Dossiers

D’Angelo, le phoenix de la soul music ! [DOSSIER]

D’Angelo, le phoenix de la soul music ! [DOSSIER]

Après 15 ans d’absence discographique, D’Angelo sera en concert lundi prochain dans la capitale pour défendre Black Messiah, son tant attendu dernier album. L’occasion de revenir sur la résurrection de l’artiste le plus doué de sa génération…

DES DÉBUTS FRACASSANTS

Quand Michael Eugene Archer sort Voodoo le 25 janvier 2000, personne n’imagine à quel point ce disque va marquer l’histoire de la musique noire. Classique parmi les classiques, il vaudra à son auteur d’être adoubé du surnom de « Jésus du RnB ». Un exploit d’autant plus impressionnant que son premier album, Brown Sugar, avait déjà été lui aussi extrêmement bien reçu. Le single éponyme lancera d’ailleurs la vague neo soul, cette génération de musiciens profondément influencés par les grandes heures de la Stax et de la Motown (Erykah Badu, Maxwell, Lauryn Hill, Bilal, Jill Scott…) et dont il est la figure de proue.

Pour vous donner une idée de l’impact des 13 chansons proposées, il y a quelques jours plusieurs stars de la scène actuelle (et non des moindres, de Beyoncé à Janelle Monae) ont chacune écrit quelques mots sur le site US Saint Heron pour célébrer le quinzième anniversaire de ce chef d’œuvre. « Voodoo c’est l’église où nous venons célébrer la religion soul » résume ainsi Solange.

D’Angelo marque son époque en proposant un son unique, dense et intemporel. Chaque piste réussit l’exploit de proposer un rythme qui lui est propre tout en s’incorporant parfaitement à l’ensemble. Le disque se veut un condensé de gospel, de funk et de rhythm and blues, le tout sur fond de falsetto, son timbre de voix inimitable qui le distingue instantanément de tous les autres chanteurs RnB mièvres et sans saveurs qui trustent les hauteurs des charts.

Le monde assiste à la naissance d’un nouveau Stevie Wonder, un multi-instrumentaliste de talent qui écrit, compose et arrange lui-même ses chansons.

Ce deuxième album n’a cependant pas été conçu sans peine. Plus de trois ans d’enregistrements studio ont été nécessaires, ponctués par d’interminables jams dont certains pouvaient durer jusqu’à cinq heures ! La quasi-intégralité des morceaux ont été improvisés. Il faut dire que D’Angelo a su s’entourer de musiciens d’exception pour mener à bien son projet : Questlove le batteur des Roots, le claviériste James Poyser ou encore le génial trompettiste Roy Hargrove.

15 ANS APRÈS PERSONNE N’A FAIT MIEUX

Pourtant le succès commercial du disque (2 millions de copiés écoulées), ne sera pas uniquement le fruit à sa qualité musicale. Avec le clip du deuxième single, Untitled (How Does It Feel?), il accède au statut de sex-symbol. Si initialement l’idée était de reprendre les codes du RnB moderne pour mieux s’en moquer (dur de voir dans ce clip autre chose qu’une ode à la fellation), le grand public s’arrêtera au fait de voir l’artiste filmé huilé, nu et en sueur 4 minutes 20 durant.

Du jour au lendemain, le prodige de la soul devient subitement « le mec à poil ».

Désormais sur scène il doit composer avec un parterre de groupies en chaleur qui assistent à ses shows simplement pour le voir se dévêtir. Certaines n’hésitant d’ailleurs pas à forcer la sécurité pour grimper sur scène, d’autres lui jettent carrément des billets.

Un comble pour D’Angelo qui quelques mois auparavant seulement ressemblait encore à un post-ado un peu replet toujours fourré derrière son piano. Avant de s’adjoindre les services d’un préparateur physique quatre mois auparavant et de s’adonner à un entrainement intensif, il n’avait jamais eu ce corps d’Apollon.

