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Du virtuel au réel, Keakr l’appli rap 3.0 [INTERVIEW]

Du virtuel au réel, Keakr l’appli rap 3.0 [INTERVIEW]

Rencontre avec les personnes qui font Keakr, l’appli qui vient de lancer son EP : « Livreur de prods ».

Dans un rap en constante mutation, difficile de faire sans les réseaux sociaux. Alors que la planète entière a les yeux rivés sur diverses applications, nos lyricistes et autres kickeurs n’échappent pas à la règle en balançant leurs mesures sur toutes les plateformes possibles et imaginables. Justement, c’est bien de KEAKR dont il s’agit aujourd’hui. Une appli pas comme les autres, conçue pour les rappeurs, mais également les beatmakers. Ou comment performer chez soi n’a jamais été aussi simple.

Le concept est limpide, créer des synergies, lier les talents et faire en sorte que nos rookies posent sur les instru de producteurs confirmés. Aujourd’hui, KEAKR ne s’arrête d’ailleurs pas là, proposant à ses adeptes – via un challenge – d’enregistrer un EP en bonne et due forme : Livreur de prods. Un projet désormais disponible sur toutes les plateformes de streaming, première pierre d’un édifice qui s’annonce cossu.

Preuve en est avec notre discussion croisée en compagnie du fondateur de KEAKR, Hicham Kochman également connu sous le blaze d’Axiom, mais aussi les beatmakers Dakta & Rednose, les rappeurs Yeuzz, Yone et Kamal, coordinateur de l’appli. Tout un programme.

Terminer sur un EP, est-ce que c’est pas déjà un aboutissement ? L’idée était présente au lancement de Keakr ?

Hicham : Lancer un projet digital, numérique, lorsqu’on est un rappeur, sur le papier c’est compliqué. Quand j’allais voir les gens au départ, je pouvais être maladroit. Tu te retrouves face à des informaticiens qui sont tous différents, ce n’est pas quelque chose qui était compris au début : t’as des gens qui font un tas de boulots différents. Je viens du peu-ra, donc forcément, l’idée, c’est que si tout ce qu’on fait ne sert pas à faire du live – albums, mixtapes, EP, singles – et des rencontres offline, ça ne sert à rien. Je pense mes projets comme ça, KEAKR c’est du online, mais aussi du offline. On va se développer comme cela car notre culture vient de là, du réel, on n’a pas d’autres choix. J’ai morflé d’un point de vue technique, j’ai dû apprendre plein de choses et j’ai mené des combats pour amener le rap sur une plateforme digitale, dans un monde où tout est normé. Quand t’arrives avec une casquette là-dedans, tu es forcément différent. Pour revenir à la question, on s’autorise tout simplement de rêver, car on veut fonctionner à la fois comme une plateforme, voire un label, pour faire émerger des talents. C’est une zone sur laquelle il va falloir compter.

Take It All et Ladjoint

En tant que rappeur, on s’attend à cela : poser sur une appli et finalement enregistrer en studio en compagnie de Ghost Killer Track ?

Yeuzz : Pas du tout ! A la base, j’avais téléchargé KEAKR juste pour voir et en essayant j’y ai pris goût ! Il y avait plein de prods, des gens qui lançaient des freestyles… En uploadant l’une de mes vidéos, j’ai eu plein de retours. A la base, je ne m’imaginais pas poser en studio avec Ghost Killer Track par exemple et me retrouver dans un EP. C’est une belle surprise au final !

Yone : A la base, c’est un ami qui m’a parlé de ça. J’avais une volonté de découvrir le délire de l’appli. C’est une fois que j’ai vu les gens réagir que j’ai continué. Le concours est arrivé et franchement, lorsque j’ai été sélectionné, je n’y croyais même pas !

Du côté des beatmakers, comment on travaille avec ces rookies d’un nouveau genre ?

