Se dévoiler chaque jour un peu plus. En publiant l’EP La jetée ce vendredi 14 mars, Asinine délivre la pièce maîtresse de sa jeune discographie. Active depuis 2022, l’artiste marseillaise est parvenue à susciter un engouement certain autour de sa musique, laissant grandes ouvertes les portes de son journal intime. Un besoin paradoxal, tant Asinine se montre discrète sur les réseaux sociaux et dans les médias. En moins de trois ans, elle peut se targuer de s’être forgée une identité marquée grâce à une plume poétique. Portrait d’une rappeuse chez qui la musique s’écrit avant tout.
Les prémices d’un phénomène
Le rap et Asinine, c’est une histoire d’amour relativement récente. Elle n’a pas grandi dans un environnement familial particulièrement musical (seul son père travaille dans le milieu du spectacle). Tout débute en 2018 lorsqu’elle quitte son sud-est natal et déménage à Marseille pour ses études de lettres. Elle rejoint une colocation 100% masculine, composée d’apprentis rappeurs. C’est à ce moment précis qu’Asinine rencontre briac severe, son futur compositeur et réalisateur. Le coup de foudre musical est immédiat. « On a des goûts similaires en termes de musique. On aime et on déteste les mêmes choses », confie le producteur normand autodidacte.

À cette époque, Asinine a déjà affiné sa plume grâce à un fort besoin d’expression. Dès son adolescence, elle fait de l’écriture son alliée fidèle, lui permettant de dessiner ses premiers récits. Sans le savoir, son aventure avec le rap est lancée. « Elle a commencé le rap vers 2018. Auparavant, elle avait commencé à écrire, mais pas pour de la musique. C’était uniquement pour elle. C’est une grande littéraire », glisse-t-il.
L’écriture comme besoin thérapeutique
Les centaines d’heures passées à gratter et à noircir du papier lui permettent de débarquer dans l’univers concurrentiel du rap français en février 2022 avec une proposition rondement ficelée. Dès la sortie de ses premiers morceaux (ndlr : « C’est les autres », « Allers Retours » et « Carrousel » forment son premier maxi), elle se distingue grâce à une plume profonde, dense et chirurgicale. Asinine a cette faculté à proposer des métaphores percutantes, tout en détaillant précisément son environnement. À l’écoute de sa musique, l’auditeur est abreuvé d’images frappantes sur la vie de l’artiste. « Je me reconnais parfois dans ce qu’elle raconte. Asinine maîtrise l’introspection, le storytelling et elle décrit parfaitement les rapports entre les humains. Elle arrive à cristalliser des choses simples de la vie quotidienne ou des sentiments que l’on peut ressentir vis-à-vis de soi-même ou notre famille avec une grande précision. Elle accorde beaucoup d’importance au sens des choses », raconte Narjes Bahhar, journaliste et responsable éditorial senior du rap et du r’n’b français chez Deezer.
Dans ses textes, Asinine met à nu ses émotions. Tout y passe : nostalgie, tristesse, anxiété ou encore l’amour sous toutes ses formes. « La musique d’Asinine est avant tout personnelle et sincère. On touche à un degré d’intimité qui a rarement été atteint dans le rap français. Les thèmes qu’elle aborde sont difficiles à écouter pour certain(e)s parce que c’est souvent très deep (ndlr : profond en anglais). Écrire, c’est un besoin thérapeutique pour Asinine. Il peut y avoir de la souffrance dans la création de sa musique », précise briac severe.
Si l’écriture reste sa principale force de frappe, Asinine attire également la curiosité des suiveurs par ses flows autotunés et les sonorités plurielles qu’elle propose. Influencé par le rap, l’IDM (ndlr : L’intelligent dance music (IDM) est un genre de musique électronique) et la variété française, la Marseillaise prend un malin plaisir à évoluer sur des productions digitales, aériennes et électroniques de son ami briac. Elle cherche constamment l’originalité avec une proposition évolutive et cela ne plaît pas à tout le monde. Certain(e)s lui reprochent de trop « chuchoter ». « Les critiques envers Asinine ont une double lecture. Premièrement, on ne peut pas plaire à tout le monde. Surtout, les grands artistes suscitent toujours du débat sur leur singularité. Lorsqu’ils ont un parti pris radical, ce n’est pas facile d’adhérer immédiatement. Ensuite, il y a une forme de misogynie avec les rappeuses à propos de leur voix et leur façon de poser. Ça revient assez souvent quand c’est une femme », regrette Narjes Bahhar.
La patience en guise de qualité
Après la bonne réception de C’est les autres, Asinine enchaîne avec un second maxi, XIII (paru en février 2023). En une année, la rappeuse phocéenne se professionnalise et étoffe son entourage créatif. Ainsi, sa grande sœur Charlotte rejoint l’aventure pour confectionner la cover brodée du projet, où l’on peut apercevoir un cavalier squelettique issu d’une carte du tarot marseillais. « Avec Asinine, on marche à la confiance. On se professionnalise tout en conservant un socle proche et restreint. Faire de la musique avec des gens que tu kiffes, ça fait la différence sur le produit final », atteste briac severe.

