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18 choses qui ont changé dans le rap français depuis 18 ans

18 choses qui ont changé dans le rap français depuis 18 ans

Avant le rap de France c’était différent, maintenant c’est différent…

N’en déplaise à ceux qui s’intronisent un peu trop rapidement comme les gardiens du temple, le rap évolue sans cesse depuis ses débuts. Quoi de commun entre les beats électro des soirées du terrain vague de La Chapelle, les premiers copiés/collés balbutiants des précurseurs de la scène hexagonale, les textes engagés des années 90, les délires chargés d’egotrip gangster ou les ambiances autotunées qui règnent à l’heure actuelle ?

Le rap est vaste, le « vrai rap » difficile à cerner.

Idem du point de vue du public, chaque époque amène une perception différente. Dans les années 90 on débattait sec du caractère « commercial » de la musique. Dans les années zéro, la question prédominante était celle de la crédibilité de rue. Aujourd’hui c’est celle des revenus qui occupe les esprits.

Depuis le siècle dernier tout n’a pas pour autant changé (Scarface sera toujours Scarface), mais quand même : voici 18 évolutions que l’on n’avait pas forcément vu venir.

1. Parler de Hip Hop est réservé aux zulus

Forte de son succès, la discipline reine du hashipéhasopé a fini par vampiriser ses consœurs que sont le graff’, la danse ou le beat boxing.

Pour les plus jeunes, le hip hop a depuis longtemps rejoint l’étagère des antiquités de la musique (au même titre que d’autres étrangetés comme la disco ou la new wave). Le « Peace unity love and havin’ fun » des premières heures du mouvement est désormais assimilé à un slogan hippy.

Le rap est certes plus populaire que le hip hop ne l’a jamais été (on entend du Kool Shen chez Zemmour & Naulleau !), mais chemin faisant il a perdu un peu de ce qui faisait de sa substance, d’où peut-être cette incompréhension plus marquée entre ancienne et nouvelle génération.

2. La dictature de la première semaine

L’argument marchand a certes toujours été mis en avant par les artistes et les maisons de disques, mais ce qui peut surprendre ici c’est la vigueur avec laquelle le public a fait sien ce critère, commentant dorénavant à foison les résultats des uns et des autres.

[Notons que paradoxalement cette tendance est apparue dans l’hexagone au moment où les ventes de disques se réduisaient comme peau de chagrin.]

Il est certes plus facile pour l’auditeur moyen (et pour le journaliste moyen) de parler chiffres que de parler lettres, mais que ce court-termisme réduit encore un peu plus le rap à un objet de consommation instantanée.

En revanche si ce sprint commercial saborde la durée de vie des projets, il participe grandement à accélérer les rythmes de sorties, créant au passsage une sorte de prime à la nouveauté où passé et présent sont irrémédiablement gommés par la suite des événements.

3. L’avènement de la province

Désir de renouvellement, lassitude à l’égard des clashs entre poids lourds, plus grande facilité d’enregistrement… cela aura pris le temps qu’il faut mais le rap de France a fini par sortir de son éternelle dichotomie Paris/Marseille et de ses particularismes locaux douteux (le mot est faible) à la Manau et Kamini.

Si l’arlésienne lyonnaise ne s’est jamais concrétisée, on a eu le droit comme aux US à l’éclosion de nos Atlanta et Miami locaux. En français dans le texte ça donne les Roubaix (Gradur), Montpellier (Joke) et autres Caen (Orelsan).

4. Un morceau sans clip n’intéresse personne

Difficile de croire aujourd’hui que l’un des plus grands morceaux de l’histoire du rap, Le crime paie, n’ait jamais été clippé. Encore plus difficile d’imaginer qu’en sortant aujourd’hui il bénéficierait du même impact qu’à l’époque, tant l’image est devenue indissociable de la musique (quitte à la supplanter ?).

