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Ce jour où… Jay Z a changé de marque de champagne

Ce jour où… Jay Z a changé de marque de champagne

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où le Jéhovah du game a mis sa science du business au service de ses convictions…

 

Incarné principalement par des labels comme Bad Boy ou Roc-A-Fella, émerge au milieu des années 90 un certain rap US qui joue sans retenue la carte du luxe et de l’argent.

Symbole de ce matérialisme festif et décomplexé, les artistes sirotent avec ostentation sur scène et dans leurs clips des bouteilles de Cristal, la prestigieuse cuvée de la Maison de Champagne Louis Roederer.

Une popularité qui s’explique certes par la qualité du produit (chaque cuvée mature six ans dans les caves françaises avant de reposer huit mois après dégorgement), mais aussi par son aspect bling-bling (du célèbre packaging doré aux 300 dollars que coûtent la bouteille) et sa facilité à s’insérer dans les lyrics (plus facile de faire rimer « Cris’ » que « Dom Pérignon »).

Parmi les plus fidèles ambassadeurs de la marque se trouve Jay Z qui bien avant le succès et la célébrité mettait déjà un point d’honneur à se faire voir avec ce pétillant.

Dans son autobiographie Decoded parue en 2010, il raconte que dès 1994 il s’agissait pour lui « d’élever son game, non pas en exhibant de plus grosses chaînes, mais en faisant étalage d’un goût plus raffiné, voire moins accessible ».

« À l’époque nous n’avions pas encore signé en majors, mais nous nous pointions dans les clubs en Lexus et nous achetions du Cristal tandis que la plupart des gens buvaient du Moët. C’était symbolique. »

On peut d’ailleurs se souvenir que dans l’intro de son hit de 2003 Excuse Me Miss il exhortait ses auditeurs à prononcer comme il se doit « Crist-ALL » (avec l’accent français donc), et non pas « Crist-OWL », histoire de se sentir « mature et sexy ».

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Fort de tout ce battage médiatique, en 2005 Cristal occupe la huitième place du classement des marques les plus citées dans les chansons les plus vendues de l’année. Du tout bénef’ pour Roederer qui jamais n’a déboursé le moindre centime pour cette publicité.

Interrogé en 2006 dans l’hebdomadaire The Economist sur ce succès dans le milieu rap et sur la possibilité que cette association nuise à son image, le directeur général de la marque Frédéric Rouzaud répond pourtant : « C’est une bonne question, mais que pouvons-nous y faire ? Nous ne pouvons empêcher les gens de l’acheter. Je suis sûr que Dom Pérignon ou Krug seraient ravis d’avoir cette clientèle. »

Il n’en fallu pour plus pour décrocher l’ire de Jay Z qui se montre de tout particulièrement agacé par l’expression « attention malvenue » employée par le magazine.

Le président de Def Jam Records fait alors savoir haut et fort qu’il va tout faire pour bannir Cristal du rap américain : « Je me suis aperçu que le directeur de Cristal considère la culture hip hop comme une ‘attention malvenue’. J’estime ses commentaires racistes et je ne soutiendrai plus aucun de ses produits que ce soit via mes différentes affaires ou dans ma vie personnelle. »

« Une claque au visage »

Roederer publie quelques jours plus tard un communiqué regrettant ce « mauvais procès » : « Une maison comme Louis Roederer n’existe pas depuis 1776 sans être ouverte avec la tolérance la plus totale à toutes les cultures et toutes les formes d’art jusqu’aux créations musicales (…) qui, comme le hip-hop, nous permettent d’accéder sans cesse à la modernité. »

La société reconnaît toutefois avoir été « un peu irritée » de voir son breuvage « utilisé comme prétexte à des ‘arrosages’ inattendus (champagne showers et autres célébration sportives NDLR) pour les artisans du vin que nous sommes avant tout ».

Pour Shawn Carter le mal est fait : « Il a sûrement voulu dire ‘merci’, non ? Tout ce qui n’est pas ‘merci’ est ici raciste. »

Dans Decoded le mogul revient sur l’incident : « Ça a été comme une claque au visage. Pourquoi ne pas dire merci et passer à la suite ? On pourrait pu penser que la personne qui dirige cette société serait plus intéressée par vendre son produit, et non pas critiquer – ou accepter les critiques – des gens qui l’achètent. »

Très vite la riposte s’organise. Le mardi suivant la publication de l’article, lors de la cérémonie des BET Awards de Los Angeles, les seuls champagnes proposés aux tables sont du Dom Pérignon et du Veuve Clicquot.

Le rappeur se tourne ensuite vers d’autres marques pour remplir ses flûtes ainsi que celles des deux bars 40/40. Dans le cadre de sa tournée célébrant les 10 ans de son premier album Reasonable Doubt, il décide ensuite de purger ses textes de toute référence au « Cris’ » (un exercice auquel il ne se tient pas complètement encore aujourd’hui).

Mieux, dans le clip de Show Me What You Got qui annonce son grand retour dans le rap, il crée la stupeur en se mettant en scène dans une partie de poker en train de rejeter avec dédain son ancienne liqueur favorite au profit d’une bouteille marquée d’un as de pique inconnue au bataillon : l’Ace of Spade Armand de Brignac produit par la maison Cattier.

Malgré le fait que les nightclubs urbains suivent plus ou moins les appels au boycott de Jay Z, Roederer ne souffre au final qu’assez peu de cette campagne question vente. Fabriqué en très petites quantités, le Cristal a toujours plus attiré les amateurs de champagne pour sa note exceptionnelle de 98 sur 100 que pour ses mentions dans les lyrics des rappeurs.

Du côté de Chigny-les-Roses le fief de la maison Cattier depuis 1763, le son de cloche est cependant tout autre, son directeur commercial Philippe Bienvenu confiant qu’il s’agit là « d’un vrai big bang ».

Les ventes sont rapidement multipliées par 5 et les prix par 10 – initialement la bouteille se vendait 30 dollars.

« I used to drink Cristal, them motherfuckers racist/So I switched gold bottles on to that Spade shit » – On To The Next One

L’histoire officielle veut que Hova ait découvert l’Ace of Spade au hasard chez un caviste newyorkais, sa décision de faire ensuite apparaître le champagne dans un clip étant le fruit d’un coup de cœur, et en aucun cas d’un accord commercial préalable.

Cette version suscite néanmoins de nombreuses interrogations, à commencer par le fait que la marque à l’époque confidentielle n’ait été distribuée aux États-Unis que plusieurs mois après la diffusion de Show Me What You Got.

L’existence d’un intéressement financier sera d’ailleurs confirmée en 2012 par Steve Stoute (homme de l’ombre de l’industrie musicale et proche de la star) dans son livre The Tanning of America.

Toujours est-il qu’en 2014, Jay Z rachète pour une somme non divulguée (sont évoqués en sous-main 30 millions de dollars) Sovereign Brands, l’organisme seul détenteur du monopole de distribution de son champagne préféré.

[Contrairement donc à ce qui se raconte un peu partout, le rappeur entrepreneur n’est donc pas devenu le propriétaire de la marque familiale.]

Depuis Jay Z continue de promouvoir ce qu’il appelle « son bébé », tandis que beaucoup d’experts viticoles considèrent au mieux l’opération comme un joli coup marketing.

En effet, si l’Ace of Spade est certes devenu une référence du rap bling-bling et a été élu meilleur vin du monde par le prestigieux magazine Fine Champagne, de nombreux critiques estiment que la marque ne mérite pas son succès, la qualité finale étant loin d’approcher de près ou de loin celle des crus Cristal.

L’acheteur newyorkais Lyle Fass va d’ailleurs jusqu’à parler de « la plus grande arnaque de l’histoire du vin ».

Pas dit toutefois que cela empêche plus que ça Jay-Jay de dormir sur son matelas de billets…

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