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DJ Weedim : entretien avec un artisan du son [PORTRAIT]

DJ Weedim : entretien avec un artisan du son [PORTRAIT]

Conviés au studio French Bakery Breadren, nous avons rencontré DJ Weedim dans le laboratoire de confection de ses spécialités…

Avec la sortie d’un deuxième volume de Boulangerie française, il vient de livrer une collection de morceaux qui devrait réjouir plus d’un gourmet. D’Alkpote à Sidi Sid et Biffty, en passant par Roméo Elvis, 13Block ou A2H, l’ensemble est plus que consistant. Le bon moment pour revenir sur son parcours de producteur.À 36 ans, DJ Weedim a déjà un beau parcours derrière lui et, d’une interview à l’autre, le fait est corroboré : il est bien embarrassé quand on lui demande combien de beats il a produit. Stakhanoviste du son, il estime sa productivité à trois prods par jour, en moyenne. Mais avant de devenir un des producteurs qui comptent dans ce rap jeu, Weedim a mené un long parcours. Flashback.

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Il passe l’essentiel de sa jeunesse près de Nice, où, dans le tumulte de l’adolescence, il fait quelques conneries, arrêtant notamment l’école à 15 ans. Goûtant au hip-hop par l’intermédiaire de la culture skate et de ses vidéos où il découvre l’énergie rap, il est alors traumatisé par le Bacdafucup de Onyx, Run DMC, Da Youngstas ou encore Cypress Hill : « C’était un grand au skatepark qui m’avait filé des cassettes ». Définitivement mis dans le bain par la légendaire compilation Rapattitude, il va commencer à tâter des platines, officiant avec un premier groupe de rap. Après avoir mis de côté l’idée d’une carrière professionnelle dans le skate-board, il va continuer son chemin dans le mix. Il rencontre Selecta Bus’ high, skateur également, et par ailleurs selecta, mixant du reggae dancehall. Celui-ci le convie à mixer dans une boîte cannoise, l’occasion de trouver son blaze Weedim. Ils montent ensemble un sound system, entre ragga et hip-hop, avec des sessions de jungle.

Les gars, Mobb Deep c’est dead, maintenant c’est Lil Jon

Quelques années plus tard, en 2003, il tente l’aventure parisienne, conscient qu’il serait plus facile pour lui d’y développer son projet. De fil en aiguille, il se fait une place dans les soirées parisiennes, notamment avec une résidence au Gibus : « Grosse salle, 1.000 personnes le vendredi et le samedi, que des gens de la banlieue. Des cainris, ils rentraient dans le club, ils disaient « C’est plus l’Amérique que chez nous », je me rappelle… Et c’est vrai que c’était vraiment sauvage ». A l’époque, il sent un virage musical s’amorcer dans la musique rap : « Quand j’ai vu le crunk arriver, j’ai fait « non les gars, Mobb Deep c’est dead, maintenant c’est Lil Jon ». J’ai fait « c’est ça le futur », et on faisait des soirées où on précisait qu’on jouait du dirty south. Depuis, y’en a beaucoup qui ont retourné leurs vestes, c’est marrant ».

Comme JoeyStarr

Si le « name dropping » en guise de titre est devenu monnaie courante dans le rap actuel, il est plus rare de voir un beatmaker en être l’initiateur. Ainsi, sur sa tape intitulée Petits meurtres entre amis, il sert une première mouture de Joey Starr, sur laquelle officient Sidi Sid (Butter Bullets) et Aketo (Sniper) ; avant une version remix rappée par Seth Gueko un an plus tard, et qui sera clippée avec la participation de Joey himself. Un titre qui ne doit rien au hasard : au-delà d’une référence indéboulonnable, le Jaguar Gorgon a joué un rôle clé dans la carrière du niçois. Découvrant les tapes que Weedim réalisait dans la sphère dancehall, remplies de remixs crunk d’artistes jamaïcains, Joey kiffe son travail et va lui mettre le pied à l’étrier côté production.

Il lui propose notamment de faire un mix medley pour le best-of vidéo d’NTM sorti en 2008. Weedim produit également des beats pour un volume de B.O.S.S. qui ne sortira pas, et certains sons seront réutilisés sur la tape Armaggedon que sort Joey Starr en 2011, en collaboration avec Cut Killer et DJ Kim Fu. Comme dans ses soirées, Weedim développe un penchant prononcé pour les sons south side dans ses prods. Avec Keurvil, gros digger de sons, ils se sont associés pour produire une flopée de mixtapes balancées sur le net ; comme sur ce genre de tape que l’on peut encore trouver sur Dat Piff. et d’autres également en compagnie de son associé Bus’high.

Devenu producteur, il enchaîne ensuite des EPs avec de nombreux emcees : B.e. LaBeu ; KSA, Infinit’, Daddy Jokno… Sur la tournée de Seth Gueko, il va rencontrer Vald, puis, dans son sillage, Biffty et son Patapouf Gang, avec qui un fort rapprochement s’est opéré, notamment lors de lives sous l’emprise de la méga souye. Contribuant à une bonne partie d’Agartha, c’est pendant son enregistrement qu’il a un de ses plus gros souvenirs en studio. Ainsi, durant la réalisation de Petite chatte, ils s’étaient un peu « explosés la gueule » à base de vodka. Mais qu’on ne lui parle pas de « troll » pour qualifier les rappeurs exubérants dont il est proche, comme dans un reportage de Tracks sur Arte qui croyait déceler une nouvelle catégorie de rap : « On était outrés de la façon dont ils avaient parlé de nous, je trouvais qu’ils étaient complètement à côté de la plaque. On a jamais été là à se dire : « on va préparer quelque chose, y a un double sens, un machin ». C’est nous gros, on est vraiment comme ça. »

Un producteur complet

Ouvert sur différents styles, le concept de Boulangerie a été inspiré par la vibe du cookin’ chère à Zaytoven, et d’autres producteurs sudistes. Avec son associé Keurvil, ils ont baptisé leur label French Bakery Breadren, breadren signifiant brother en jamaicain, en VF, Les frères de la boulangerie.

Plus qu’un simple beatmaker, DJ Weedim réalise un vrai travail de direction artistique avec les rappeurs. Seul point commun des artistes, au-delà de leurs personnages bien marqués, une énergie bien faite pour s’exprimer encore davantage sur scène, pour l’entertainment. C’est par exemple le cas de Vald, d’Alkpote, et encore plus de Bifty et son Patapouf Gang. DJ Weedim est un maker. Pas du genre passionné par la gamberge : « Les rétroviseurs, je les ai carrément pétés », répond-il en se marrant. Loin de se regarder le nombril, il vit son travail intensément.

J’avais pas envie d’être juste un beatmaker dans l’ombre

Une grosse partie du projet a été produite en collaboration avec Chapo, au sujet duquel il ne tarit pas d’éloges : « Très sincèrement, mon gars Chapo, qui bosse avec son gars French de son côté, ils ont un crew qui s’appelle Narcos, et pour moi c’est le top du top. Cette année ils ont produit des sons, tout le monde est passé à côté en France. Ils ont fait des sons pour Young Thug, pour Drake, et « Live up to my name », le hit de Baka, qu’est affilié à Drake ». Des noms prestigieux auxquels on peut ajouter ceux de Migos ou encore Chief Keef. Peu friand de l’envoi de packs de son, DJ Weedim contribue avec sa Boulangerie française à remettre au goût du jour les compilations de beatmakers. Sûr de la qualité de son savoir-faire, il assume clairement son rôle de chef d’orchestre : « J’avais pas envie d’être juste un beatmaker dans l’ombre. C’est pas histoire de vouloir briller, c’est juste que le travail il mérite plus que ça. Tous les beatmakers on est encore derrière, c’est juste l’envie que ça aille plus loin. »

« Pas de projet rap en vue »

Quand on l’interroge sur les prods dont il est le plus fier, Weedim assure que ses beats préférés sont encore dans son ordi. Il s’essaie parfois au rap, comme dans le refrain de Comment ça ?, ouvert par un petit sample de Three 6 Mafia. Un refrain explicite dans une vibe south side, inspiré de rappeurs comme Juicy J ou Beatking. Cela dit, pas de projet de rap en vue, il intervient au micro seulement comme ambianceur. Sur ce deuxième volume sorti du four, la Boulangerie a convié quelques habitués, tels Alkpote, A2H ou mais aussi quelques nouvelles recrues, comme Roméo Elvis ou encore Nusky. Avec un processus de fabrication plein de simplicité, basé sur l’emploi du temps régulier de DJ Weedim. De longues semaines de travail dans son studio « En général je fais des beats la journée, et comme les rappeurs ils se lèvent tard toujours, ils arrivent le soir et je leur fais écouter les trucs du moment. » La palette de saveurs proposées par ce deuxième volume de la Boulangerie française saura ravir certainement tous les goûts, pour peu qu’on n’ait pas peur de sortir de sa zone de confort.

Crédits photos : Antoine Ott

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