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« All Eyez on Me » de 2Pac : l’âge d’or du gangsta rap

« All Eyez on Me » de 2Pac : l’âge d’or du gangsta rap

Retour sur 132 minutes de musique toujours aussi cultes…

« Le monde a les yeux braqués sur moi. La police me regarde, les meufs me regardent, mes ennemis me regardent… Les reporters, les gens qui veulent me voir tomber, les gens qui veulent me voir réussir, ma mère, les gardiens de prison, le monde entier a les yeux braqués sur moi. »

Interrogé par Vibe quelques semaines avant la sortie du double CD All Eyes On Me, voilà comment Tupac Shakur expliquait le choix du titre de son quatrième album solo.

Dans le viseur depuis le départ pour la violence de ses textes et ses frasques à répétition, la pression n’a en effet cessé de s’accentuer sur ses épaules.

Condamné un an auparavant à quatre années et demie de prison pour un viol qu’il a toujours nié, il a beau au final avoir été innocenté par les tribunaux, il n’en a pas moins passé neuf mois en cellule.

Neuf mois qui l’ont rendu paranoïaque au possible, lui qui peu de temps avant son incarcération a de surcroît échappé de justesse à une tentative d’assassinat (cinq balles dans le corps dont une dans la tête).

Neuf mois qui auraient pu se prolonger encore et encore si l’imposant Suge Knight n’avait pas réuni les 1,4 millions de dollars nécessaires pour le faire sortir du pénitencier de Clinton en échange d’un contrat passé avec label le plus sulfureux de l’histoire du rap, Death Row Records.

Résultat, quand le 13 février 1996 All Eyez On Me arrive dans les bacs, c’est certes un 2Pac fielleux et révolté qui revient sous le feu des projecteurs, mais c’est aussi un 2Pac au sommet de son art.

Le cocktail était explosif, le monde n’était pas prêt.

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1. Ambitionz Az a Ridah

L’un des tous premiers morceaux enregistrés par ‘Pac à sa sortie de prison.

Là où Notorious B.I.G. avait intitulé son premier album Ready to Die, son pas encore meilleur ennemi fait lui le choix de montrer les crocs dès sa toute première piste sur une instru d’outre-tombe composée par Daz Dillinger de Dogg Pound.

Pas étonnant que Mike Tyson a longtemps utilisé ce titre pour annoncer son entrée sur les rings – le rappeur finira d’ailleurs par lui écrire une version spécialement dédiée, Ambitionz Az A Fighta.

2. All Bout U (Ft. Hussein Fatal, Nate Dogg, Snoop Dogg & Yaki Kadafi)

Le son qui sent l’été dès les premières notes et ce quelle que soit la saison – grosse pensée au trop souvent oublié Johnny J crédité à la production sur onze titres de AEOM.

À la fois malicieux et misogyne, le texte raconte ces groupies qui voyagent aux quatre coins du pays pour rencontrer autant qu’elles le peuvent rappeurs et mauvais garçons.

Impossible donc d’imaginer Snoop ne pas venir ici pointer le bout de sa truffe.

3. Skandalouz (Ft. Nate Dogg)

Sur un sujet similaire au précédent (les femmes de petite vertu), 2Pac s’associe cette fois au Nate Dogg des grands jours tandis que Daz délivre à nouveau un caviar derrière les consoles.

Mais quel début d’album !

4. Got My Mind Made Up (Ft. Tha Dogg Pound, Method Man & Redman)

Et encore un beat qui tue de Daz, et qui plus est sur lequel tous les invités donnent le meilleur d’eux-mêmes.

Tant pis pour le pauvre Inspectah Deck du Wu-Tang qui s’est fait couper au montage au dernier moment, quand bien même ses ad-libs en outro ont été conservées (« INS the Rebel… »).

Sinon pour l’anecdote, ‘Pac balance une petite référence à Janet Jackson avec qui il avait partagé l’affiche de la comédie romantique Poetic Justice quelques années auparavant (« My lyrics motivate the planet/It’s similar to Rhythm Nation, but thugged out/Forgive me Janet »).

