De PNL à Bigflo et Oli en passant par Les Frères Lumière ou encore Arsenik, la fraternité dans le rap a été mise en lumière par des duos symboliques. Mais qu’en est-il des frères et soeurs qui se lancent en solitaire alors que leur ainé est déjà ancré dans le rap game ? Quelle influence artistique ont-ils sur leurs cadets ? On tente de répondre à ces questions avec Canardo, rappeur et frère de La Fouine, Lokman, chef de projet des labels Diez Peufra et CRPS Records ainsi que Bajram, co-créateur du compte @koba_ladfans, fort de 177 K abonnés sur Instagram.
Shurik’n et Faf Larage, La Fouine et Canardo, Pit Baccardi et Dosseh (son demi-frère ndlr), Le Motif et Shay, Gims et Dadju, Savage Toddy et Luv Resval, Mattke Pal et Koba LaD, Hvmanyy et Timal ou encore Dwen et Hornet La Frappe… Depuis plusieurs décennies, le rap a vu éclore de nombreux artistes qui ont suivi le chemin de leur aîné. Comment ont-ils réussi à se créer leur propre identité sans tomber dans l’ombre de leur frère ou de leur soeur?
Une affaire de famille
Les liens de sang ont inévitablement un impact sur les influences musicales et artistiques. La Fouine et Canardo ont par exemple grandi dans une famille de mélomanes avec des frères et soeurs musiciens et un père passionné de variété française. Canardo explique : « Mon père était un fan de Jacques Brel et de Léo Ferré, même quand il vivait au Maroc dans son enfance. J’ai grandi entre les musiques orientales et la pure chanson française. »
Une enquête de l’INSEE sur la transmission familiale montre que dans 57 % des cas, la passion de la musique est déterminée par l’environnement au sein de la famille. Olivier Lesnicki aka Le Motif est un auteur-compositeur-réalisateur-interprète. Il a participé au succès de sa sœur Vanessa, plus connue sous le pseudo de Shay. C’est en 2016 que la rappeuse belge explose avec son album Jolie Garce, dont il a produit la quasi-totalité des titres. Accompagnant sa sœur dans sa carrière au maximum, il a mis au second plan sa carrière personnelle de rappeur – aujourd’hui développée- pour se mettre à son service.
L’interprète de PMW a énoncé en interview que Shay était un pseudo qu’elle associait autant à elle qu’à son frère, un symbole fort qui affiche clairement leur connexion, faisant leur force dans la musique. Avec fierté, Le Motif évoque cette relation au micro d’Anthony Cheylan chez Clique & Chill : « Avec ma sœur on a trouvé cette passion commune qui est la musique. Je suis très souvent au téléphone avec, on est très proches comme frères et soeurs, mais c’est devenu normal. La musique c’est notre vie et on a ce truc qui nous relie et nous solidarise ».
Une connexion particulière
L’influence d’un grand-frère ou d’une grande soeur rappeur/se, peut donc avoir un aspect très positif, notamment d’un point de vue artistique et professionnel. Nombreux sont ceux qui ont initialement imité leur ainé et se sont pris au jeu. La relation mimétique, décrite par René Girard dans son livre Mensonge romantique et vérité romanesque, est applicable dans de multiples domaines comme le sport, la cuisine, l’audiovisuel, la politique… Mais c’est bien souvent dans le monde artistique qu’elle s’applique le plus.
Canardo vient de sortir son sixième projet Automeris. Il reconnaît que la connexion avec son frère Laouni est particulière : « On est très proche et on a souvent les mêmes idées. Par exemple, on réfléchissait au titre qu’on allait donner au morceau Capitale du crime. On s’est retrouvé une semaine après l’enregistrement dans une voiture et il m’a dit qu’il pensait à Capitale du crime. J’ai arrêté le moteur et je lui ai montré mon CD : j’avais noté le même titre alors qu’on ne s’était pas du tout concerté. » Ce lien fraternel peut donc permettre de créer une alchimie et une véritable complicité artistique.
Bajram tient le plus gros compte fan de Koba LaD sur Instagram depuis trois ans. Il explique que c’est par le biais de Koba qu’il a connu et apprécié son petit-frère Mattke Pal, qui se lance tout juste dans le rap. Selon lui, c’est un avantage d’évoluer dans le milieu tout en ayant l’expérience de son ainé : « Je pense qu’avoir son grand frère dans la musique, c’est un énorme atout. Il puise ses inspirations sur lui et Koba peut lui apprendre les avantages et les inconvénients du milieu, ça va donc lui faire sauter des étapes ».
Une méritocratie en question ?
Les aspects positifs d’avoir son frère ou sa sœur qui rappent ont pour autant des limites. La question de la méritocratie est alors soulevée : est-on moins digne de gagner en notoriété quand c’est notre ainé qui nous a mis dans la lumière ? Comment faire pour se constituer une identité propre ? Pour l’auditeur, la comparaison est inévitable dès lors que le lien familial est mis en avant. Le cadet doit donc redoubler d’efforts pour faire ses preuves. Il doit convaincre l’auditeur de son talent, mais également qu’il n’est pas là par hasard. Sa force sera d’assumer sa place de « petit-frère/soeur » tout en constituant sa propre identité.
Canardo témoigne : « Je suis trop fier de la carrière de mon frère d’un point de vue personnel et artistique, mais je dirais que le point de vue négatif, c’est le côté « Frère de » qui revient tout le temps. Dès qu’un artiste vient me voir il me prend pour une passerelle et se dit : « Tiens, si je travaille avec Canardo, il va me ramener La Fouine ». Ce n’est pas quelque chose de plaisant mais on s’y habitue, l’humain est fait comme ça. Il y a aussi plusieurs rappeurs qui ne veulent pas prendre le risque de s’associer à moi vis-à-vis des embrouilles de mon frère. Je suis associé à lui contre mon gré mais c’est le jeu, je l’accepte même si artistiquement ça peut me bloquer dans certaines de mes envies. »
Plusieurs options s’offrent alors. L’artiste en question peut décider de rester dans l’ombre et faire son bout de chemin en ayant des objectifs différents de son frère ou de sa soeur, plus tournés vers la passion pour la musique que pour la notoriété en tant que telle. Il peut aussi décider de s’associer à lui et de faire de ce lien familial une véritable marque de fabrique, comme l’ont fait plusieurs groupes de rap francophone.
Enfin, il peut décider de tenter sa chance en solitaire, en se créant une identité artistique totalement différente de son fraternel. Lokman, chef de projet des labels de Hornet La Frappe et de son petit-frère Dwen, explique : « En raison de leur fraternité, ils ont beaucoup de points communs et donnent tous les deux beaucoup d’amour dans leur musique. Dans l’artistique, la différence est plus visible. Hornet a beaucoup d’années de studio derrière lui et a donc emmagasiné plus d’expérience. Dwen est plus dans l’instant présent et dans ses ressentis. Leur palette artistique est distincte : les thèmes abordés ne sont pas les mêmes et leurs inspirations sont, elles aussi, différentes grâce à leur différence d’âge et leur vécu. »
On peut donc penser que la passion de la musique se trouve ainsi souvent dans les gènes. À l’artiste d’approprier cet héritage et d’en faire bon usage tout en développant son identité propre. Plus qu’une affaire de frères et sœurs, le rap, c’est avant tout une Affaire de Famille.