Rap US

Ce jour où… les rappeurs se sont mis à payer leurs samples

Ce jour où… les rappeurs se sont mis à payer leurs samples

Avec la série « Ce jour où… » Booska-p.com revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du game. Aujourd’hui place à ce jour où Biz Markie a malgré lui changé la manière dont le rap est produit…

À la fin des années 80, un crew d’un genre nouveau domine allègrement le rap jeu new-yorkais : le Juice Crew, un collectif mené par le producteur Marley Marl et qui compte dans ses rangs Big Daddy Kane, Masta Ace, Roxanne Shante et Biz Markie.

Ce dernier va sortir en 1991 son troisième album intitulé I Need a Haircut dont l’un des titres va changer à jamais la face du rap : Alone Again.

Si musicalement le morceau ne se distingue pas vraiment de l’œuvre de son auteur (une histoire de lose amoureuse dans la veine de son plus gros tube Just a Friend), légalement c’est une autre paire de manche.

L’instru sample en effet une boucle de piano du hit Alone Again (Naturally) composé par l’irlandais Gilbert O’Sullivan en 1972, tandis que Biz reprend une partie du refrain originel.

À LIRE AUSSI 
Quand le rap US sample la musique de France

Qui décide quoi ?

La pratique est courante à l’époque. Les albums de rap se composent jusqu’alors en associant une multitude de samples piochés çà et là, sans vraiment se soucier de la question des droits d’auteurs.

À sa décharge l’industrie du disque navigue en pleine zone grise, chaque partie avançant un argumentaire qui fait sens : d’un côté les ayant droits estiment qu’il s’agit là d’une violation de la propriété intellectuelle, de l’autre les producteurs soutiennent qu’ils créent un matériau musical complétement nouveau.

En cas de conflit de grande ampleur (lorsqu’une chanson devient un tube), l’affaire tend à se régler « à l’amiable » hors tribunaux.

[Les De La Soul et The Turtles, un groupe de rock des années 60, ont ainsi conclu un accord à 1,7 millions de dollars au début des 90’s.]

Il arrive aussi parfois que le sampleur demande au préalable la permission au samplé, ce qu’ici Biz Markie fit – ou tout du moins Warner Bros qui contacta Grand Upright Music. Problème : si O’Sullivan accepte dans un premier temps sur le principe, il découvre ensuite l’univers de Biz Markie et sa tendance à jouer au clown.

« Je suis très prudent quand il s’agit de protéger mes chansons, et je me battrai jusqu’à la mort pour empêcher qu’elles soient tournées en dérision. Ce serait offensant pour les gens qui ont acheté le disque pour les bonnes raisons. C’est pourquoi nous avons finalement refusé. »

Le label du rappeur décide pourtant de passer outre ce refus, poussant le rockeur à engager des poursuites.

Le temps de la clarification

En décembre 1991 débute ainsi devant la Cour Suprême l’affaire Grand Upright Music, Ltd. v. Warner Bros. Records Inc.

In fine la justice américaine caractérise la violation des droits d’auteur, condamne le rappeur à 250 000 dollars de dommages et intérêts, et interdit Warner de continuer à commercialiser sous la forme de single ou d’album Alone Again.

[À l’énoncé du verdict le juge cite l’un des dix commandements : « Tu ne voleras point »]

Au-delà du cas proprement dit, cette décision signifie désormais que tout sample doit être utilisé sous autorisation sous peine de poursuites légales.

Conséquence : c’est toute la musique rap qui s’en retrouve bouleversée. Depuis cette décision, et ce pour des questions de budget, seuls un ou deux samples sont utilisés par morceau.

[Des albums comme 3 Feet High ou ceux de Public Ennemy seraient ainsi aujourd’hui impossibles à produire.]

L’interpolation est désormais privilégié : il s’agit de réorchestrer le sample, tout en payant le compositeur, et non l’artiste ou la maison de disques.

En 1993, Markie sort l’album, All Samples Cleared! au titre et à la cover pleins de sous-entendus, même si aucune des douze pistes ne revient de près ou de loin sur cet épisode.

À LIRE AUSSI 
Quand le rap US sample la musique de France

Retrouvez tous les articles de la série « Ce jour où… » en cliquant ici.

Top articles

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT