt une mise à jour salutaire. En s’engouffrant dans les tendances actuelles sans prendre le soin de conserver ses piliers artistiques, Flynt aurait pu se perdre ; inversement, miser uniquement sur ce qui a fait sa réussite jusqu’ici, sans faire l’effort de se renouveler, aurait pu laisser une partie du public derrière, et surtout la sale impression d’un rappeur refusant d’évoluer. Encore une fois, ses intentions sont pourtant très claires, et énoncées dès Joga Bonito : « J’aime la tendance, je suis là depuis sang d’encre » -une façon très explicite de rassurer sur l’absence de conflit entre son statut de vétéran et son oreille d’auditeur toujours dans le coup.

Celui qu’il faut connaître si tu prétends t’y connaître

Avec un album tous les cinq ans en moyenne depuis 2007, et aucun projet annexe, hormis une mixtape rétrospective, Flynt est de ces rappeurs, comme Ali, JP Manova, ou La Rumeur, qui font ont fait le choix d’une discographie qualitative plus que quantitative. La frange la plus impatiente des auditeurs aurait tendance à pester cette absence de productivité, mais si chacun de ses disques a eu un tel impact, c’est bien parce que leur auteur avait pris le temps de maturer artistiquement, de penser ses projets, et que le public avait eu le temps de s’en imprégner. Difficile, en effet, d’être réellement marqué par l’album d’un artiste quand il ne constitue qu’une ligne supplémentaire au milieu d’une discographie « longue comme l’affaire Grégory ».

« J’éclaire ma ville », un classique du rap indé

Plus de dix ans se sont ainsi écoulés depuis J’éclaire ma Ville, son premier album, dont la sortie n’a pas forcément fait grand bruit immédiatement à l’époque, mais qui a acquis au fil du temps le statut de classique du rap français. Jonglant entre réflexions introspectives, récits de galérien des rues parisiennes, et revendication du modèle indépendant, cet album avait fini par trouver un certain écho grâce au titre La Gueule de l’Emploi, qui, comme son titre l’indique, aborde la thématique de la discrimination à l’embauche.

Arrivé en 2007, après une dizaine d’années d’activisme et trois maxis, l’album J’éclaire ma ville marquait à la fois la fin de la première vie du rappeur, et l’adieu de l’homme à sa vingtaine. Faisant la somme de ses expériences de jeunesse, et posant des mots sur les interrogations de tout un chacun à l’approche de la trentaine. Cinq ans plus tard, en 2012, il livrait ce que la presse musicale aime qualifier d’ « album de trentenaire » avec Itinéraire Bis, un disque qui reprenait les thématiques de l’album précédent, avec un soupçon de maturité supplémentaire : « j’ai échangé les délires de la vie parisienne contre des soirées en famille autour d’une chaudière de riz à l’haïtienne ». Jeune papa, fier de ses responsabilités nouvelles, tout semblait aller pour le mieux pour lui, à tel point que l’on a fini par se demander s’il aurait un jour suffisamment de choses à raconter pour écrire un troisième album.

Je mens à ma femme, pas à mon public

La vingtaine conclue avec J’éclaire ma ville, la trentaine résumée dans Itinéraire Bis, arrive alors la quarantaine, ses doutes, ses craintes, et ses remises en question. Main dans la main avec ses démons, le portrait que Flynt dresse de lui-même est celui d’un homme usé par la lassitude : « ces darons qui passent leur vie au bar, aujourd’hui je comprends pourquoi ». La rupture amoureuse n’est plus celle d’un jeunot guidé par des sentiments trop forts pour lui, mais bien celle d’un père de famille qui doit composer avec le bien-être de sa progéniture avant même de penser à ses propres aspirations. Dans ce contexte, l’écriture semble constituer l’échappatoire la plus évidente, Flynt lâchant, innocemment ou non, « je mens à ma femme, pas à mon public », comme une manière de rappeler que tous les défauts qui font de lui un homme imparfait ne font que nourrir son rap.

C’était bien avant et ce sera mieux demain

Entre l’évolution des ressentiments de Flynt d’une part, et d’autre part la mise à jour déjà évoquée plus haut, sur le plan des sonorités, des flows, de la technique, on en vient presque à s’étonner de l’importante place de ce troisième album au sein de la discographie du rappeur. Pourtant, les mêmes fils rouges continuent d’assurer une cohérence à l’ensemble : la personnalité de Flynt, bien sûr, mais aussi sa vie de famille et de couple, dont on a suivi l’évolution à travers ses différents albums, la ville de Paris, le monde du travail, le pendant indépendant de l’industrie du disque, la quête du bonheur et d’une vie meilleure, mais aussi une certaine propension à louer le rap de qualité, et à pester contre la musique médiocre. Sur ce dernier point, la façon dont Flynt se dégage de tout type de passéisme en embrassant les dernières évolutions est réellement salutaire : absolument pas nostalgique, le Parisien semble plus que jamais s’éclater à marier son savoir-faire d’ancien avec les codes actuels et ne tombe à aucun moment dans l’antienne du « rap c’était mieux avant ».

Le Parisien semble plus que jamais s’éclater à marier son savoir-faire d’ancien avec les codes actuels

Reste à savoir si le public adoubera le Flynt nouveau, ou s’il tombera, lui, dans le passéisme en restant accroché à une version de Flynt qui n’existe plus. Le rappeur a laissé place à un quadragénaire fier de ses réussites passées, mais aussi fort des échecs dont il a su se relever. Impossible de prévoir, à l’heure actuelle, combien de temps il faudra patienter pour poser l’oreille sur les prochaines étapes de la vie de Flynt, mais a priori, pas de panique : il a prévu de nous laisser tout notre temps pour apprécier cet album à sa juste valeur. Tout va bien se passer.

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