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Interview portrait de Piche, Drag Queen et rappeuse : « Le rap, c’est fait pour dénoncer les maltraitances faites sur les minorités »

Interview portrait de Piche, Drag Queen et rappeuse : « Le rap, c’est fait pour dénoncer les maltraitances faites sur les minorités »

Candidate emblématique de la saison 2 de l’émission « Drag Race France », Piche (nom de scène de Mike Gauthier) est une artiste aux multiples facettes : danse, chant et rap, discipline qu’elle a dévoilé lors du deuxième épisode de l’émission dans l’épreuve du « Talent Show » à travers laquelle les candidates doivent montrer leur talent caché. Son titre Confess cumule à ce jour plus d’1,1 M de streams sur Spotify, et elle dévoile ce samedi son premier EP : Festin, composé de sept titres. À cette occasion, elle est passée chez Booska-P pour se faire tirer le portrait et démystifier son parcours, l’art du Drag, et ce qui l’a poussé à se lancer dans le rap.

Anna Cuaz : Piche, bonjour !

Piche : Bonjour !

A : Pour commencer, j’aimerais qu’on parle de tes origines : tu es issu d’une culture algérienne et gitane, qui ne sont pas les cultures les plus LGBTQIA+ friendly, comment tu t’es construit en ne te perdant pas et en assumant ta sexualité ?

P : Dans mes cultures, il y a un vrai truc qu’on appelle « la technique de l’autruche », c’est-à-dire que même si on sait que ça existe, on n’en parle pas. Je pense que quand j’étais plus petit, je faisais un peu comme si ça n’existait pas : j’étais moi-même, mais je ne prêtais pas forcément attention aux gens trop différents et je restais un peu dans mon cercle. Mais c’est arrivé assez rapidement vers l’adolescence où je me suis rendu compte très vite de ma sexualité, et ma mère s’en est rendue compte encore plus vite parce que c’est comme ça que sont les mamans (Rires).

Il est arrivé un moment où il fallait que je fasse le choix de vivre pour moi ou de vivre pour les autres et il était hors de question que je décide de ne pas vivre la vie que je voulais mener sous prétexte que d’autres personnes ne le voulaient pas. J’ai développé assez rapidement ce truc de me dire que la personne la plus importante dans ma vie, c’était moi, donc il fallait que j’avance pour moi. Je pense que quand on est comme moi et qu’on vient de là où je viens, il faut être capable de se construire une famille qu’on choisit, c’est le plus important. 

A : Tu es parti de chez ton père après ton coming out à 13 ans, tu peux nous raconter comment tu as rebondi après ça ?

P : Comme je l’ai raconté dans Drag Race, mon père ne partageait pas forcément mes idées et ça a fait que je suis parti très jeune parce qu’on ne m’a pas laissé rester chez moi. Je suis ensuite parti en école de danse, car je suis danseur de métier et c’était important d’assurer mon avenir et ma profession. J’ai coupé les ponts avec certains membres de ma famille, dont mon père en 2018, parce qu’il était hors de question que je garde dans ma vie une personne qui ne voulait pas m’accepter comme je suis. Je ne vois pas pourquoi je perdrai du temps et de l’énergie pour une personne qui ne m’aime pas dans mon entièreté.

A : Ta mère a fait un discours très touchant lors de la finale de Drag Race, appuyant sur son soutien inconditionnel à ton égard, tu peux nous parler un peu de votre lien ?

J’aimerais que tout le monde ait une personne comme ma mère dans sa famille. J’ai toujours eu une relation très importante d’acceptation avec ma mère et on a été assez fusionnels même si on s’est séparés tôt vu que je suis parti dans différentes villes pour la danse. Elle ne m’a jamais forcée à rien, elle a toujours été dans l’écoute de tout et a toujours été là au moindre problème, tout comme mon frère jumeau et ma sœur. J’ai la chance d’avoir ce petit cercle-là de trois personnes qui sont vraiment exceptionnelles.

A : J’aimerais qu’on parle de tes débuts dans le monde artistique. Tu commences ta carrière en tant que danseur, et tu obtiens un rôle dans la troupe de Marry Poppins à Disneyland, puis ta première expérience en tant que Drag se fait dans la troupe du Fashion Freak Show début 2018, tu peux nous raconter comment ça s’est fait ?

P : J’avoue que c’est une des rares auditions de ma vie que j’ai réellement sentie. Quand j’ai vu l’affiche, il y avait écrit en bas : « Ouvert à tous types de profils, pour tout le monde ». Je me suis dit ok, c’est pour moi, c’est pour les gens différents, les gens qui n’ont pas forcément leur place dans tels ou tels carcans. Il y avait environ 1000 personnes à l’audition, et j’ai essayé de me démarquer et ça a visiblement payé puisque j’ai été retenu.

