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Doc Gynéco, itinéraire d’un enfant cramé [DOSSIER]

Doc Gynéco, itinéraire d’un enfant cramé [DOSSIER]

Dans le rap jeu francophone, rares sont ceux qui sont montés si haut avant de descendre si bas…

Ce vendredi 27 avril sortira, presque 22 ans jour pour jour après Première consultation, 1000%, le septième album de Doc Gynéco, son premier depuis dix ans.

Si en 2018 sortir un album de rap ne tient clairement plus autant du parcours du combattant que dans les années 90, ce come back en bonne et due forme du Doc’ tient ici du petit exploit tant l’ex-idole aura brûler son succès par les deux bouts.

Retour en 1.9.9.8.

À une époque où le distinguo entre underground et commercial structurait le rap de France, un collectif va faire bouger les lignes comme aucun autre avant lui : le secteur Ä.

Capitalisant sur l’image sulfureuse du Ministère AMER qui, dans la première partie de la décennie jouait à fond la carte lascars de banlieue, les Kenzy, Stomy Passi & Co n’en désirent pas moins devenir des petites vedettes du show-business au même titre que n’importe quel chanteur de variété.

Pour percer la bande dispose d’un atout de poids en la personne de Bruno Beausir, un jeune branleur du 18ème arrondissement qui traîne ses guêtres dans leur giron depuis quelques années déjà – cf. l’inoubliable « mais léchez-les » sur Les rates aiment les lascars.

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Plutôt que donner dans le rap pur et dur, la Secte Abdulaï s’attelle à produire un premier album radio friendly (pour ne pas dire Skyrock friendly, tant la radio faisait alors la pluie et le beau temps sur le rap tricolore) mâtiné aux sonorités G-funk (le disque est enregistré à Los Angeles avec de vrais instruments, sous la direction de l’ingé son Ken Kessie).

La formule brouillant les limites jusque-là bien établies avec la variété permet ainsi au Doc de donner la pleine mesure de son charisme à base de m’en-foutisme carabiné et de cynisme rigolard, le tout saupoudré de rimes salaces et d’innombrables références au ballon rond (et tant pis s’il n’est pas le plus technique des emcees).

Viens voir le Docteur, Dans ma rue, Passement de jambes… les singles s’enchaînent deux ans durant (!), le CD rose bonbon de Première consultation se payant le luxe de flirter avec le million d’exemplaires (physiques) vendus.

Le Gainsbourg du rap

Loin de se contenter de jouer au pantin pour promo, Gynéco montre très vite une certaine distance, pour ne pas dire un certain malaise, face à cette célébrité nouvelle. Moins hédoniste que ne voudrait le laisser croire sa caricature, l’auteur de Nirvana semble toujours un peu (beaucoup) enfermé dans sa bulle, entre interviews lunaires et playbacks volontairement foirés.

C’est ainsi que tandis que fans, médias, et surtout sa maison de disques, attendent son second disque, Gynéco, 23 ans, prend tout ce petit monde à contrepied en se lançant dans un projet d’un genre nouveau : le pharaonique Liaisons Dangereuses.

Exercice d’ouverture jamais vu jusque dans le rap jusqu’alors (et jamais vu depuis), cette vraie/fausse compilation propose une tracklist où s’entrecroisent les noms les plus improbables (la Mafia Trece, Catherine Ringer, les potos de Garges-Sarcelles, Bernard Tapie, un MC Jean Gab’1, tout juste sorti de cellule, Renaud…) sur des sonorités tout aussi improbables (cordes, sample de Jimi Hendrix, guitares de mariachi…).

Point d’orgue du disque, cet Homme qui ne valait pas dix centimes aussi vengeresse que désabusé dirigé contre une industrie du disque toujours prompte à broyer ses élèves les plus appliqués.

Si le résultat n’est pas toujours à la hauteur de ses ambitions, il n’en pose pas moins les bases d’une suite de carrière que l’on imagine volontiers loin des chemins de l’uniformisation, quitte à emmener le rap de France là où il n’est jamais osé aller.

La suite sera malheureusement autre.

« Y’avait des mots pour le Secteur, des mots violents, presque en verlan »

Nouveaux amis, nouvelle feuille d’impôts, nouvelles obligations… non seulement les lendemains de disque d’or donnent la gueule de bois au Doc’, mais comme si ce n’état pas assez il se retrouve à la une des médias mainstream pour ce qui reste l’un des faits divers les plus tarabiscoté du rap français – fait divers dont les dessous ne seront révélés que des années plus tard.

En bisbilles contractuelles avec le Secteur Ä qui côté coulisses est géré comme un poulailler, l’entourage du rappeur met au point une combine pour le libérer de son contrat en faisant croire à une histoire de violence et de séquestration dont il aurait été la victime.

Une page se tourne.