Si les gros clips scénarisés (de ceux qui plantent un budget promo) se font plus rare, tourner une vidéo n’a plus rien d’exceptionnel – ce serait d’ailleurs plutôt l’inverse.

Les coûts se sont drastiquement réduits et il est désormais possible de bénéficier d’un clip de très bonne facture (lire : accompagné de l’indispensable combo drones/cité/armes/motos) pour moins de 5 000 euros.

Enfin pour se faire connaitre des maisons de disques, les artistes en herbe n’ont plus besoin de refiler une démo avec un numéro de téléphone écrit au dos, taxer l’iPhone d’un pote suffit.

[Par contre une fois les vues au rendez-vous, l’option youtubeur pas drôle en feat n’a rien d’obligatoire]

5. La presse papier a disparu

L’Affiche, Authentik, Radikal, Get Busy le net et la gratuité auront fini par avoir raison des meilleurs mensuels et fanzines.

Le journalisme à Papa a laissé sa place à une toute nouvelle école cette fois-ci complètement affranchie des codes d’antan et qui profite sans vergogne de la souplesse qu’offre la technologie actuelle (ouvrir un blog ça coute au max 40 balles par an).

Cette petite révolution a permis l’éclosion d’une palette de talents qui n’aurait peut-être pas percé (ou même eu l’idée de se lancer) sans les traditionnels relations ou diplômes certifiés.

Si le journalisme rap se fait plus divers (au point d’être parfois plus intéressant que le rap lui-même), cette plus grande accessibilité amène inévitablement son lot d’inconvénients qui vont du moyennement acceptable (#TeamFautesdOrthographe*), au sodomisage de déontologie (#TeamRumeurs&CopiésCollés).

*Coupable

6. Les rappeurs sont devenus des geeks

Fini les stickers collés dans les rames de métro. Promo, clashs, actu… c’est derrière l’écran et sur les réseaux sociaux que ça se joue.

Alors que Facebook et Twitter sont la plupart du temps gérés par des community manager, sur Instagram l’artiste est seul aux manettes et s’exprime sans filtre, créant d’une certaine manière son propre média et sa propre tribu.

Si chez les cainri, les comptes IG se confondent avec une télé réalité des rich & famous, chez nous c’est plus relax, ambiance fait maison (montages compris).

Bon après c’est encore la crédibilité de rue qui en prend encore un coup, mais en 2016 qui s’en soucie vraiment ?

7. Tout le monde fait des instrus

Ces après-midis où il fallait se taper deux heures de métro pour aller voir un gars qui connait un gars qui fait du son sont révolues. Tout comme la chasse aux rééditions d’albums incluant un cd d’instrumentales.

Joie de la technologie, l’achat d’un sampler est presque devenu facultatif. Les logiciels de création et de composition (FruityLoops en tête) sont devenus monnaie courante, à tel point qu’à de rares exceptions les beatmakers sont réduits au rang d’anonyme des studios.

Et puis au pire vous pouvez toujours acheter des prod’ prêtes à rapper sur certains sites dédiés.

8. La religion a pris beaucoup plus de place dans les textes

Comme toute la société française depuis une quinzaine d’années, le rap n’a pas échappé à la montée du fait religieux, que ce soit via les conversions médiatisées de certaines têtes d’affiche (Kery James, Diam’s, Abd-Al-Malik…) ou la mise en avant par certains de leur spiritualité (Médine, Ali…) au point d’en faire, si ce n’est un fonds de commerce, une marque de fabrique.

Parallèlement cela a entraîné une kyrielle de nouveaux débats qui ont pris une importance croissante, comme le caractère haram de la musique, l’utilisation d’instruments à vent ou encore la question de serrer la main aux femmes.

9. Ce rap jeu est de plus en plus fashion

L’apparence a toujours bénéficié d’une place prépondérante dans le rap. Si rien ne viendra jamais contester le règne des grains de caf’ et des polos Lacoste, à l’uniforme un peu trop standardisé survêt’/baskets/casquette s’est petit à petit substitué un look à mi-chemin entre le normcore des quartiers et la sophistication des hipsters.