Dakta & Rednose : Rookies et pas vraiment rookies en fait, car ce qui compte c’est le talent de la personne. Par exemple on a travaillé de notre côté avec Cheeky Doll, c’est peut-être une rookie en studio, mais seulement en studio, car elle sait kicker. Elle était très douée et tout s’est passé très naturellement. Ca rappelle les one riddim du dancehall où tout le monde pose sur la même instru. Là, pour gagner, tout le monde devait rapper sur la même prod’, ce qui a créé une compétition saine, comme pour les clashs, mais en mode passif (rires). Cela permet de mieux se concentrer sur la personne, et pas seulement sur le combo rappeur + beatmaker.

SOH2ZOO et MOC

Le confinement n’a pas ébranlé vos plans ? Rencontres physiques, voyages de certains rappeurs, clips…

Dakta & Rednose : Non, on a fait du mieux qu’on pouvait, avec un masque souvent (rires).

Kamal : C’est un travail d’équipe, il y a toute une logistique derrière. Pour la mise en place des studios, c’était forcément un peu moins simple, mais du côté du concours digital, rien n’a bougé. Le plus dur, c’était de caler des dates pour les rencontres entre beatmakers, vainqueurs, studios, clippeurs… Tout le monde devait être OK le jour J. On ne voulait pas faire un travail à distance. On aurait pu, mais il fallait mettre la lumière sur tout le monde, des rappeurs aux beatmakers. On l’oublie, mais aujourd’hui des gens comme Noxious, Ghost Killer Track, Dakta & Rednose, sont tous des D.A aujourd’hui, donc on a besoin de leur expertise pour guider les rappeurs. Il y a une patte que l’on retrouve.

Les compilations se font moins nombreuses aujourd’hui, mais il y a encore quelques années, elles étaient ancrées dans la culture rap. Sortir un projet avec plusieurs artistes, c’est une manière pour KEAKR d’opérer un retour aux sources ?

Hicham : Notre culture vient du offline, du réel… Et les rappeurs existaient bien avant le digital ! De mon côté, je posais sur les compilations de DJ Poska par exemple. La compilation, c’est ce qui nous permettait à l’époque de découvrir un maximum de talents en un minimum de temps donné, ça a donné des classiques. Ancienne et nouvelle école, au final, ça ne veut pas dire grand-chose. Rappeur, beatmaker, tant que le talent est là la génération importe peu car le mécanisme est toujours le même. Ce qui nous anime, c’est de faire les choses avec bienveillance, rester dans la fraternité, la sororité. Cette bienveillance, c’est le socle du rap au final, malgré tous les préjugés, le game c’est aussi des histoires d’amitié et des rencontres de personnes qui viennent d’horizons totalement différents. Compiler des nouveaux talents, c’est aussi échapper à l’élitisme qu’on nous impose dans la société. On veut montrer l’exemple, sans conflit entre le digital, le réel, les générations. Tous les moyens sont bons pour faire de la musique, chacun a son bagage. Régulièrement, on prend les avis, les conseils. Au sein même de KEAKR on a des réunions entre utilisateurs ou personnes issues de la communauté pour nous conseiller au mieux. Donc on est enracinés dans notre culture. Aujourd’hui, notre projet intéresse fortement les Américains et les Asiatiques, ce n’est pas pour rien. Nos communautés doivent se lancer dans le digital aussi, l’incarner. Pour durer dans la musique, ou ailleurs, il faut de la bienveillance et un réel accompagnement. En toute humilité, tous les moyens nécessaires sont bons pour la cause, comme dirait Malcolm X. Le digital aujourd’hui est juste une manière plus rapide de le faire pour nous.

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Cheeky Doll, Dakta & Rednose

Chez les compositeurs, comment on a fait pour sélectionner un gagnant au milieu de tous les participants ?

Dakta & Rednose : Sur le coup, on a vraiment misé sur l’originalité. En fait, notre problème, c’est qu’ils étaient tous bons ! C’est le pire des problèmes, car si les participants sont moins bons, tu passes au suivant et tout va plus vite… Là, il a fallu prendre notre temps. Au final, Cheeky Doll est celle qui sortait le plus du lot, la plus différente. Nous, on est très dans l’original, donc ça nous correspondait. Cela a été un coup de coeur, on ne s’attendait pas à une jeune femme prête à tuer ça. On fait des classements chacun de notre côté et au final, on avait les mêmes !

