« Je suis l’as de trèfle qui pique ton coeur… L’as de trèfle qui pique ton coeur… L’as de trèfle qui pique ton coeur… Caroline… »
MC Solaar est probablement le premier rappeur français à être parvenu à conquérir le grand public. En 1989, alors qu’il travaille encore à la poste, Claude M’Barali maquette trois titres pendant l’été, avec le beatmaker Jimmy Jay : « Quartier Nord », « Bouge de là » et « Caroline ». Son architecte sonore décide alors de s’improviser manager et de démarcher les maisons de disque. « Le directeur artistique de Polydor nous a contacté rapidement, se souvient Jimmy Jay. Nous avons décroché un rendez-vous avec la major. Lors de celui-ci, le DA avait les K7 de NTM, des Littles Mc’S, d’Assassin sur son bureau. Les maquettes de tous les groupes de rap du moment étaient là. Il nous a annoncé que nous avions été choisi parmi tout ce monde pour représenter le rap au sein du label. » Polydor choisit alors de faire de Solaar, alors âgé de 20 ans, son « objectif de l’année ».
Moyens colossaux !
C’est « Bouge de là » qui est retenu pour être le premier single et mettre la carrière du natif de Dakar sur orbite. 8 mois passent et le succès se fait attendre. Les ventes ne décollent pas jusqu’à ce que le rappeur passe dans l’émission « Ciel mon mardi ! » de Christophe Dechavanne, au tout début des années 90. Suite à la diffusion de ce programme, « Bouge de là » devient le premier hit de l’histoire du hip hop français, si l’on exclut… Benny B. Ravi par les résultats, Polydor passe à l’étape suivante en proposant à Solaar d’enregistrer son premier album, « Qui sème le vent récolte le tempo ». « Caroline » va devenir le deuxième tube de la carrière de l’auteur-interprète d’origine sénégalo-tchadienne. « Comme Bouge de là cartonnait, la maison de disques n’a pas hésité à mettre les moyens, explique Jimmy Jay. J’ai demandé à avoir quatre violonistes de l’orchestre de l’opéra Bastille. Le jour où ils sont venus en studio, je n’ai même pas pu les voir car je suis arrivé en retard… Nous avons enregistré dans un superbe studio à Bastille, le plus gros studio parisien. Toutes les stars de la variété y enregistraient ! »
Mais qui est Caroline ?
Pour produire le son, Jimmy Jay va réussir à louer le premier synthétiseur de l’histoire, celui utilisé par les Beatles. Accompagné par son cousin, il utilise un clavier Leslie Rhode. « Par rapport à la rythmique, le texte pouvait être une histoire d’amour, étant donné que c’était assez lent », précise Jimmy Jay. Mais qui est Caroline ? Cette jeune femme a-t-elle vraiment existé ? « Avec Solaar, on ne parlait quasiment jamais de ses textes. Au début, il m’a dit que Caroline était une fille sortie tout droit de son imagination. Mais il n’a jamais vraiment été clair à ce sujet. Personnellement, je pense que c’est une personne qu’il aimait en secret et qu’il n’a jamais pu conquérir. Elle doit avoir existé, même s’il a toujours gardé le mystère… ». Mythe ou réalité, « Caroline » accède aux radios nationales dès sa sortie. Alors animateur sur Europe 1, Arthur passe par exemple le titre en boucle à la radio.
Quand on parle d’amour, on peut toucher toutes les générations
Dans le rap français, rares sont les morceaux relatant une histoire d’amour entre un homme et une femme. Le succès de Solaar ne fait pourtant pas l’unanimité dans le petit monde du rap de l’époque. JoeyStarr et Kool Shen du groupe NTM lui reprochent régulièrement sa tendance à la « variétisation ». « Effectivement, nous n’étions plus vraiment dans le rap, c’était quasiment de la variété, reconnaît le producteur. C’est un titre qui parlait aux filles, aux couples. Ca faisait rêver les gens. Quand on parle d’amour, on peut toucher toutes les générations. Avant le rap était plus cool, il y avait beaucoup plus de diversité… ». Aujourd’hui encore, « Caroline » demeure l’un des plus gros cartons de l’histoire du rap français, avec plus d’un million d’exemplaires écoulés.