5. How Do U Want It (Ft. K-Ci & JoJo)

Troisième single de l’album, ce duo avec la moitié des Jodeci était à l’époque autant écouté à la radio que vu à la télé en raison de son clip des plus bouillants où les stars du X Heather Hunter, Nina Hartley et Angel Kelly exhibaient leurs courbes.

Bon attention, même sans les images l’énergie très club du morceau est parfaitement contagieuse.

6. 2 of Amerikaz Most Wanted (Ft. Snoop Dogg)

Après la mise en bouche All Bout U, voici enfin le featuring en bonne et due forme attendu par tous avec le Grand Chien.

Dans une ambiance « gangsta party », les deux futures légendes se renvoient ainsi la balle avec d’autant plus de plaisir que chacun vient d’échapper à une sévère peine de prison – Pac pour viol donc, Snoop pour complicité de meurtre.

Un blockbuster à la hauteur des espérances.

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7. No More Pain

Changement d’atmosphère, le maître des lieux ralentit son flow pour coller à une instru que n’aurait pas renié ses confrères de la côte est.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le « I came to bring the pain, hardcore to the brain » du refrain s’inspire directement du Bring the Pain de Method Man.

On a le droit de ne pas être hyper fan du rendu.

8. Heartz of Men

2Pac : « Hey DJ Quik, c’est sympa de ta part de mixer une bonne partie de l’album, mais t’aurais pas en réserve une prod’ très G-Funk sur laquelle je pourrais m’énerver ? »

DJ Quik : « Ouais bien sûr. Par contre ça te dérange pas si au refrain je bricole un collage de samples un peu comme Dre sur The Day The Niggaz Took Over mais en mieux ? »

2Pac : « Non-non, vas-y fait toi plaisir Blood ! »

9. Life Goes On

Le morceau attrape-cœur de All Eyez On Me où un 2Pac plus vulnérable que jamais met en perspective le très probable sort qui l’attend, non sans dédicacer « les frères victimes de la rue » comme ses homeboys disparus Big Kato et Mental Illness, ainsi que tous ceux qui ont pris des peines de 50 ans, 60 ans derrière les barreaux.

Poignant, même si peut-être un peu trop évident.

10. Only God Can Judge Me (Ft. Rappin’ 4-Tay)

L’un des meilleurs titres de l’album, tant pour la qualité de la production que pour l’intensité des deux couplets du maître des lieux.

Toujours traumatisé par la tentative d’assassinat dont il a été victime deux ans auparavant, 2Pac livre à cœur ouvert ses doutes et contradictions lui qui vit désormais entre deux feux, coincé entre une Amérique blanche conservatrice qui le voue aux gémonies et une communauté noire qui s’entretue à n’en plus finir.

Seul bémol à ce petit bijou : l’épidémie de tatouages éponymes dont il est responsable.

11. Tradin War Stories (Ft. C-Bo & Outlawz)

Posse cut où ‘Pac ne pose qu’un petit couplet mais où il partage ensuite chaque refrain avec l’un de ses convives.

Pas indispensable car quand même un brin répétitif et pas forcément à sa place sur un tel projet, mais pas désagréable non plus.

12. California Love (Remix) (Ft. Dr. Dre & Roger Troutman)

Si comme beaucoup vous vous êtes toujours demandé à l’achat du CD pourquoi diable seul le remix de California Love était proposé alors même que la version originale n’était trouvable nulle part, sachez que cette dernière devait initialement apparaître sur The Chronic 2 de Dr. Dre.

À part ça, le débat se poursuit encore et toujours pour déterminer qui du « Out on bail, fresh out of jail » de 2Pac ou du « Now let me welcome everybody to the Wild Wild West » du bon docteur Young remporte la palme de la meilleure entrée en matière.

13. I Ain’t Mad At Cha (Ft. Danny Boy)

Un morceau émouvant à plus d’un titre. D’une part parce qu’en soit 2Pac nous raconte sur chaque couplet trois histoires d’amitié aux dénouements amers, et de l’autre parce que le clip qui a été tourné juste avant sa mort le mettait en scène au paradis.

