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Ce jour où… Mobb Deep a enregistré le meilleur titre de rap du monde

Ce jour où… Mobb Deep a enregistré le meilleur titre de rap du monde

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où les « official Queensbridge murderers » sont rentrés dans l’histoire pour ne plus jamais en sortir…

À ceux qui cherchent encore et toujours le morceau de rap parfait, ne cherchez plus : il est sorti le 7 févier 1995 et il s’appelle Shook Ones Part II.

« Part II » puisqu’il s’agit d’un plus ou moins remix du premier single promotionnel de Mobb Deep suite à la signature du duo sur le label Loud. Bien que très correcte la version originale a grandement souffert de la comparaison, à tel point qu’elle est aujourd’hui largement oubliée, connue des seuls aficionados sous le titre « Part I ».

Certes le concept et le refrain sont restés les mêmes, mais cette fois-ci, comme touchés par la grâce, Albert ‘Prodigy’ Johnson et Kejuan ‘Havoc’ Muchita insufflent chacun toute la maestria qui est la leur. Le premier en réécrivant de A à Z son couplet, le second en produisant cette instrumentale immédiatement reconnaissable dès la première note.

Bien leur en a pris, le duo jouait là sa survie dans le monde de la musique. Tout juste lourdés du label 4th & B’way après le flop de leur premier album Juvenile Hell, les deux emcees se sont vus opposer un retour pas franchement enthousiaste de la part de leur nouvel employeur suite à la première version.

https://www.youtube.com/watch?v=3vN-4Xwy-Cw

« Nous savions que nous tenions là un vrai concept*, et nous ne pouvions nous permettre de le faire passer à la trappe. Nous nous sommes donc dits, balançons une partie deux » confiera Havoc quelques années plus tard.

[* À commencer par l’expression « Shook One » inventé pour l’occasion et qui désigne quelqu’un se la jouant hardcore tant qu’il n’est pas confronté au réel.]

Prodigy lui se souvient des choses un peu différemment (et pour cause, lire ci-dessous) : « La première chanson était cool, mais ensuite nous avons créé ce nouveau beat. Au départ nous ne voulions certainement pas en faire un remix, mais nous avons conservé le refrain. Un de nos potes nous a dit ‘Vous devriez appelez ça Shook Ones Pt. II’. Et voilà comment c’est arrivé. »

« To all the killers and a hundred dollar billers »

L’entrée en matière donne le ton : l’ambiance est au sombre et au crépusculaire, à l’agressivité et la paranoïa. Dépeignant un quotidien où règne la logique de bande et la guerre de tous contre tous, le nihilisme de Prodigy se fait ensuite sentir à chaque mesure jusqu’à ce « I’m only 19, but my mind is older » qui aujourd’hui encore glace le sang.

Shook Ones ou la bande son parfaite pour suriner un rival dans une allée.

« Je me souviens très bien du jour où j’ai écrit » raconte là encore Pee. « J’étais posé complétement défoncé, probablement à la weed, il y avait surement de la dust, des 40s dans tous les sens… C’était peut-être le première fois que nous étions genre ‘Whoa, ce truc est dingue, c’est pas comme d’habitude mec. Ce n’est pas normal.’ Nous savions sur le coup que nous tenions quelque chose. »

Un beat indémodable

De son côté Havoc n’est pas en reste. Outre son « For every rhyme I write it’s 25 to life » (une référence aux peines planchers, reprises ensuite à l’infini par ses homologues), il réalise un coup de maître avec ce qui est l’une de ses toutes premières instrus.

« Je l’ai composé dans la baraque de ma mère, à Queensbridge. Cette maison m’a beaucoup inspiré en raison de son environnement et du fait que je pouvais directement m’en servir en montant ensuite à l’étage pour taffer. À l’époque je travaillais souvent seul, je n’avais personne pour me donner un avis. Comme je n’étais pas forcément emballé par le résultat, je suis d’ailleurs passé à deux doigts d’effacer la piste… Dieu merci je ne l’ai pas fait, sinon je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. »

Non seulement le beat est rentré dans la légende (quel rappeur n’a pas posé un freestyle dessus depuis 20 ans ?), mais il a également boosté la confiance du jeune Hav’ en ses capacités, lui qui venait tout juste de débuter derrière les consoles parce qu’il ne trouvait pas chez les autres producteurs ce qu’il voulait entendre.

Étonnamment le sample utilisé pour l’instru est longtemps resté un mystère. D’une part parce que seules quelques secondes sont utilisées, de l’autre parce qu’Havoc lui-même en a oublié sa provenance.

Un mystère résolu il y a quelques années seulement par un journaliste du LA Times : il s’agit du Jessica d’Herbie Hancock sortie en 1969 sur son album Fat Albert Rotunda. La vidéo ci-dessous décompose la manière dont Havoc a brillamment façonné son matériau de base.

Ou quand le sampling ne consiste pas à copier/coller des tubes funky…

Enfin comment ne pas mentionner le clip tourné en plein QB, où au milieu des 96 tours de briques qui forment la plus grande cité HLM du pays, les deux emcees riment red cups à la main, vêtus de leurs célèbres jerseys Hennessy et de leurs Timberland boots.

Notez que Shook Ones connaitra à plusieurs reprises une seconde jeunesse, notamment en étant repris en 1997 par Mariah Carey pour son single The Roof qui invite le duo au micro ainsi que leur lascar de toujours Big Noyd, et bien sûr en 2002 pour la scène finale d’anthologie d’8 Mile.

R.E.P. Prodigy.

https://www.youtube.com/watch?v=YAHZXLo-tpk

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