Terminé la coupe à la Yul, le cheveu se porte lisse et soyeux et la pilosité se veut aussi chiadée que celle de d’Artagnan.

Côté marques, le luxe (ou une certaine idée du luxe) est toujours là, mais la sacoche DG s’assortit d’un maillot du PSG tandis que les Max se portent avec des accessoires à motifs Burberry ou à fleurs.

Si on est encore loin de voir débarquer un Young Thug à la française (et c’est peut-être pas plus mal), l’homophobie ayant de moins en moins le droit de citer, les mecs se lâchent un peu plus côté style.

À quand un freestyle sur les meilleures crèmes hydratantes ?

[Bon par contre les lunettes de soleil portées H24 même en interview, c’est non.]

10. Les clashs ont explosé au grand jour

Les bisbilles entre rappeurs ont beau être aussi vielles que le rap, les attaques frontales sont longtemps restées cantonnées (distance oblige ?) au stade des sous-entendus, à l’image du « Aime tes haines si t’aimes le superflu » de MC Solaar ou du Des durs des boss des dombis de Fabe – qui mine de rien clashait dans le même sac le Ministère, les Nick Ta Mère et Booba.

Et puis un beau jour MC Jean Gab’1 a mis les deux pieds dans le plat avec son fameux (mais moins subtil) J’t’emmerde.

Toutefois le vrai élément déclencheur, celui qui mettra le feu aux poudres, sera ce jour où Rohff de passage à Skyrock traitera ouvertement son rival de toujours de « zoulette ». La suite vous la connaissez…

Depuis tout le monde s’insulte joyeusement avec des morceaux pas toujours de haute volée.

11. L’autotune a mis les chanteuses de rnb au chomage

Avant pour passer sur les ondes, il fallait y aller de son tube grand public. Rien de nouveau depuis, si ce n’est qu’avant l’arrivée de l’autotune la formule n’était pas vraiment la même.

Pour pondre un son commercial, trois options s’offraient aux MC attirés par l’appât du gain : le refrain scratché, le recyclage d’un sample de funk pas trop grillé, ou mieux, les miaulements lascifs d’une chanteuse avec un nom en -a (Kayna, Kayliah, Assia, Kenza…).

Au moins maintenant c’est clair : c’est voix métallique pour tout le monde et puis c’est tout.

12. La course à la punchline

Bien que la recherche de la rime choc ait toujours été caractéristique de l’écriture des rappeurs (bien avant même l’apparition du terme), avec le temps ce phénomène s’est intensifié, quitte à déstructurer les textes qui ressemblent parfois à s’y méprendre à un fil twitter (fautes d’ortho inclues).

Osef les thèmes et la cohésion, les morceaux d’un même projet s’enchaînent sans que ne se dégage toujours une identité propre à chacun.

Face A, la punchline c’est cet art de la fulgurance. Face B, c’est le pendant de la culture du slogan publicitaire.

[Dans le même genre, on aurait pu parler des gimmicks]

13. Le rap mongol constitue un genre à part entière

Si le rappeur mongol moyen n’aurait jamais osé, ou même été autorisé à franchir la porte d’un studio dans les années 90, grâce aux webcams et smartphones il peut exprimer sans aucun surmoi toute sa fougue à la face du monde.

Alors que beaucoup pensaient que ces moule à gaufres aux QI guère plus élevés que la température ambiante resteraient cantonnés au stade de l’anecdote, ils se sont reproduits sans crier gare. Pire, au fil du temps ont fini par apparaître des hordes de fanatiques les supportant à un degré 1…

Résultat en quelques années ce mouvement a quadrillé la douce France et a fini par solidement s’ancrer dans le paysage rapologique au même titre que la trap ou le cloud. (soupir)

Qu’on le déplore ou qu’on s’en désole, c’est toujours internet qui gagne à la fin.