A : Tu as interprété Counchita Wurst, en lipsyncant sur son tube : Rise Like a Phoenix, c’était ton premier rôle en tant que Drag ?

P : Alors, c’est drôle parce que c’est à la même période qu’on m’a fait découvrir Ru Paul’s Drag Race (la version originale de Drag Race France, lancée par la Drag Queen Ru Paul aux États-Unis en 2009, ndlr), j’ai fait tout de suite le lien avec ce que je faisais sur scène. Ce n’était pas vraiment du Drag ce que je faisais pour Jean-Paul Gauthier comparé à ce que je fais maintenant, mais ça a éveillé un truc en moi. Je me suis rendu compte que j’adorais faire ça et que depuis toujours, j’étais une Drag Queen. Le Drag représente artistiquement tout ce que j’aime : on n’a pas besoin d’être dans une case, le Drag c’est une forme de liberté artistique totale. J’ai commencé le Drag officiellement lors d’une compétition locale parisienne (la Drag Me Up, ndlr) en février 2022.

A : Dans ton drag, tu mêles ton côté féminin et masculin, en décidant de mettre en avant ta barbe par exemple, tu avais la volonté de créer un personnage androgyne pour déconstruire les idéaux de genre ?

P : Honnêtement, c’est pas vraiment calculé, je suis vraiment comme ça. Du coup même si ne voulais pas, je crois que je ne pourrais pas faire autrement. Piche, elle n’est pas si éloignée de ce que je suis dans la vie de tous les jours. Pour moi le drag, c’est un outil, de la même manière que la danse ou le chant… Ce sont juste des vecteurs par lesquels je m’exprime artistiquement. Le drag est visuel donc ça va jouer tout de suite avec les vêtements qu’on genre beaucoup et qu’on associe directement au masculin ou au féminin. Au début j’avais un peu peur de ça, de garder ma barbe etc… mais ça me permet de me démarquer. J’ai fait de l’art pour montrer ce que j’ai de différent. Je peux être autant Beyoncé sur scène que Drake quand la musique s’arrête (Rires). Je sais m’adapter aux personnes en face de moi.

A : En 2023, tu es sélectionné dans le casting de la saison 2 de Drag Race France, comment tu as été approché ? Tu peux me parler de cette expérience ? 

P : Lors du lancement de la version française de Drag Race, je voulais voir ce que ça donnait, l’adaptation du format américain en France, donc je n’avais pas auditionné. J’ai adoré la première saison, et du coup, je me suis dit que j’allais faire l’audition pour la saison 2 même si je n’étais pas sûr d’être prêt, car je ne suis pas une ancienne dans le Drag, je savais que ça allait être aussi une autre forme de formation. J’ai eu la chance d’être sélectionné et la suite appartient à la saison 2 ! J’étais heureux d’être aussi une figure de représentation pour la communauté gitane qui n’avait tout simplement aucune figure à qui s’identifier. Les gitans ce ne sont pas que des caravanes et des guitares, ça peut aussi être des drags queens avec des perruques blondes qui font des clips dans des chichas (Rires).

A : Qu’est-ce que représente l’émission Ru Paul’s Drag Race pour le Drag moderne ?

P : Drag Race est une émission qui est d’utilité publique et ça a tellement du sens que ça passe sur le service public en France (France Tv Slash et France 2, ndlr) ! Ça permet d’envoyer des messages positifs sur la communauté et de déconstruire ce que les gens pensent du Drag. Il y a encore trop de gens qui font des amalgames et pensent que Drag Queen = Identité de genre = Prostitution… Le Drag c’est bien plus que les stéréotypes qu’ont les gens sur cet art. Il y a vraiment beaucoup de travail derrière, une polyvalence de toutes les Drags et des histoires touchantes qui délivrent des messages importants.

A : Dans le 2ᵉ épisode de Drag Race, tu surprends tout le monde avec ta performance lors du Talent Show dans lequel tu performes une partie de ton titre Confess. Tu montres que tu n’as pas seulement une belle voix, mais que tu sais aussi rapper. Tu avais peur de l’accueil ou au contraire, tu avais hâte de montrer cette autre facette de toi ?

