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DOSSIER : Vivre du Rap en France, est-ce vraiment possible ?

DOSSIER : Vivre du Rap en France, est-ce vraiment possible ?

Percer dans le rap, ce n’est déjà pas évident. Mais vivre de cette musique sur le long terme s’avère encore plus complexe. Booska-P est parti recueillir les témoignages de plusieurs rappeurs français illustrant ces difficultés. Analyse.

Le Rap est l’une des musiques les plus vendues en France, comme en témoigne le Top Album que nous publions chaque semaine sur notre site. A l’échelle mondiale, l’Hexagone est souvent considéré comme le deuxième marché du Hip Hop, à tort ou à raison, derrière les Etats-Unis. Et pourtant, rares sont les rappeurs à gagner très correctement leur vie avec cette musique. Rohff et Booba pour ne citer qu’eux, sont parvenus à enchaîner les succès commerciaux pendant plus de 15 ans. Solaar aurait pu être classé dans cette catégorie exceptionnelle mais il n’a plus sorti d’opus depuis l’année 2007. Quant à Akhenaton et Shurik’n, ils n’ont certainement jamais eu besoin de travailler à côté de leur activité musicale depuis qu’IAM a conquis le grand public au début des années 90. A l’heure actuelle, des artistes comme Lacrim, Niro ou Kaaris vivent très probablement de leur musique. Mais cela sera-t-il encore le cas dans 3 ou 4 ans ? On leur souhaite, mais rien ne leur garantit.

Ce n’est pas avec des fiches de paie de rappeur que tu vas pouvoir louer un appartement

En revanche, beaucoup plus nombreux sont les rappeurs à avoir vécu de leur art pendant quelques années. C’est par exemple le cas de Dany Boss, ancien membre du groupe Serum et du collectif IV my people. « A l’époque de IV my people, je ne vivais que de la musique, nous confie-t-il. Quand le Rap marchait très bien, il me permettait de subvenir à tous mes besoins. » Lorsque Kool Shen a décidé de dissoudre IV my people, Dany Boss est devenu surveillant dans un collège, poste qu’il a occupé durant 3 ans. Aujourd’hui, il est éducateur spécialisé dans le Val d’Oise (95). « Rappeur en France, ce n’est pas un vrai métier, poursuit l’ancien acolyte d’Alcide H au sein du groupe Serum. Ce n’est pas avec des fiches de paie de rappeur que tu vas pouvoir louer un appartement. Je suis au contact d’enfants toute la journée avec mon boulot. Certains veulent devenir rappeur et on ne peut pas leur interdire de rêver. Néanmoins, j’essaie de leur faire comprendre qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, un peu comme dans le milieu du football. »

Je vis du Rap, et pourtant, je n’ai sorti aucun album

La comparaison avec le ballon rond est pertinente, même si le nombre de footballeurs professionnels, en France, est estimé à 1650 si l’on inclut les 450 joueurs français évoluant à l’étranger. En matière de Rap, nous sommes à des années lumières de tels chiffres. Même des artistes ayant remporté une Victoire de la Musique sont loin de rouler sur l’or. « Ça donne l’illusion de pouvoir manger quand tu veux. […] S’il nous faut vraiment de l’argent et que ça nous rapporte pas assez d’argent, on ira travailler », expliquait Alpha Wann du groupe 1995 au site Rue89, en 2012. « J’espère pouvoir en vivre mais dans le rap, il faut savoir que c’est rare », soulignait pour sa part Areno. Si c’est rare, c’est tout de même que ça existe. C’est d’ailleurs parfois le cas d’artistes évoluant dans le milieu du Rap indépendant, comme Nasme. « Moi, aujourd’hui, je vis du Rap. Je suis intermittent. J’ai ouvert une société, j’ai une maison d’édition, j’ai une marque de vêtements. J’ai une boutique, j’organise des concerts dans toute la France et pourtant, je n’ai fait aucun album. Et je vois des mecs qui ont fait trois albums, c’est des stars, et ils n’ont jamais fait autant d’argent que moi dans le Rap. Pourquoi ? Parce qu’à un moment, tout bêtement, ils ont voulu aller signer, vendre leur musique à des producteurs, et à la fin ils touchent 10 % », analyse le MC originaire du XVIIIe arrondissement de Paris lors d’un entretien donné au site Reaphit.

J’ai commencé la musique en 89 et n’ai perçu mon premier chèque qu’en 98…

Avant de décrocher un premier cachet grâce au Rap, la route s’annonce parfois très sinueuse. Par exemple, Manu Key a dû attendre près de 10 ans avant de pouvoir encaisser son véritable premier chèque. « J’ai commencé la musique en 1989 et n’ai perçu mon premier chèque qu’en 1998, lorsque j’ai sorti mon premier album. Il était d’un montant de 18 000 francs (environ 2700 euros, Ndlr). Ma mère me disait souvent : « Ta musique ne rapporte pas d’argent » », se remémore le old-timer de la Mafia k’1 Fry, réalisateur des Princes de La Ville du 113, La Vie Avant la Mort de Rohff, etc. Aujourd’hui, Manu Key ne se consacre plus exclusivement à la musique. Depuis 2009, il est l’entraîneur d’un club de basket dans le Val-de-Marne (94), l’AS Orly. « Ce métier me permet de me payer les choses essentielles du quotidien : les courses, l’essence… Les revenus liés à la musique sont désormais beaucoup plus aléatoires. Pendant 6 mois, je peux ne rien gagner… », reconnaît l’ancien membre du groupe Different Teep.

Revenus trop aléatoires…

Le cas de Nakk ressemble à celui de Manu Key. Une partie des revenus du MC originaire de Bobigny (93) provient de la musique. Mais ce dernier refuse de se consacrer uniquement au Rap. « J’ai un travail à côté, indique-t-il. Je suis un père de famille, je ne peux pas me contenter de faire seulement du rap, même si je pourrais. Mais je n’ai pas envie. Les revenus sont trop aléatoires avec la musique. Par contre, les factures ne changent pas ou alors, elles augmentent. Rares sont les rappeurs à reconnaître qu’ils ont un autre métier. Si tu dis : « Je suis menuisier », ça enlève du rêve (rires). Dans mon travail, je finis tôt, ça me laisse beaucoup de temps pour le Rap. Mes employeurs sont conciliants. » Certains rappeurs français évoluent dans l’underground depuis près de 20 ans, finançant leurs projets grâce à leur emploi. Reeno, le producteur des compilations Hors Sérim ne s’en cache pas : il n’a jamais gagné sa vie avec le Rap. « Dans ma vie, j’ai exercé plein de petits boulots : ambulancier, monteur de meubles, cuisinier, loueur de voitures… A aucun moment, je n’ai pensé que j’allais gagner ma vie avec la musique », assure l’ancien membre du groupe Ul’Team Atom. Les millionnaires dans le rap français, ça se compte sur les doigts d’une main. Par contre, être un smicard du rap, c’est tout à fait réalisable de nos jours, avec les concerts, le merchandising, etc. Je connais plusieurs rappeurs qui ont honte de dire que ce n’est pas leur véritable métier. Il savent que les meufs ne les calculeront plus si elles l’apprennent », ironise l’Ulissien. Vous l’aurez compris : si vous souhaitez devenir « rappeur professionnel », il ne vous est pas interdit de rêver. Toutefois, avoir un plan B en cas d’échec ou de carrière sur le déclin s’avère primordial…

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