Tous les morceaux sont tout de même très différents… C’était une volonté d’avoir un panel aussi large ? Est-ce que les rappeurs ont échangé entre eux ?

Yeuzz : Franchement, je n’ai parlé à personne, j’étais concenté à faire mon truc dans mon coin. J’ai écouté la prod’, j’ai écrit… Je ne me suis jamais dit que j’allais faire un truc spécifique, l’instru m’a parlé tout de suite et j’ai commencé à rapper. Je voulais démontrer ma palette, j’ai fait un refrain chanté et j’ai kické sur les couplets… L’appli s’appelle KEAKR, donc il fallait quand même du kick (rires) !

Hicham : Personnellement, ça me rappelle l’époque où on freestylait sur les corners. Une instru, un beatbox, ce que tu veux et c’était parti. Nous, même sur l’instrumentale d’un Aznavour, t’es là pour kicker. Que ce soit tendance house, cloud, trap… le projet Livreur de prod représente bien le paysage actuel. Chez KEAKR, le beatmaker est une star autant que le rappeur. On trouve qu’on ne parle pas assez d’eux. Il faut les aider dans la structuration de ce métier, au point de vue juridique et dans le suivi d’une carrière. Avec KEAKR, on va dans ce sens-là. Dans le game, il faut aller dans le sens du combat de Nipsey Hussle, comment s’organiser pour mieux vendre notre musique. Comment adapter certains modèles au rap ? Pourquoi pas en avoir un propre au rap ? Dans notre culture, il y a une émergence de talents qui est dingue… C’est du jamais vu et tout autour du globe. C’est simple, il faut créer des choses durables pour notre musique. Et quand je dis « durables », je pense aux liens. Notre culture est en train de polliniser tout le reste.

Pour résumer, vous vous classez tous comme de véritables accompagnateurs ?

Hicham : On se place même comme des défenseurs car on veut faire avancer les choses. On défend une culture, le rap, et une manière de faire qui comprend évidemment les beatmakers. On a soulevé énormément de questions via KEAKR, notamment en faisant appel à des avocats au sujet des contrats, on voyait ce qu’il se passe aux Etats-Unis, etc. Il faut que les jeunes artistes soient représentés, tout comme les beatmakers.

Dakta et Rednose : Il arrive un moment où il faut faire comprendre aux jeunes artistes qu’il s’agit d’un métier. Le rap, c’est une passion, ça le reste, mais c’est aussi un taf. La seule différence, c’est que certains rookies ne gagnent pas encore leur vie grâce au rap. Mais la manière de faire les choses reste la même, on prend du plaisir à travailler de la même façon avec tout le monde. Bosser, ça nous fait toujours plaisir, c’est un kiff de voir quelqu’un découper une prod ! Là, en plus, on se retrouve avec des artistes comme Cheeky Doll, Yeuzz, Yone et autres qui sont à l’écoute et qui savent bosser.

Pour terminer, comment on passe d’un jeune rappeur de freestyles sur une appli à un enregistrement en studio avec une grosse équipe ?

Yone : Franchement, j’avais une petite pression (rires) ! On fait face à des personnes qui sont plus hautes que nous, il faut donc prouver. On n’a pas le droit à l’erreur face à des gens qui sont dans le métier depuis longtemps. J’ai mes facilités, mais je voulais me laisser guider aussi, écouter les conseils. On peut dire qu’on a bien marié les univers… Je suis satisfait !

Yeuzz : Carrément satisfait aussi ! J’étais comme un bon élève, avec un texte bien appris pour ne pas avoir à refaire plein de prises. J’ai kické chez moi, je ne voulais pas bugger. Et une fois arrivé en studio, j’ai eu plein de bons conseils, personne ne m’a laissé sur le côté.

Cobz et Tommy

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