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Pour son second solo officiel en 2001, le toujours très sous-estimé Quality Street, Gynéco ne fait d’ailleurs plus mystère de ses tourments et idées noires (la rumeur parle de séjour en HP).

Bien loin de l’ado qui posait dans sa chambre sur la pochette de Première consultation, celui qui souhaite désormais en finir avec son alias gynécologique et se faire appeler Bruno, livre à nouveau un disque qui ne ressemble à aucun autre. Un disque là encore imparfait, tantôt bancal tantôt génial, un disque aussi mélodieux que torturé. Un disque qui l’éloigne toujours un peu plus du reste du monde.

C’est ainsi sans surprise que son essai suivant s’intitule Solitaire. Décevant tant commercialement qu’artistiquement (preuve de cette débâcle il a reçu pour l’occasion une Victoire de la musique…), il lui vaut d’être remercié de chez Virgin.

De poète maudit à amuseur public

Paradoxalement, c’est à cette époque que le personnage supplante définitivement l’artiste.

Premier rappeur ever à se voir gratifier d’une marionnette aux Guignols de l’info, Doc G déjà client régulier d’émissions de télé devient chroniqueur dans On ne peut pas plaire à tout le monde présentée par Marc-Olivier Fogiel sur France 3, quand il ne participe pas à différentes télé-réalités dont on préfère ne pas se souvenir.

Serrant de moins en moins de mains et claquant de plus en plus de bises (fini Daniela Lumbroso, bonjour Christine Angot), il s’enferme toujours un peu plus dans cette caricature de bouffon abruti au chichon quitte à passer pour le rappeur alibi de ceux qui n’aiment pas le rap.

Et ce n’est pas son double album de 2006 Un homme nature / Doc Gynéco enregistre au quartier (où tout n’est cependant pas à jeter) qui vient rehausser sa crédibilité.

Suicide musical toujours, tout ceci n’est cependant rien face à l’annonce en 2006 de son soutien à Nicolas Sarkozy.

Qu’importe si les valeurs d’un certain rap frayent depuis toujours avec les valeurs d’une certaine droite, qu’importe sa rime prophétique sur J’sais pas remplir ma feuille d’impôts « Mec solitaire et ordinaire, qui penche à gauche, comme le Kouchner », qu’importe la liberté de penser de chacun, Gynéco incarne la figure absolue du traître à la cause.

Et plutôt que de rétropédaler, le nouvel encarté à feu l’UMP n’hésite pas à en rajouter une couche : non seulement lil s’affiche de toutes ses forces aux côtés de l’ancien ministre de l’Intérieur, mais il va jusqu’à publier l’année suivante un livre de soutien intitulé Les grands esprits se rencontrentune bouillie de voyelles et de consonnes telle que le staff de campagne de Sarko a dû demander à la dernière minute à l’éditeur de recadrer la photo de couverture pour que leur champion n’y figure pas.

Pour couronner le tout, son sixième solo Peace Maker produit Mosey (alias Pierre Sarko) s’écoule à moins de 2 000 petits exemplaires.

Entre ça et sa condamnation pour fraude fiscale, l’ami Bruno Beausir se voit alors contraint de pointer tout penaud au RSA en 2010 (désolé Alkpote).

Triste.

« Foncedé mais pas teubé »

Tandis que l’histoire aurait pu s’arrêter sur cette queue de poisson, un anniversaire vient raviver la flamme : les vingt ans de Première consultation en 2017.

Toujours présent dans le cœur des fans (en gros : les filles du moove, quelques rappeurs pas toujours bien intentionnés, ceux qui viennent chez toi quand tu n’es pas là et toutes les Vanessa de la terre) qui lui pardonnent ses écarts passés, semblable à un rescapé des yéyés le Doc’ surfe sur cette vague de nostalgie à coup de rééditions et concerts qui lui redonnent de sacrées couleurs – et tant pis si certaines prestations sur scène sentent clairement la banane.

Est logiquement annoncé un nouvel album (mais aussi un Liaisons Dangereuses 2, mais ne nous emballons pas trop), qui après moult atermoient et quelques singles envoyés en éclaireur, va bel et bien voir le jour.

Question : au-delà de la simple bonne nouvelle de voir l’un des types les plus attachants du game revenir d’entre les morts, que peut-on espérer de ce 1000% ?

Clairement ceux qui attendent une réouverture de son cabinet à toutes les heures en seront pour leur frais, surtout au vu de la teneur du trio de singles présentés (France / Obscurité / Ma Fille).

Si sa nonchalance légendaire ne l’a pas abandonné, à présent quarantenaire le Doc’ joue la carte de la bienveillance, non sans rogner sur les terres d’un Laurent Voulzy et ou d’un Yannick Noah.

Pas dit que l’entièreté de son ancien public apprécie, pas dit également qu’il ne conquiert pas là un nouveau public.

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