P : Je suis quelqu’un qui a du mal à synthétiser et je me suis demandé ce que je pouvais faire dans le talent show pour montrer tout ce que je savais faire. J’ai vraiment la dalle et je suis quelqu’un qui a toujours envie de montrer aux gens que je me donne à fond parce que je suis très exigeant avec moi-même. Donc j’ai commencé avec le chant, j’ai enchainé avec le rap et la danse. Mon frère jumeau qui travaille avec moi rappait déjà et a vraiment les codes du rap Français actuel, donc on a eu l’idée de ce morceau. C’était aussi pour montrer que la musique était mon projet principal, car c’est vraiment important pour moi.

A : Le clip va sortir dans la foulée de la diffusion de l’épisode et va très bien prendre sur TikTok ainsi qu’en live, lors de la tournée de Drag Race, t’attendais-tu à un tel engouement ?

P : Franchement, je ne pensais pas que ça prendrait autant. Quand je l’ai fait sur l’émission j’ai vu que ça avait pris parce j’ai eu la chance de gagner donc je me disait que le son plairait sûrement dans la communauté mais je ne m’attendais vraiment pas à ce que ça dépasse ce cadre-là. J’ai reçu des messages de gens qui m’ont dit « Je ne te connais pas, je n’ai jamais regardé Drag Race, mais je suis tombé sur ton profil et j’adore le son », ça m’a vraiment fait plaisir que ça prenne ! Plein de gens ont cru que l’application de streaming buguait quand ils shazammaient le son et arrivaient sur le profil d’une drag queen et c’est ça qui me plait aussi !

A : Un mois plus tard, tu dévoiles « Présidence », ton deuxième single qui va précéder ta signature chez Warner Chapell, comment ça s’est fait ?

P : À la base, je ne pensais pas que des maisons de disques parieraient sur moi, donc je n’avais pas prévu de signer dans quel label que ce soit. J’ai rencontré plusieurs personnes qui ont cru en moi dont mon attaché de presse Stéphane Tasimovicz, puis Jerome Brucker et Matthieu Tessier qui ont été très supportifs sur le projet et j’ai signé chez Warner qui est maintenant mon éditeur.

A : C’est un challenge pour toi de te lancer dans le rap en tant que personne Queer ?

C’est vrai que c’est un gros challenge. Ce n’est pas forcément un milieu qui est méga déconstruit de prime abord, mais en vrai, c’est parce qu’on ne considère pas forcément toutes les personnes qui font partie de ce milieu. C’est-à-dire que les personnes qui font partie de ce milieu, qui écoutent du rap et qui en parlent ne sont pas forcément toujours les personnes les plus ouvertes et déconstruites. Il y a énormément de queers qui écoutent du rap en vrai, c’est juste qu’ils n’en parlent pas forcément. C’est aussi ce que je me suis rendu compte quand j’ai sorti Confess et que les gens m’ont envoyé des messages. Ils m’ont dit : « C’est trop cool parce que ça, je peux le mettre en story, je peux le partager à fond et je peux être fier de ça parce qu’il n’y a pas de problématique avec toi, dans tes paroles, etc…». En même temps, on garde les codes de ce qu’on aime avec juste une représentation qui est différente. Le rap, c’est fait pour dénoncer les maltraitances faites sur les minorités. On est tous à la base issus de minorités, on est détestés par les mémes personnes, donc venez on s’entraide ! (Rires)

A : Tu écris avec ton frère jumeau, lui aussi rappeur. Tu peux nous raconter comment vous avez choisi de travailler ensemble ?

P : Mon frère rappe à titre personnel et il fait plus ce qui se fait dans les codes actuels du rap, que ce soit dans les textes ou les sonorités. Du coup, on a mêlé nos deux mondes et même si à la base, il n’écrirait pas sur les mêmes sujets que moi, je trouve qu’on est la preuve qu’on peut s’entendre et avoir des idéaux qui se rejoignent. Il a réussi à amener la forme des morceaux, propre aux codes actuels. Je ne suis pas arrivé en me disant que j’allais révolutionner le rap mais je veux juste apporter ma touche en terme de textes, de représentation et de DA.

A : Pour revenir un peu sur tes inspirations au niveau rap, est-ce que tu écoutais du rap quand tu étais plus jeune ou c’est venu avec le temps, justement vis-à-vis de ton frère et de ta sœur ? C’est quoi ta relation au rap ?

P : Quand j’étais plus jeune je n’écoutait pas forcément trop de rap parce que je me disais que c’était pas fait pour moi. Je pensais que je ne pouvais pas écouter ça parce que je n’étais pas le profil légitime à écouter cette stylistique vu que j’étais homo. C’est des pensées qui sont idiotes mais on se dit qu’on n’a pas notre place parce que les gens qui écoutent ça ne sont pas les gens qui ont envie de traîner avec moi. J’ai quand même écouté quelques têtes comme Diam’s qu’on a tous aimé, Keny Arkana, Sinik

C’est avec mon frère que j’ai recommencé à écouter du rap parce que j’écoutais ce que lui faisait. C’est là où je me suis dit qu’il y avait plein de trucs que je kiffais en vrai. Dans les dernières années, il y a un album qui m’a pas mal marqué, c’est Antidote de Shay avec Même Pas Bonne et Liquide, que j’aime beaucoup. Récemment, il y a Nayra que j’aime beaucoup ou encore 4Motion de Maes et PLK que j’écoute en boucle et Mami Wata de Gazo et Tiakola.

Aux US, j’aime beaucoup aussi Lil Nas X, qui fait partie des artistes «Goal» dans ce qu’ils ont réussi à faire. Pour moi, Lil Nas X c’est un exemple dans le sens où il a réussi à s’imposer tel qu’il est, avec sa DA. Ce n’est pas du rap à proprement dit, plus de la pop urbaine, mais j’aime beaucoup l’artiste qu’il est.

A : Si tu pouvais collaborer avec un ou des rappeurs francophones, ce serait qui ?

P : Nayra par exemple est une rappeuse que j’adore, très engagée et très talentueuse avec un égotrip super maitrisé. Après je ne me fixe pas de limites, j’aimerais beaucoup pouvoir faire des ponts innatendus avec des artistes qui ne sont pas attendus sur le créneau de featter avec une Drag Queen!

A : Tu dévoiles aujourd’hui ton premier EP Festin, tu peux le présenter en quelques mots ?

P : La base de l’EP, c’est que j’avais envie de montrer, parce qu’on le voit pas assez, que les queers aussi peuvent avoir des histoires heureuses et drôles. Tout le monde ne s’est pas fait virer de chez lui, tout le monde n’a pas vécu des choses affreuses avec sa famille, ne s’est pas fait agressé… Dans l’inconscient collectif, les gens s’imaginent aussi que quand on est queer, on a toujours souffert. Il y a une grosse part de vérité mais il n’y a pas que ça. Être queer, c’est aussi un ensemble de célébrations, et je voulais montrer cette dualité dans le projet, entre des morceaux festifs et des morceaux plus engagés pour la communauté LGBT. Je n’ai pas fait le projet pour que les morceaux soient tous des hits, je veux juste partager avec ma communauté et qu’ils se sentent compris.

A : La deuxième track de l’EP c’est Oh Ma Piche, dont tu as récemment dévoilé le clip pour teaser ton projet. Tu y déconstruis les idées reçues sur l’apparence, sur la sexualité et notamment ce que tu fais aussi vis-à-vis du visuel. Est-ce que c’était ça la volonté derrière le titre ?

P : L’idée, c’était de faire un morceau dansant et j’ai essayé de le cibler sur les personnes différentes tout en restant sur un petit côté égotrip avec le refrain. Dans l’écriture avec mon frère, on a vraiment essayé de garder le côté punchlines avec les bonnes syllabes et les bons mots, propres aux stylistiques du rap. Ça me ferait trop kiffer de me dire qu’une personne trans par exemple, chante le son à tue-tête en boîte. Mais ce son parle à tout le monde : c’est une hymne de célébration de ce que tu es, mais qui ne se prend pas au sérieux. Pour le clip, j’ai eu l’idée d’un lieu associé au masculin, parce que je trouvais ça trop drôle le contraste d’avoir une Drag Queen dans une chicha, ça casse les stéréotypes et les clichés, j’aime ça.

A : On a pu te voir performer lors de l’Hyper Week-end Festival à la Maison de la Radio en janvier. Tu as quel lien avec la scène ? Tu as prévu de faire des concerts prochainement ?

P : La scène, c’est toute ma vie. J’ai compris dès mes premières années au Conservatoire que c’était ce que je voulais faire toute ma vie. Je vois le public voyager en direct avec moi et je trouve qu’il n’y a rien de plus magique. J’ai l’impression que moi aussi, je sors un peu de certains problèmes de ma vie, il y a un truc très thérapeutiquei et très cathartique dans la scène pour moi. J’aime trop le lien avec les gens, donc c’est aussi pour ça que la scène restera toujours le truc numéro 1 pour moi.

À tous les curieux, les ouverts d’esprits, les avides d’évolution, foncez découvrir le projet de Piche : Festin, disponible dès-à-présent sur toutes les plateformes de streaming.

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