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Ce jour où… 2Pac est devenu l’ennemi public numéro 1

Ce jour où… 2Pac est devenu l’ennemi public numéro 1

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où le vent de la polémique a soufflé très fort sur le Californien…

12 novembre 1991. Apprenti acteur, ex-danseur au sein du groupe Digital Undergound, Tupac Amaru Shakur inaugure sa carrière de rappeur avec la sortie de son premier album 2Pacalypse Now.

Classé 64ème des charts en première semaine, il ne marque pas spécialement les esprits, quand bien même certains morceaux comme I Don’t Give a Fuck ou Brenda’s Got a Baby deviendront par la suite des classiques de sa discographie.

Rappeur confidentiel à cet instant T, quelques mois plus tard 2Pac va voir sa popularité bondir à l’occasion d’un fait divers des plus morbides.

Le 11 avril 1992 à Port Lavaca, près de Houston, Ronald Ray Howard, 19 ans, dealeur à la petite semaine, est arrêté au volant d’un SUV volé par un agent de la Texas Highway Patrol, Bill Davidson, 43 ans.

Quand ce dernier arrive à sa hauteur, avant même qu’il n’ait le temps de finir de se présenter, Howard saisit son pistolet 9mm et lui tire une balle dans le cou, avant de prendre la fuite.

Arrêté quelques heures plus tard après avoir percuté une maison, il confesse sans difficulté son crime.

Davidson décède trois jours plus tard des suites de sa blessure.

Si au pays du crack et des armes en vente libre, un tel fait divers n’occupe en temps normal qu’un encart dans la presse locale, il est un détail qui ici va donner une toute autre tournure à l’affaire : une copie cassette de 2Pacalypse Now a été retrouvée à l’intérieur du véhicule du meurtrier.

Étonnamment, c’est dans un premier temps l’avocat de Ronald Ray Howard, Allen Tanner, qui soulève le problème.

« À l’époque, je ne savais absolument pas ce qu’était le gangsta rap, mais quand j’ai découvert ce que ce jeune homme écoutait comme musique cela m’a fasciné. C’est là que j’ai eu l’idée de l’utiliser comme moyen de défense pour lui éviter la peine de mort. »

Tanner se penche alors sur les paroles de différents titres qui semblent faire l’apologie des violences à l’encontre des policiers.

Dans Crooked Ass Nigga, 2Pac menace par exemple directement les forces de l’ordre.

« J’ai un tech-9 sur moi/Ces putains de flics sont en train de remonter la rue/Le premier qui me demande de lever les mains, je le shoote dans les genoux » (« I got a tech-9 now his smokin’ ass is mine /Comin’ quickly up the streets is the punk ass police/The first one jumped out and said freeze I popped him in his knees »)

Mieux, dans Soulja’s Story il évoque une situation similaire à celle de son client, une course-poursuite qui se termine en homicide.

« Les flics sont à mes trousses, je dois les semer/Ils finissent par m’arrêter, ça me fait marrer/Je lui ai demandé s’il se souvenait de Rodney King avant de lui en coller une/Et me voilà avec un meurtre sur le dos » (« Cops on my tail, so I bail till I dodge ’em/They finally pull me over and I laugh/’Remember Rodney King?’ and I blast on his punk ass/Now I got a murder case? »)

La Maison blanche s’en mêle

À sa décharge, le gangsta rap, cette branche du rap nouvelle qui retranscrit au plus près les vicissitudes de la vie de rue, se retrouve régulièrement dans l’œil du cyclone, notamment pour attiser la haine anti-flics.

Ce sont les N.W.A. qui en 1988 ont ouvert la voie avec leur brûlot Fuck Tha Police, avant de passer la seconde avec Efil 4 Zaggin, un album accusé « d’attiser les cauchemars raciaux de l’Amérique blanche ». C’est Ice-T qui en 1991 s’est attiré les foudres de la censure en jouant avec un peu trop d’ardeur au tueur de flics dans Killer Cop.

Ainsi, très vite les médias s’emparent de l’affaire, avant que les politiques prennent le relai.

Intronisé « rappeur le plus dangereux pays », 2Pac se voit pris à partie par Dan Quayle, le vice-président des États-Unis en personne !

Déjà à la manœuvre un an plus tôt pour pousser Time Warner à interdire Killer Cop, en septembre 1992, il s’en va rencontrer la fille de la victime, puis publie dans la foulée un communiqué dans lequel, sans nommer ni le rappeur ni son album, il appelle de nouveau à faire front.