Déconcerté par cet engouement soudain, il voit sa musique passer au second plan. Un drame pour celui qui a voué sa vie à son art. Dans une période où télé-réalité et réseaux sociaux règnent en maitre, dur de s’imaginer que certains ne vivent pas pour la célébrité.

Ce décalage avec son image publique l’angoisse, même si paradoxalement il n’est pas rare qu’il retarde le début d’un concert pour enchaîner des séries d’abdos afin de ne pas « décevoir » ses fans.

La tournée Voodoo, si elle remporte un triomphe, est à ce titre éprouvante pour le chanteur. En privé il n’hésite pas à exprimer ouvertement « être pressé d’en avoir fini pour aller vivre dans les bois, picoler, se faire pousser la barbe et devenir gros ». Une déclaration prémonitoire.

Alors que l’industrie du disque et les médias pensent tenir la prochaine superstar de la musique mondiale, le nouveau Prince, ce succès le met face à ses démons internes. Commence alors une longue période de déchéance. Au menu drogue, alcool et dépression.

UNE CHUTE VERTIGINEUSE

C’est peu dire que D’Angelo a touché le fond tant ses frasques morbides ont alimenté la rubrique faits divers.

En 2004 il est arrêté pour conduite en état d’ivresse, possession de marijuana, port d’arme et possession de cocaïne. Pour sa première apparition publique depuis des années il apparait méconnaissable : grossi de plusieurs dizaines de kilos, l’œil vide et l’air hagard du toxico à la dérive qu’il est devenu. Moins de huit mois après il manque de se tuer lors d’un accident de voiture au volant de son Hummer. En percutant une barrière il se brise la moitié des côtes. Les analyses monteront qu’il était complétement défoncé à la coke et à l’alcool au moment des faits.

Ses proches le quittent un à un (sa copine, la mère de ses deux enfants, son avocat, les membres de sa famille). Il entame alors sa troisième cure de désintoxication, mais en en mars 2010 rebelote. Il est arrêté à New York par une officiée en civile grimée en prostituée. Le chanteur avait tenté d’obtenir une fellation à 40$... Dur pour un type qui il y a quelques années à peine, faisait ovuler la gent féminine en quelques notes à peine.

Mais comment peut-on tomber si bas ?

D’Angelo fait partie de cette grande tradition de musiciens américains élevés dans la chrétienté (Al Green, Marvin Gaye…). Fils de pasteur (il donnait à l’âge de 5 ans ses premiers concerts dans l’église où officiait son père), il a baigné dans un environnement rigoriste où la musique occupait une place primordiale à condition de rester cantonnée à l’usage religieux. Sa carrière avançant, le sentiment de vendre son âme au diable le tourmente de plus en plus.

S’ajoute également la pression qui pèse sur lui en tant que modèle pour une communauté. Ne s’étant jamais vraiment considéré comme une star, il supporte mal son statut d’icône noir et les responsabilités qui vont avec. D’autant plus que la gloire n’a pas été tendre pour certains. Donny Hathaway, Jimi Hendrix, Notorious BIG… nombreux sont les artistes noirs fauchés en plein vol. Une perspective qui hante D’Angelo, pétrifié à l’idée de partir avant d’avoir achevé son œuvre.

LA LENTE RÉSURECTION

Paradoxalement, c’est le décès en 2006 à 32 ans de son ami et producteur de génie J-Dilla (Slum Village, Pharcyde, De La Soul, Busta Rhymes, A Tribe Called Quest…) qui provoque l’électrochoc dont il avait besoin pour survivre. Mieux il reprend doucement le chemin des studios et se met à pratiquer la guitare à raison de six heures par jour. Si D’Angelo vit toujours en marge des médias, il commercialise néanmoins un premier single en 2008, le très bon I Found My Smile Again.

À partir de ce moment-là, on trouve toujours quelqu’un pour annoncer qu’un troisième opus est finalisé à 99% et que « cette fois c’est sûr il va arriver dans les bacs dans les semaines qui suivent ». Il faudra tout de même attendre encore une demi-douzaine d’années.