I Ain’t Mad At Cha est la cinquième et toute dernière prod’ de Daz, ce que l’on ne peut que regretter vu son niveau de forme.

14. What’z Ya Phone # (Ft. Danny Boy)

LE filler de All Eyes On Me.

Plantage à tous les étages (le rythme, les paroles, le skit porno de fin interminable…), le temps lui a toutefois donné un petit côté attachant.

15. Can’t C Me (Ft. George Clinton)

Le premier titre du second CD et le retour de Dr. Dre aux manettes – un retour pas forcément consenti puisque la composition était initialement destinée à son album commun avec Ice Cube, mais ça c’était avant que Suge n’en décide autrement.

Aussi agressif que festif (merci George Clinton), clairement l’un des tous meilleurs titres de l’opus, si ce n’est le meilleur.

Trivia : connaissez-vous la version des Dogg Pound ?

16. Shorty Wanna Be a Thug

Avis aux auditeurs n’ayant pas connu les années 90 : contrairement au sens qui lui est donné actuellement à « shorty » (une petite meuf qui passe par là), le mot était utilisé à cette époque principalement pour désigner un nouveau venu dans le game (rap game, crack game…).

Shorty Wanna Be a Thug se veut donc un avertissement adressé à ceux qui seraient tentés par les mirages de la rue.

17. Holla at Me Lyrics

Contrairement à 99% des rappeurs qui hier comme aujourd’hui se la jouent dans leurs textes façon Tony à la fin du film, 2Pac vivait lui vraiment cette vie-là.

Preuve en est avec cette nouvelle effusion de rage (oui après 17 titres il n’est toujours pas calmé) qui le voit s’en prendre sans mettre de gants à trois de ses ennemis : son ancien pote Stretch qu’il accuse d’avoir voulu le faire tuer, son ancien pote Notorious B.I.G. qu’il accuse aussi d’avoir voulu le faire tuer, et Ayanna Jackson qu’il accuse de l’avoir envoyé croupir en prison pour rien.

18. Wonda Why They Call U Bitch

Joie de la transition gênante : après voir clashé la personne qui lui a valu de se faire condamner pour agression sexuelle, quoi de mieux que d’enchaîner avec un morceau qui traite toutes ses sœurs de garces ?

Et puis bon question polémique, pourquoi ne pas également en rajouter une couche en invitant la femme de Biggie à venir chanter le refrain pour ensuite clamer sur tous les toits avoir couché avec elle ?

19. When We Ride (Ft. Outlawz)

Le seul et unique track existant où les membres du collectif Outlaw Immortalz sont réunis au grand complet – ce qui dans l’ordre donne des couplets signés Hussein Fatal, Kastro, Napoleon, Mussolini, E.D.I., Kadafi, et Mo Khomeini.

Loin du Wu-Tang californien promis en interview, bornons-nous ici à constater que ni la rareté ni le copinage ne font la valeur

Oh, et si vous vous demandez pourquoi chacun porte des pseudos de dictateurs pas toujours du meilleur goût, la faute en revient à 2Pac qui lorsqu’il s’est rebaptisé Makaveli en prison a décidé de pousser à fond le délire en renommant ses sbires de la sorte.

20. Thug Passion (Ft. Jewell & Outlawz)

Concurrent sérieux au Get 27 pour le titre de pire breuvage alcoolisé des années 90, l’Alizé n’en bénéficiait pas moins d’une réelle popularité.

La faute principalement à 2Pac qui lui a fait une belle promotion en rappant un morceau entier les vertus du Thug Passion, un cocktail de son invention qui selon lui « rend la ch*tte humide et fait durcir la b*te ».

La recette ? Mélanger ce cognac aromatisé à du champagne Louis Roederer Cristal. On attend vos retours d’expérience dans les commentaires.

21. Picture Me Rollin’ (Ft. Big Syke, CPO & Danny Boy)

Ambiance à la cool sur ce morceau somme toute assez matérialiste« libre comme O.J. Simpson », 2Pac étale sa réussite en name droppant un max de berlines de luxe (Benz, Chevy, Lexus…).

À ses côtés, la toute première apparition du homie Big Syke (« I got keeeeeys comin’ from overseeeeeas! ») et troisième du crooner Danny boy apportent une véritable plus-value.

22. Check Out Time (Ft. Big Syke & Kurupt)

Titre anecdotique s’il en est qui voit nos lascars se réveiller dans une chambre d’hôtel la tête à l’envers suite à une soirée agitée. Désireux de ne pas avoir à payer une nuit supplémentaire, tous s’activent pour quitter les lieux avant midi.

Reste qu’entre la bonne humeur des couplets, la vibe funky de l’instru et l’efficacité du refrain, on passe un excellent moment.

Notez en revanche, et c’est assez agaçant si l’on considère l’importance des voix féminines sur ce disque, qu’à l’instar de Faith Evans (Wonda Why They Call U Bitch) et Nanci Fletcher (Life Goes On/Can’t C Me/Holla at Me/When We Ride), Natasha Walker n’est absolument pas créditée comme featuring.

23. Ratha Be Ya Nigga (Ft. Richie Rich)

Dans la lignée de Thug Passion et Check Out Time, une piste légère et décontractée qui passe crème.

‘Pac y surjoue de l’image du « real nigga », celui dont le succès auprès de la gent féminine n’a d’égal que le haut de gamme de ses performances sexuelles.

24. All Eyez on Me (Ft. Big Syke)

La toute première production de Johnny J sur laquelle ‘Pac a posé, deux jours après avoir été libéré.

« Quand je l’ai entendu au bout du fil me dire qu’il arrivait au studio j’ai cru que c’était une blague, que quelqu’un l’imitait (…) All Eyez On Me est le premier beat que je lui ai fait écouter, il n’était même pas terminé, mais cela ne l’a pas empêché de trouver le concept d’un coup d’un seul. »

25. Run Tha Streetz (Ft. Michel’le, Napoleon & Storm)

La chanson préférée de ces dames.

Plus gangster d’amour que jamais, 2Pac donne la réplique à Michel’le (l’ex-femme de Dre, la future ex-femme de Suge Knight) dans ce que l’on croirait être la bande originale d’une comédie musicale tournée en plein ghetto los angelinois.

Dommage que les featurings alourdissent le rendu.

26. Ain’t Hard 2 Find (Ft. B-Legit, C-Bo, D-Shot, E-40 & Richie Rich)

Le concept ? 2Pac invite tous ses ennemis à venir lui rendre visite en terres californiennes afin de les faire passer six pieds sous terre.

Pour ce faire il s’est entouré d’une poignée d’emcees du cru : C-Bo (Sacramento), Richie Rich (Oaklan), E-40 (Vallejo)…

Étonnamment personne ne s’est jamais pointé au rendez-vous.

27. Heaven Ain’t Hard 2 Find (Ft. Danny Boy)

Une vingt-septième et dernière piste qui vient prouver une nouvelle fois si besoin en était toute la dualité de 2Pac le rappeur et de 2Pac l’être humain.

Juste après avoir menacé de mort la concurrence, il change de facette pour conclure les débats avec toute la sensibilité qui est la sienne.

Entre thug et loveur, pourquoi choisir ?

Verdict : le meilleur album de gangsta rap de tous les temps ?

Plus encore que n’importe quel autre opus de sa discographie, plus encore que n’importe quel autre fait divers de sa biographie, All Eyez On Me marque peut-être ce moment où 2Pac est véritablement devenu 2Pac.

À la croisée des chemins entre son moi d’hier et ses penchants les plus autodestructeurs, charismatique comme jamais, entouré des meilleurs au meilleur de leurs formes, il a en effet livré là un monument inégalé de rage et de funk.

Facile d’accès mais profond, dansant mais hardcore, thug mais conscient, ancré dans son époque mais toujours en phase avec la nôtre, All Eyez On Me c’est tout ça et bien plus encore.

Légendaire.

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