« Une nouvelle fois, nous devons faire face à un acte d’irresponsabilité émanant d’une grande entreprise. Il n’existe aucune raison valable pour qu’un tel disque soit distribué par une entreprise un minimum responsable. Je suggère qu’Interscope, filiale de Time Warner, retire ce disque de la vente. Il n’a pas droit de citer dans notre société. »

En sus, la famille Bill Davidson poursuit 2Pac et Interscope au civil au motif que 2Pacalypse Now incite à l’illégalité.

La réaction de 2Pac ? Visiblement ravi d’une telle publicité, il déclare :

« Damn, le vice-président parle de moi, un jeune renoi du ghetto. Il connait mon nom ! Il veut que ma musique soit virée des bacs. Vous savez pourquoi ? Parce que ma musique est différente de celle des autres. Ma musique dit aux renois de se débarrasser de ces vieux croûtons. Ma musique parle de rendre les coups. Et ça ils le savent, c’est pour ça qu’ils s’en prennent à moi. »

S’il ne s’exprime ensuite plus sur le sujet, 2Pac dévoile toutefois en février 1993 le morceau Souljah’s Revenge dont l’intro référence indirectement l’affaire – il y est interrogé par des policiers sur la violence de ses paroles avant qu’un coup de feu n’éclate.

Le rap convoqué à la barre

Quand vient le procès de Ronald Ray Howard en juillet 1993, la défense met donc le paquet pour soutenir que sans l’influence du gangsta rap jamais il ne serait passé à l’acte.

Et tant pis si avant que son avocat lui souffle à l’oreille cet argumentaire, Howard n’avait jamais mentionné de près ou de loin 2Pac ou qui que ce soit pour expliquer son geste.

« D’où je viens, on déteste la police. Ils vous harcèlent pour rien, simplement par ce que vous êtes un jeune noir comme le dit Tupac. Ça ne m’était jamais venu à l’esprit de leur rendre la monnaie de leur pièce. Mais ça, c’était avant que j’écoute N.W.A. » assure-t-il ainsi sous serment.

Plus explicite encore, lorsqu’il se remémore la nuit du 11 avril 1992, c’est sous une toute nouvelle perspective : « Quand j’y repense, moi qui passais mon temps à écouter de la musique anti-flics, je me suis dit que c’était l’occasion. Le gun, la musique, le flic, tout était réuni. Toute cette haine est remontée en moi. »

Pour appuyer son propos, Tenner n’hésite pas à faire écouter aux jurés parmi ses chansons « tueuses de flics » préférées comme celles des Geto Boys, d’Ice Cube ou de Ganksta N-I-P.

Sans surprise, du côté des rappeurs cités on apprécie que très peu ce name dropping, d’autant plus que la défense tente de convoquer aux audiences Scarface (membre des Geto Boys) et Ganksta N-I-P.

« La mort de ce flic n’a rien à voir avec le rap et Howard le sait. Aucun rappeur n’était assis sur le siège passager pour lui dire de tirer. Howard a tiré de son propre chef » s’outre Scarface.

Même son de cloche chez Ganksta N-I-P qui estime lui que « si Howard s’était contenté d’écouter la musique au lieu de faire ce qu’il a fait, peut-être qu’il ne se serait pas retrouvé dans cette situation ».

Chez Time Warner, le sentiment est plus mitigé.

Certes officiellement la major défend ses artistes par la voie de ses représentants (« Cette tragédie relève plus de l’industrie de l’armement que de celle de la musique. Ce n’est pas une chanson qui a tué ce brave policier, c’est une balle »), mais en coulisses on s’inquiète de ce nouveau scandale, tant en termes d’image que de possibles répercussions légales.

Là encore, comme avec Killer Cop d’Ice T, cet épisode pousse l’industrie du disque à resserrer un peu plus l’étau autour des rappeurs, les limites à ne pas franchir dans leurs textes se faisant on ne peut plus claires.

L’heure du verdict

Lorsque les membres du jury se retirent pour délibérer, il s’agit pour eux de déterminer, non pas si Howard est coupable, mais s’il mérite ou non la peine capitale.

Tandis qu’aucun début de preuve scientifique n’appuie la thèse selon laquelle une musique à elle seule puisse pousser au meurtre, seul un juré admet l’éventualité qu’Howard ait pu être sous emprise au moment des faits.

Six jours d’intenses débats plus tard, le 14 juillet, il est condamné à mourir par injection.

La sentence a été exécutée en 2005.

Sources : LA Times, Clark Prosecutor, Slate

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