La faute à un D’Angelo qui perfectionniste au possible ne se laisse dicter par personne son calendrier ou sa direction artistique – il refuse systématiquement de faire écouter ses démos à sa maison de disque.

2012 marque un nouveau tournant puisque non seulement D se confie sur ses déboires dans un papier très réussi pour GQ mais surtout, après 10 ans d’absence, il revient sur une scène pour une mini-tournée européenne. Le public est au rendez-vous et n’est pas déçu par ce retour en forme.

Et puis 15 décembre dernier, sort sans aucune promotion préalable Black Messiah, mettant ainsi un terme à 14 ans, 10 mois et 21 jours d’attente. Dans le jargon de l’industrie musicale on appelle cela « pulled a Beyoncé », quand le non-marketing s’érige en stratégie marketing en tant que telle. Deux mois après sa sortie aucun clip n’a encore été tourné.

BLACK MESSIAH, LE DETOX DE LA MUSIQUE SOUL

Au-delà des considérations mercantiles, D’Angelo a surtout souhaité inscrire dans un moment de l’histoire américaine. Après le décès de Trayvon Martin, Michael Brown, un autre adolescent afro-américain, est abattu dans des circonstances troubles. Le policier auteur des coups de feu est pourtant acquitté, réveillant les tensions raciales que la présidence d’Obama n’a pas su faire oublier.

Profondément touché par ce fait divers D’Angelo, médusé, souhaitait faire écho au soulèvement de Ferguson (que d’autres appellent émeutes, afin d’en dénigrer toute dimension contestataire et politique).

« Black Messiah parle des gens qui se soulèvent à Ferguson, en Égypte, d’Occupy Wall Street, partout où une communauté en a assez et décide de faire changer les choses » peut-on lire sur le livret du disque.

L’histoire de la soul est marquée par ces classiques qui ont su faire écho à un contexte particulier. What’s Going On de Marvin Gaye qui prenait comme toile de fond la guerre du Vietnam, There’s A Riot Goin’ On de Sly And The Family Stone abordait la question du mouvement des droits civiques, tout comme James Brown et son Say It Loud – I’m Black and I’m Proud.

Avec ce troisième album, D’Angelo s’inscrit dans les pas de ses glorieux prédécesseurs. Et comme eux il privilégie un traitement allusif de l’actualité. D’une part parce que sa musique y gagne en légèreté, et de l’autre parce qu’elle y gagne en longévité.

Le problème de l’engagement dans la chanson c’est qu’il a très souvent tendance à plomber la mélodie et présenter un discours vite lourdingue (« le racisme c’est pas bien, la pluie ça mouille »).

Black Messiah donne dans la subtilité, il faut aller au-delà de la première écoute pour comprendre l’ADN du disque. Comme ses prédécesseurs ce disque est tellement dense et profond qu’il nécessite du temps avant d’être apprécie à sa juste valeur.

Bien sûr il est extrêmement tentant de crier au chef d’œuvre comme l’ont fait beaucoup de critiques, mais ce serait aller un vite en besogne. Une chose est sûre néanmoins : Black Messiah propose un son unique mélange d’émanations retro, d’énergie live et d’influences rock.

Malgré 15 ans de hiatus, sa discographie donne réellement l’impression de former une trilogie, un dictionnaire de la musique noire où chaque disque correspond à une sensibilité (plutôt hip hop pour Brown Sugar, plutôt soul pour Voodoo, plutôt rhythm & blues pour Black Messiah).

Celui qui a failli finir en Elvis du RnB opère donc un retour gagnant qui annonce une seconde partie de carrière des plus prometteuses.

Oh et si vous ne saviez toujours pas quoi jouer dans votre playlist Saint Valentin ne cherchez pas plus loin. Commencez par écouter Really Love, le morceau qui tourne ci-dessous, pour vous mettre dans l’ambiance. Et pour les autres rendez-vous lundi soir pour son concert parisien au Palais des Congrès.

Aurélien, fanatique de la première heure

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT