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Kid Cudi de retour en grâce avec « Man On The Moon: The Chosen »

Kid Cudi de retour en grâce avec « Man On The Moon: The Chosen »

Alors qu’il vient de publier le tout dernier opus de sa célèbre série d’albums, retour sur une trajectoire unique et un disque réussi.

A l’orée de 2021, Kid Cudi a fait un retour triomphal avec son tout nouvel album Man On The Moon: The Chosen. Alors que l’on a failli croire cette série d’albums abandonnée, son auteur l’a ressuscitée dix ans plus tard avec un troisième volume extrêmement attendu. A cette occasion, retour sur la trajectoire sinueuse de Scott Mescudi dans l’espace : rapidement mis sur orbite par grâce à une musique charismatique et des collaborations à succès, ses tourments l’ont fait s’abîmer durant plusieurs années durant lesquelles il a bataillé contre lui-même pour retrouver son royaume spatial.

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« Man on the moon », la mise sur orbite

Si cette série d’albums est née en 2009 avec un opus désormais considéré comme un classique, le son si particulier de Kid Cudi était déjà audible un peu plus tôt. C’est en 2008 que le destin de Kid Cudi prend une tournure exceptionnelle. En juillet de cette année, le rappeur originaire de Cleveland publie son tout premier projet, une mixtape nommée A Kid Named Cudi qui transcende la notion même de carte de visite. Infiniment plus qu’une simple présentation, ce premier jet constitue les fondations de son univers sonore, celui-là même qui a repoussé les frontières du rap. À l’heure ou la trap agressive d’Atlanta est en train de conquérir le sud des Etats-Unis et où le gangsta rap est encore roi, Kid Cudi tranche par sa musique éthérée, gorgée d’émotion et dont les codes se résument à renverser ceux précédemment établis. Derrière le hit Day N Nite se cache en effet un univers complexe où se côtoient l’euphorie et la torpeur, le tout dans une ambiance musicale qui esquisse un vide intersidéral que le rappeur emplit de couleurs psychédéliques.

Kid Cudi tranche par sa musique éthérée, gorgée d’émotions

Toute une génération d’auditeurs désabusée en quête d’émotions fortes s’immerge volontiers dans cet univers fascinant, dont Kanye West en personne. Le rappeur s’abîme dans sa vie d’artiste à succès tandis que plusieurs drames le frappent : sa mère meurt sur la table d’opération tandis qu’il rompt avec sa petite-amie Alexis Phifer. Peiné, il se retrouve pleinement dans le travail de Kid Cudi et s’inspire fortement de ce dernier pour son quatrième album 808s & Heartbreak, autrefois décrié mais à qui le temps a rendu ses lettres de noblesse. Véritable source d’inspiration pour tout l’emo rap qui a émergé durant les années 2010 sur SoundCloud – Lil Uzi Vert avait notamment confié que ce disque était son préféré de tous les temps -, cet album façonné par le spleen et l’autotune de T-Pain ou encore Lil Wayne n’aurait certainement pas eu la même face sans Kid Cudi, qui a co-écrit plusieurs titres et que l’on retrouve en featuring sur le titre Welcome to Heartbreak.

Fort de ces multiples faits d’armes, il se met donc définitivement en orbite en 2009 avec Man On The Moon: The End Of The Day dont le nom est inspiré d’un film avec Jim Carrey. Cet album, le premier d’une série qui collera la peau à son auteur durant toute sa carrière, est également à ce jour le plus gros succès de sa carrière : il est certifié double disque de platine par la RIAA aux Etats-Unis (+ de 2 millions d’albums vendus). Dans cet opus aux productions extrêmement colorées qui esquissent une épopée spatiale fantaisiste, Kid Cudi étale une mélancolie à laquelle personne ne semble pouvoir remédier, ni lui ni les drogues qui circulent dans son sang. Malgré sa neurasthénie latente, le rappeur torturé trouve l’énergie de signer d’autres tubes : il s’immisce un peu plus dans les soirées grâce à Pursuit of Happiness, titre sur lequel on retrouve MGMT et Ratatat, deux groupes issus de la musique électronique – une nouvelle preuve formelle de son exceptionnelle ouverture musicale qui s’étendra plus encore au cours de la décennie suivante. Un an plus tard, il poursuit son voyage spatial en approfondissant sa série d’albums. Man On The Moon: The Legend of Mr. Rager marque une réelle progression : Kid Cudi densifie sa palette d’émotions et n’est plus l’artiste unidimensionnel que beaucoup lui reprochaient. Une fois de plus, il multiplie les expérimentations et confirme son goût pour le rock – un amour qu’il explorera plus tard dans sa carrière – avec Kanye West sur Erase Me.

Les années 2010 : perdu dans le cosmos

Si la suite de sa carrière est beaucoup moins prodigieuse en termes de succès commerciaux, elle est on ne peut plus fidèle à l’artiste radical qu’est Kid Cudi. Féru d’expérimentations, pionnier, il se lance à corps perdu dans son album Indicud en 2013. La production majoritairement assurée par lui-même lève le voile sur un univers beaucoup plus sombre. Aucune étoile à l’horizon ne vient éclaircir le noir complet de son âme sur cet opus dans lequel il est empli de rage. Furieux contre ses détracteurs, contre ses pairs, contre la célébrité, contre lui-même et surtout contre sa mélancolie persistante, il se réfugie dans le courroux. Puis deux ans plus tard, il prend de nouveau son public de court avec Speedin’ Bullet 2 Heaven. Cette fois, la colère s’est effacée au profit d’idées noires : Kid Cudi signe un disque décrié dans lequel il abandonne le rap au profit du rock et du grunge de Nirvana, le tout étant criblé de mentions au suicide. Ensuite, Passion, Pain & Demon Slayin’ est paru à une période de sa vie où l’artiste était en proie à des problèmes mentaux qui l’ont conduit à être interné en hôpital psychiatrique. Aucun de ces trois albums n’a su convaincre pleinement le public. Toutefois, il n’a toutefois jamais douté de son talent. Grand bien lui en a pris : ses errements dans l’espace sont bientôt terminés.

C’est en groupe qu’il a trouvé le second souffle de sa carrière

C’est en groupe qu’il a trouvé le second souffle de sa carrière. De sa longue amitié avec Kanye West est né en 2018 un album commun spirituel nommé KIDS SEE GHOSTS. Alors que les deux hommes ont tous les deux été affectés par des problèmes mentaux au cours de leurs vies, ils se sont associés dans un désir commun de guérison et de rédemption. Aussi court soit-il, ce projet est un cri du cœur, une ode à la vie dominée de la tête et des épaules par Kid Cudi, bien plus transcendant que son comparse. C’est lui qui brille par le charisme de sa voix et par son interprétation d’une absolue justesse sur Reborn, la clé de voûte et accessoirement le morceau le plus plébiscité du projet à plus d’un titre. C’est également lui à la baguette de la conclusion parfaite du projet, Cudi Montage, le tout sur un sample de… Kurt Cobain. La légende du rock le suit dans les abîmes comme sur les plus hautes cimes. Auprès de Dieu, il retrouve des forces et entame sa convalescence : la prophétie est en marche.

Deux ans plus tard, sa résurrection se poursuit aux côtés de l’une des plus grosses têtes d’affiche du rap américain actuellement : Travis Scott. Ce dernier a pour rappeur préféré Kid Cudi et lui a rendu hommage en incorporant son prénom (Kid Cudi s’appelle Scott Mescudi, ndlr) dans son nom de scène. Les deux hommes avaient collaboré une première fois en 2016 sur l’album Birds In The Trap Sing McKnight au travers de through the late night… Quatre ans plus tard, ils sont devenus un groupe : THE SCOTTS. Leur premier single officiel, révélé lors d’une performance scénique retransmise sur Fornite, est un carton absolu. Il s’agit d’ailleurs du tout premier single de Kid Cudi à se classer à la première place des charts aux Etats-Unis. Petit à petit, il retrouve le chemin de la Lune, son trône.

