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Ce jour où… Rick Ross a porté plainte contre Rick Ross

Ce jour où… Rick Ross a porté plainte contre Rick Ross

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où l’un des plus grands dealeurs des années 80 s’est fait voler son nom par un rappeur anciennement maton…

À la tête d’une plaque tournante basée à Los Angeles faisant transiter crack et cocaïne par centaines de kilos dans tous les États-Unis, Rick Donnell Ross générait jusqu’à 2 millions de dollars par jour au sommet de son activité.

Directement connecté à la filière nicaraguayenne, entre 1982 et 1989, il aurait d’après la justice fédérale américaine réalisé un chiffre d’affaires correspondant à 2,5 milliards de dollars actuels, le tout pour un bénéfice net estimé à 850 millions.

Bien que l’aventure se soit (évidemment) terminée en fiasco complet quelques années plus tard, difficile de ne pas éprouver une sorte de fascination pour le parcours de celui que l’on surnomma Freeway Rick pour avoir acheté un hôtel en bordure d’autoroute baptisé le Freeway Motor Inn, spécialement pour y donner ses rendez-vous business.

C’est en tout cas ce qu’a dû penser William Leonard Roberts II lorsqu’à l’orée des années 2000, il décida de changer de pseudonyme de rappeur pour se faire appeler, non plus Teflon Da Don, mais Rick Ross.

Reste que contrairement à l’auteur des tubesques B.M.F., Stay Schemin’ et autres Money Dance qui fantasme sur disque les millions du narcotrafic, son ainé a non seulement vécu cette vie-là, mais il l’a vécu au-delà de toutes limites.

« Et si… »

Né en 1960 dans le Texas avant de déménager en bas âge à South Central, Los Angeles, Rick Ross subit dès le départ son environnement. Outre le fait de grandir dans une maison infestée par les cafards et les rats (ce qui expliquera en partie selon lui pourquoi plus tard, il investira autant dans les biens immobiliers), il assiste à l’âge de trois ans au meurtre de son oncle George par sa mère Annie Mae.

Si cette dernière évite une longue peine en plaidant la légitime défense, elle n’empêche ensuite pas son fils ni de fréquenter les mauvaises personnes à l’adolescence, ni de sécher les cours à répétition.

Heureusement pour ce dernier, tandis qu’il s’apprêtait à rejoindre les gangs des Crips, le jeune Ricky s’investit dans une passion qui le préserve pour un temps des vicissitudes de la rue : le tennis. Plutôt très doué raquette en main, il se prend à rêver d’une bourse universitaire et qui sait d’une carrière pro.

Problème, lorsque son coach finit par découvrir qu’il ne sait ni lire, ni écrire ses belles ambitions passent à la trappe.

« Life of a drug dealer »

Désormais âgé de 19 ans, Rick Ross se retrouve définitivement éjecté du système scolaire. Et qui plus est sans un sou en poche.

Enchaînant les petits boulots, de fil en aiguille, il finit par rencontrer fin 1979 Henry Corrales, un ancien professeur de lycée d’origine nicaraguayenne qui lui propose de s’associer avec lui pour distribuer de la cocaïne bon marché.

Ross fait alors appel à l’un des potes, un certain Ollie ‘Big Loc’ Newell. Les deux hommes jouent de leurs connexions avec les Crips pour profiter pleinement de l’explosion du marché de la cocaïne transformée (crack et freebase) dans les ghettos.

Résultat, ce qui comme le déclarera plus tard Ross avait débuté « comme un jeu, comme une partie de tennis » se transforme en véritable petite entreprise, les deux lascars commençant à ouvrir leurs propres cuisines à crack dans les quartiers de Compton et South Central.

Dépassé par la tournure que prennent les évènements, Corrales quitte le business non sans avoir présenté son beau-frère Oscar Danilo Blandón à Ross.

[Pour l’anecdote il leur a fait payer à chacun sans qu’ils ne le sachent 60 000$ pour qu’ils se rencontrent.]

Au bon endroit au bon moment

Loin d’être un intermédiaire lambda, Blandón officie en réalité directement pour les Contras, un mouvement anticommuniste en sédition avec le pouvoir en place au Nicaragua et qui pour financer sa lutte armée donne dans le trafic de drogue.

Joies du cercle vertueux, Ross est dès lors en mesure de bâtir un véritable empire, en ayant d’une part accès à un produit en quantité illimitées, mais également à un produit beaucoup moins cher du fait des quantités écoulées – le prix au kilo passant de 60 000$ à 10 000$ !

C’est ainsi que très vite Ross étend son business à une quarantaine de villes aux quatre coins du pays (Kansas City, Oklahoma, New Orleans, St. Louis, Seattle, Atlanta, Miami, New York, Detroit…) et devient à compter de 1984 le plus gros bonnet de la Cité des Anges.

Conséquence, malgré les précautions prises (plutôt que de dépenser son oseille avec ostentation, Ross, qui souhaite d’ailleurs cacher la source de ses revenus à sa mère, préfère investir dans la pierre), les autorités se penchent des plus sérieusement sur son cas, et ce d’autant plus qu’elles ont déjà à l’œil depuis un petit moment les agissements de Blandón.

[Pour info Ross ignorera jusqu’au bout être au centre d’un imbroglio géopolitique impliquant la CIA, l’administration Reagan et les forces armées d’un pays d’Amérique centrale.]

Est alors créée une unité spéciale dont l’unique objectif est de le faire tomber : la Freeway Ricky Ross Taskforce.

Sentant le vent tourner, le multimillionnaire de la poudreuse s’exile à Cincinnati pour se faire discret et préparer sa reconversion. Si dans un premier temps la stratégie fonctionne, Ross finit par se monter négligent.

En 1988 des écoutes téléphoniques permettent d’intercepter à Cincinatti un convoi partant de Los Angeles pour New York et d’établir l’implication de Ross dans la transaction.

Il échappe un an durant à la police avant de se faire alpaguer par deux agents de la SWAT. Jugé en 1990, il plaide coupable et écope de dix ans de prison.

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Une seconde chance

Après quatre années années en cellule, Ross a la possibilité d’écourter sa peine en témoignant de plusieurs disfonctionnements au sein des forces l’ordre, et notamment de faits de corruption. Loin de se faire prier, il accepte le deal et se retrouve libéré sur parole.

Bien que sa fortune passée lui ait été confisquée en grande partie par la justice, il conserve tout de même près 2 millions de dollars de patrimoine.

Ça tombe bien, résolu à accomplir un virage à 180 degrés, Ross utilise son argent pour jouer au philanthrope et faire le tour des plateaux télé.

Toujours est-il que si des célébrités du calibre de Snoop Doggy Dogg, Magic Johnson et Ice Cube se font voir à l’ouverture d’un théâtre qu’il a fait rénover dans son quartier d’origine et si l’ouverture d’un centre d’entraînement de tennis dans son quartier natal soulage quelque peu sa conscience, question finances c’est la crise – la faute à ses frais d’avocats et aux coûts de ses propriétés qu’il n’est plus ne mesure d’assumer.

Incapable de rembourser les 30 000 dollars qu’il a empruntés à un dealeur local, Rick Ross décide de renfiler le costume de Freeway Ricky et contacte son ancien partenaire Oscar Danilo Blandón… qui n’attendait que ça.

La trahison

Lui aussi tout juste sorti de cellule, il a lui aussi bénéficié d’une remise de peine, mais pas pour les mêmes raisons : Blandón a accepté de travailler comme taupe à plein temps pour la Drug Enforcement Administration (D.E.A.) en échange d’une green card et d’un salaire en bonne et due forme.

S’il tente une première fois de faire tomber Ross à son initiative en lui proposant sans succès de remettre le couvert, la seconde sera cette fois la bonne : le 2 mars 1995, Ross est ainsi arrêté en flagrant délit en train d’acheter 100 kilos de cocaïne.

Renvoyé illico en prison, il est condamné dans la foulée à perpétuité.

Les portes du pénitencier

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la vie carcérale ne se révèle pas des plus insupportables pour l’ancien kingpin.

Interrogé à ce sujet en 2017, il confiera ne pas regretter le moins du monde tout ce temps passé derrière les barreaux, allant même jusqu’à déclarer que « s’il pouvait revenir en arrière, il ne le ferait pas tant il a apprécié cette période ».

Non seulement Ross va en effet apprendre à lire l’année de ses 28 ans, mais il va mettre à profit cette compétence nouvelle pour faire appel de sa condamnation et voir sa sentence réduite à 20 ans, puis inciter les jeunes détenus à s’initier aux livres en ouvrant un club de lecture.

Question revenus, l’ancien espoir de tennis profite du fait que la plupart des establishments pénitenciers disposent de terrains de tennis pour s’introniser entraîneur et charger entre 10 et 20 dollars l’heure de cours. Il est d’ailleurs tellement sollicité que selon lui, c’est en prison qu’il atteint son meilleur niveau.

Tout irait donc pour e mieux dans le meilleur des mondes si ce n’est qu’aux alentours de 2006 un certain William Roberts commence à faire de plus en plus parler de lui dans le monde du rap.

Rick Ross au bout du fil

Débarqué dans le game grand public avec l’hymne Hustlin’, le emcee originaire de Carol City en Floride se fait connaître tant pour sa musique que pour l’univers mafieux grandiloquent qu’il développe autour de sa personne.

Numéro 1 des charts avec son premier album Port of Miami, il brouille à chaque sortie les lignes entre fiction et réalité, n’hésitant jamais à faire l’éloge de sa vie de drug dealer et clamant sur tous les toits être « for real ».

Pour le moins intrigué, le Rick Ross incarcéré va tenter de joindre au téléphone celui qui s’inspire de ses histoires pour bâtir la sienne bien qu’il n’ait pas le moindre début de connexion avec lui.

« Oh, big homie, I love you » lui adresse alors de tout de go Rozay. « Quand j’ai commencé à utiliser ton nom, c’est là que ma musique a commencé à décoller, cela attirait direct l’attention ». Et de poursuivre en lui assurant qu’il lui doit tant.

Cette conversation sera la seule que les deux hommes auront jamais.

Initialement plutôt flatté de cet emprunt, l’ex baron va l’avoir mauvaise lorsqu’en 2008, il apprend que son homonyme a officié comme gardien de prison dix ans auparavant, puis il l’aura encore plus mauvaise en 2009 quand il réalisera à sa sortie l’ingratitude de ce dernier à son égard.

Ça et aussi le fait que ses avocats lui susurrent à l’oreille qu’un éventuel procès pourrait le rendre riche à nouveau.

C’est ainsi qu’en 2010, il poursuit à hauteur de 10 millions de dollars le rappeur, mais également Warner Bros. Records, Universal Music et Jay Z (il est celui qui l’a signé sur Def Jam).

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« Will the real Rick Ross please stand up? »

En première instance, c’est la douche froide : le juge estime que la plainte intervient trop tard. Sachant qu’il utilisait cet alias depuis quatre ans déjà, Ross le dealeur aurait dû poursuivre Ross le rappeur dès 2006.

Pas démotivé pour autant celui qui vient de sortir sa biographie et pose dès qu’il en a l’occasion avec un t-shirt « The real Rick Ross ain’t a rapper » fait appel de la décision.

Un second procès est ainsi organisé en 2013 où les deux parties ont cette fois l’occasion de débattre sur le fond.

Pas de chance pour Ross, le boss du label Maybach Music Group s’en sort à nouveau. Le juge estime cette fois-ci que s’il a bel et bien créé un alter égo inspiré dans les grandes lignes de Freeway, il ne s’est pas contenté de lui subtiliser son identité et son vécu.

« Roberts ne s’est pas comporté comme un imposteur cherchant à uniquement profiter de la réputation de Rick Ross. Certes, sa musique raconte des histoires inventées de drogues dont certaines se rapprochent de celles vécues par le plaignant, mais il a aussi et surtout façonné toute une œuvre artistique autour de cela. »

Décidément, les gangsters perdent toujours à la fin.

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