14. Les mecs dansent !

Trop cool et trop thug pour bouger, le rappeur moyen a souvent fait de son mieux pour ressembler sur scène ou dans les clips à un pape constipé.

Mais ça c’était avant. Le rap devenant une musique de plus en plus festive, les artistes se sont mis au diapason. Des petits pas de danse de Jul à la gestuelle de Kaaris, en passant par les danses chorégraphiées à la Niska et MHD, beaucoup élaborent des moves qui deviennent leur marque fabrique – et qui pour les plus chanceux seront repris par un numéro 9 lors d’une célébration.

Même Booba qui correspondait pourtant à l’incarnation du mec rigide des baskets à la casquette a suivi la tendance.

15. Parler des femmes n’est plus tabou

À un sempiternel morceau hommage sur la mère près, le rappeur français moyen, agglutiné avec ses potes dans une cage d’escalier qui sent tout sauf le glamour et l’onctuosité, a trop longtemps fait comme si le sujet n’existait pas.

Et puis de fil en aiguille, le rap fr a commencé à être joué dans les clubs, les flows se sont fait plus mélodieux, les coupes des fringues se sont resserrées, laissant de côté pudeurs et inhibitions.

Aujourd’hui le succès aidant, la gent féminine se montre tout sauf indifférente face à ces roucoulements de loveurs… les plus adolescentes allant jusqu’à tapisser leurs chambres de posters de N.O.S. ou de Nekfeu.

16. C’est dans les chichas que ça se passe

Débarqués en France à l’aube des années 2000, ces lieux de convivialité notamment prisés par une « beurgeoisie » adepte des pipes à eau ont fini par former contre toute attente un véritable réseau parallèle, fort d’un demi-millier d’adresses rien que dans la capitale.

Générant une économie propre (show cases, placements de produits…), les chichas ont ainsi donné naissance à leur propre courant musical : le rap de chicha. Affranchi des réseaux de promotion traditionnels, ses têtes d’affiche (Zifou, DJ Hamida, Lartiste…) réalisent des chiffres de ventes tout sauf confidentiels.

Le rap qui souvent se plaint d’un manque de relais dans l’univers mainstream a trouvé là un nouveau poumon économique (#NanMaisLawl).

17. Le buzz est roi

Faire parler, en bien ou en mal, mais faire parler. Cause et conséquence de la plupart des évolutions citées précédemment, cette règle aussi absurde soit-elle a fini par s’imposer aux rappeurs mainstream avec autant d’aplomb que la gravité.

Et comme souvent la forme finit par influencer le fond. Bruit permanent, le buzz et la recherche du buzz modifient profondément les codes en vigueur.

Le jeu médiatique a ainsi évolué de telle sorte que la personnalité importe plus que les capacités derrière le micro. La réussite se jauge non pas à l’aune de la qualité mais de la quantité, au risque d’orienter les avis avant même la première écoute.

Certes quelques irréductibles résistent encore et toujours (Scred Connexion on vous voit), mais bien malin celui qui pourra prédire où cette course folle mènera le rap jeu.

18. À chacun son rap

Plus encore que de se demander si le r.a.p. est la nouvelle variété, la question est désormais de savoir qui écoute quoi.

En 2018 le mouvement a pris une telle ampleur qu’affirmer « aimer le rap » ne renvoie plus à grand-chose de concret.

Quoi de commun en effet entre les fans bases de Lacrim, de Big Flo & Oli, d’IAM ou de Black M ? Ça kicke, ça chantonne, ça dénonce, ça insulte les mamans… bref, il y en a pour tout le monde, pour tous les goûts, pour tous les publics.

Que certains médias mainstream le comprennent ou pas peu importe, le rap a réussi son pari : c’était le monde ou rien, ça a été le monde.

Et vous, comment voyez-vous le rap dans 5 ans, dans 10 ans, dans un siècle ? On en parle dans les com’ !

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