Un retour triomphal sur la Lune, son trône

Durant toute cette décennie dernière, les nombreux fans de Kid Cudi à travers le monde ont tant attendu le troisième volet de la série Man On The Moon. Annoncé depuis déjà plusieurs années, il a mis beaucoup de temps à arriver : l’écorché vif avait besoin de vivre ce voyage initiatique, de traverser des épreuves, de confronter son art à toutes les formes de musiques afin de revenir vers son public avec le projet référence qui manque à sa carrière. C’est chose faite désormais : le 11 décembre dernier, il a publié sur toutes les plateformes de streaming Man On The Moon: The Chosen, un véritable retour en grâce après un parcours cahoteux. L’album a été conçu en quelques semaines durant le confinement : frappé par la solitude, inspiré par des épreuves, il a fait une croix sur Entergalactic (pour le moment) afin d’offrir cet album que les fans souhaitaient depuis dix ans. La preuve de cette attente est son succès commercial : d’après des chiffres rapportés par Ventes Rap, le disque s’est écoulé à plus de 148 000 exemplaires en une semaine aux Etats-Unis, un démarrage trois fois supérieur à son album solo précédent Passion, Pain & Demon Slayin’.

Man On The Moon: The Chosen, l’opus est le plus spectaculaire de sa discographie

Cet opus est le plus spectaculaire de sa discographie : la première moitié du disque est un festival de couleurs défilant à un rythme très soutenu, le point d’orgue étant sans aucun doute le banger Show Out, une collaboration avec Skepta et le regretté Pop Smoke sur une instrumentale de drill. Sur ce titre au potentiel de hit, Kid Cudi se renouvelle une fois de plus tandis que le rappeur anglais s’amuse à rapper qu’il a des pistolets qui font la taille de Kevin Hart. Le dynamisme est également marqué par un certain retour au rap : dans une interview accordée à Zane Lowe, Kid Cudi a confié que Travis Scott lui avait dit qu’il aimait beaucoup quand il rappait. Cette envie tombait bien : l’artiste avait envie de prouver qu’il a toutes les qualités d’un excellent emcee, notamment en élevant le niveau de son écriture. Ainsi, il fait étalage de tout son talent avec des flows rappés sur des titres comme Another Day, Damaged ou encore Heaven On Earth, un sombre banger dans lequel il use de variations de sa voix mais également d’ad-libs autotunés, une nouvelle corde à l’arc de Kid Cudi. Lui qui était si peu familier de cet accessoire musical s’est mis à jour dans une volonté d’être encore plus accrocheur. Toutefois, l’expression la plus éclatante de sa modernité se fait au travers de She Know, un titre dans lequel il alterne sans le moindre effort rap et chant, le tout saupoudré d’ad-libs et d’un beat switch à la manière de Travis Scott, l’homme qu’il a sans doute le plus influencé.

Surtout, ce nouvel album marque un véritable tournant dans la carrière du rappeur. Âgé de 36 ans désormais, il a enfin embrassé le bonheur. Dans ce disque, il a arrêté de s’enliser dans son combat contre des démons corrosifs qui le tuaient à petit feu. À la place, il a choisi de se battre pour continuer à vivre, continuer à vivre heureux. La solitude et l’angoisse qui le dévoraient auparavant, des thèmes toujours très prégnants dans ses textes, n’ont plus raison de lui désormais. Libéré de cette emprise, il peut enfin se plonger plus sainement dans son passé comme sur Elsie’s Baby Boy (flashback), un titre dans lequel il revient sur la mort de son père qui l’a énormément affectée. Toutefois, derrière cette sombre face, il est en réalité un vibrant hommage à sa mère qui a tout fait pour garder sa famille unie, lui qui a également deux frères et une sœur. Dans cette seconde partie du disque, les hommages à ceux qui l’ont aidé à surmonter ses épreuves pleuvent. Sept. 16 est dédié à sa petite-amie dont il chérit l’amour salvateur qu’elle lui porte tandis que Kid Cudi prend le temps de remercier son public toujours à l’écoute de son art sur The Void en leur promettant qu’il ira mieux. Qu’il n’ait plus à s’inquiéter désormais : que ce soit musicalement ou personnellement, Kid Cudi est dans la forme de sa vie.

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