Si XIII permet à Asinine de se créer une fanbase, c’est véritablement avec Brûler la maison qu’elle passe un premier cap. En coproduction avec le label Filigrane, la rigueur et l’exigence se retrouvent au centre de l’EP. La jeune artiste y dépeint le décor de son enfance avec une sensibilité exacerbée. Asinine se mue aussi bien en actrice qu’en observatrice de sa situation passée. Ce projet plus long que les précédents (six titres) met en lumière sa vaste palette musicale avec de la jersey, de la trap ou encore de la techno.

Paradoxalement, Asinine offre à ses auditeurs un projet minimaliste par an, illustration d’une belle productivité. Pourtant, sa discographie comptabilise à peine une trentaine de morceaux. Entre chaque sortie, Asinine prend le temps de perfectionner son art afin d’être flamboyante dès son retour. Cela suscite une attente justifiée du public.
Cette discrétion s’explique par son implication obsessionnelle sur tout ce qui touche à sa musique. « Asinine a du mal à délaisser. Elle a besoin d’être impliquée sur tout ce qui l’entoure pour ne pas contrarier sa vision artistique. Elle est force de proposition à tous les niveaux », poursuit briac severe.
C’est simple, Asinine sait parfaitement quel univers elle souhaite imposer. Une vision appréciable pour celles et ceux qui ont l’honneur de participer à l’expansion de sa musique. Le duo de frères-réalisateurs Holow, composé de Jules et Mathis, raconte leur collaboration avec Asinine sur les clips de « Deux ailes de cire » et « Anchorage ». « Travailler avec Asinine est un bonheur car elle est précise en allant à l’essentiel. Quand on collabore, elle nous envoie un moodboard et ses idées qui représentent le morceau que l’on va clipper. On développe tout ensemble. Le tournage du clip de “Anchorage” était particulier, car les lyrics étaient personnels. Asinine savait encore plus ce qu’elle voulait. Ça lui tenait à cœur », détaillent les deux frères.
Chaque visuel apporte une nouvelle clé de compréhension à l’univers torturé d’Asinine. Surtout, ils se différencient des autres propositions actuelles avec des influences cinématographiques assumées. On pense notamment aux styles de Tim Burton et de David Lynch ou encore le film The Light House avec Robert Pattinson, réalisé par Robert Eggers. « Asinine a des références qui touchent au surréalisme et aux souvenirs d’enfance. Pour préparer les clips, on s’envoyait mutuellement des références de films. Cela se ressent sur le résultat final avec des influences d’œuvres que l’on aime », livrent-ils.
Marseille lui colle à la peau
Avec La jetée, Asinine poursuit son élévation. La rappeuse explore des sonorités acoustiques et variées. Sur ce premier EP, elle narre son envie de se réconcilier avec les fantômes de son passé, tout en créant une mosaïque pleine d’espoir. Asinine révèle à son public sa plus grande peur : voir ses souvenirs disparaître avec le temps. Sa famille est au centre du projet. Elle évoque par exemple le rêve de sa mère de devenir avocate dans « Anchorage » et dédie un morceau entier à sa grande sœur avec « 100 ans ».

Si le nom de l’EP est une référence au film éponyme de Chris Marker (sorti en 1962), il peut également s’agir d’une énième allusion à son environnement. Plus que jamais, La jetée est une ode à Marseille et plus globalement à son sud-est natal. La mer et les rochers sont omniprésents dans le champ lexical d’Asinine. « Elle est comme les vagues qui viennent s’échouer sur les rochers marins », souligne Narjes Bahhar.
Bien que son affiliation à la cité phocéenne ne sonne pas comme une évidence à la première écoute, Asinine possède l’ADN du rap marseillais. « Il y a toujours eu des grands lyricistes comme le Rat Luciano à Marseille. Asinine est issue de cette école. Elle élabore une musique nostalgique et mélancolique comme Jul et SCH savent le faire pour être touchants. Asinine propose un contenu assez dark donc c’est compréhensible que certains soient surpris qu’elle vienne d’ici », avoue briac severe.
Un avenir radieux
Pour accompagner la publication de La jetée, Asinine a réalisé son premier concert à l’Alhambra le 20 mars dernier (ndlr : la salle parisienne a une capacité de 800 personnes en disposition concert). Le show s’était sold-out en seulement quelques heures après l’ouverture de la billetterie. Cette prestation live a exposé sa vulnérabilité grâce à une scénographie pensée sur mesure par l’artiste.
Par la suite, Asinine a enchaîné des concerts à Tourcoing, Bordeaux, Lyon et Lausanne en Suisse. Elle sera aussi de passage à Bruxelles le 22 mai et à Toulouse le 23 mai. Tous les feux sont en vert pour que le phénomène Asinine s’empare de la francophonie. « Elle a le potentiel pour tout péter. J’espère que les gens vont comprendre qu’il faut ressentir sa musique plutôt que de la comprendre. Asinine a tout pour réussir », conclut Holow.

Vous l’aurez compris, Asinine a posé les fondations d’une maison enflammée avec succès. Il ne lui reste plus qu’à poser les dernières pierres, sans faire aucun compromis.